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Hépatite E en France : l'affaire du cochon cru

Trop souvent considérée comme une infection du voyageur, l'hépatite E sévit également en France, essentiellement à partir des viandes crues issues des porcs, des sangliers et des cervidés. Prévalence, origines, symptômes, précautions, mieux la connaître pour mieux la prévenir.

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Les jeunes porcs d'élevage sont la principale source de virus de l'hépatite E en France.

Les jeunes porcs d'élevage sont la principale source de virus de l'hépatite E en France.Julia Spricigo / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

L’hépatite E est une infection virale du foie causée par un virus à ARN. Même si elle reste asymptomatique dans plus de 70 % des cas, cette maladie touche des millions de personnes à travers le monde, avec une répartition géographique et une transmission fortement influencées par les conditions sanitaires et alimentaires.

Si les génotypes 1 et 2 sont surtout responsables d’épidémies dans les pays en voie de développement via la contamination de l’eau, les génotypes 3 et 4, présents dans plusieurs espèces animales, sont la principale source de transmission dans les pays industrialisés où cette hépatite reste essentiellement une zoonose.

En France, la contamination humaine est largement associée à la manipulation et à la consommation de produits crus issus du porc, du sanglier et des cervidés. Début février 2025, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié les dernières données épidémiologiques concernant l’hépatite E en France : plus de 60 000 cas par an, dont au moins 3 000 symptomatiques depuis 2022.

Dans ce contexte, comprendre les modes de transmission, identifier les sources d’exposition et adopter des mesures de prévention adaptées sont essentiels, en particulier pour les personnes le plus à risque de formes symptomatiques.

Le virus de l’hépatite E (VHE) est un virus à ARN monobrin qui appartient à la famille des Hepeviridae et dont la diversité génétique est importante [1]. Les génotypes 1 et 2 sont présents uniquement dans l’espèce humaine alors que les génotypes 3 et 4 le sont également dans plusieurs espèces animales : porc domestique, sanglier, cervidés, lapin et lièvre. En France et dans les pays industrialisés, les génotypes 3 et 4 sont ceux essentiellement impliqués dans les cas humains (contamination par les produits animaux et par les captages hydriques contaminés). Les génotypes 1 et 2 sont surtout présents dans les pays en voie de développement.

Les réservoirs du VHE sont les humains et les animaux, principalement le porc et le sanglier, malades ou asymptomatiques, qui éliminent le virus dans leurs matières fécales et leurs urines. Après infection, le virus se multiplie dans les tissus intestinaux et dans le foie. Il est excrété dans la bile puis dans la lumière intestinale et enfin dans les fèces des animaux infectés.

Le virus peut se trouver dans l’environnement des abattoirs, contaminant les surfaces, les ustensiles de découpe, les camions de transport, etc. Également dans les eaux usées, et dans les eaux de surface ou souterraines quand l’assainissement des eaux usées ou le traitement et l’épandage des lisiers sont mal maîtrisés [2]. Certaines études ont détecté le virus dans le lait de ruminants (vache, brebis, chèvre) [1].

Comment se contamine-t-on par le VHE ?

Le virus de l’hépatite E peut se transmettre par ingestion d’eau ou d’aliments contaminés, par contact direct entre humains ou avec des animaux, de la mère à l’enfant ou par transfusion sanguine.

Dans les pays industrialisés, les génotypes 3 et 4 sont responsables de cas sporadiques et, parfois, de cas groupés. L’origine et le mode de transmission sont le plus souvent inconnus. Dans les principaux cas documentés, la contamination est associée à l’ingestion de produits provenant des animaux réservoirs tels que le porc, le sanglier et les cervidés, lorsqu'ils sont consommés crus ou peu cuits. La transmission par voie hydrique a aussi été rapportée, mais elle ne semble pas aussi fréquente que dans les pays en voie de développement (où elle est prépondérante).

Si la transmission maternofœtale des génotypes 1 et 2 est possible, celle des génotypes 3 et 4 n’a jamais été documentée [3].

La part relative des différentes modalités de contamination (alimentaire, contact avec les animaux ou interhumaine) n’est pas connue.

Quels sont les aliments les plus impliqués dans la contamination ?

La présence du génome du VHE dans des foies de porc commercialisés (de 1 à 13 %) et dans les produits à base de foie de porc cru (jusqu’à 30 %) a été mise en évidence dans plusieurs études [1]. L’infectiosité du virus a pu être démontrée dans certains échantillons.

Au cours des principales épidémies étudiées, les aliments incriminés étaient de la viande ou du foie de sanglier ou de porc, des sashimis de viande de cervidé ou de foie de porc, des figatelli [4] ou des saucisses de foie de porc crues, fraîches ou mi-sèches. En 2011, un plan de surveillance ponctuelle, réalisée sur des aliments contenant du foie cru de porc et destinés à être consommés crus, a permis d’estimer une prévalence de l’ARN du VHE de 30 % dans les figatelli, 29 % dans les saucisses sèches et fraîches de foie, 25 % dans les pâtes à quenelles à base de foie et 3 % dans les foies salés séchés [2]. En effet, les procédés de fabrication de charcuteries sans traitement thermique, tels que le salage, le fumage à froid ou le séchage ne permettent pas d’inactiver le VHE. Des études cas-témoins conduites en France et en Allemagne ont également montré que la consommation d’abats de porc, de sanglier ou de cervidé était un facteur de risque d’infection par le VHE.

Par ailleurs, le génome du VHE a été détecté sur des fruits rouges, des fraises, des salades, des algues et dans des épices, suggérant que ces derniers puissent être des sources d’exposition après contamination par des eaux souillées [1].

Enfin, la consommation de coquillages et fruits de mer a été identifiée comme étant un facteur de risque, l’ARN du VHE ayant été détecté dans les moules et les huîtres. La bioaccumulation du virus a été démontrée dans des huîtres en conditions expérimentales.

Quelle est la prévalence du VHE dans les élevages porcins français ?

En France, la source principale d’excrétion du VHE est le porc domestique en croissance, et principalement entre 3 et 5 mois d’âge. Une enquête nationale menée en 2009 [5] a permis d’estimer que 65 % des élevages étaient contaminés (prévalence des anticorps anti-VHE chez les porcs à l’abattoir). Lors de cette enquête, pour 186 fermes contaminées, l’analyse de 3 715 foies frais a montré que 4 % contenaient de l’ARN viral (infection active). En Corse, en 2022, la séroprévalence des élevages porcins était de 88 %. Elle était plus élevée chez les porcs plus âgés ou provenant d’élevages extensifs (souvent en contact avec des sangliers).

En règle générale, les élevages porcins qui associent conditions d’hygiène défavorables et mélanges importants de jeunes porcs sevrés sont davantage touchés (avant le sevrage, les anticorps maternels protègent les porcelets). De plus, l’utilisation d’eau de boisson issue de captages superficiels augmente le risque de présence du VHE dans un élevage.

Quelle est la prévalence humaine de l'hépatite E en France ?

En France, en médecine humaine, l’hépatite E fait l’objet d’une surveillance par le Centre national de référence des hépatites entéro-transmissibles. Une enquête réalisée en 2011-2012 a révélé une séroprévalence nationale estimée à 22,4 %, mais variant de 8 % à 86,4 % selon les zones géographiques [3]. Celles présentant une séroprévalence élevée étaient localisées dans le sud-ouest, le sud-est et le nord-est de la France, ce qui ne peut pas être expliqué par la seule consommation de produits à base de porc. Une exposition par le biais de l’eau de captage pourrait également expliquer ces chiffres.

En 2023, le dépistage génomique chez les donneurs de sang a identifié 1 634 cas asymptomatiques, ce qui conduit à une incidence d’environ 1/1 000 avec des variations régionales allant de 0,5/1 000 (nord-ouest) à 2/1 000 (sud-ouest). En conséquence, le nombre annuel des infections à VHE en France est probablement supérieur à 60 000 [1].

L’hépatite E, fréquemment asymptomatique

La caractéristique clinique essentielle de l’hépatite E est la fréquence élevée des formes asymptomatiques (plus de 70 %). Dans les pays industrialisés, les formes symptomatiques d’hépatite E aiguë sont plus fréquentes chez l’adulte de plus de 55 ans (dans les pays en voie de développement, les adultes de moins de 35 ans sont fréquemment atteints). Elles apparaissent après un délai d’incubation moyen de 40 jours. Des formes fulminantes peuvent survenir en cas de maladie hépatique sous-jacente. Elles sont mortelles dans 3 à 10 % des cas [1].

Les infections chroniques par le VHE, où il existe une persistance virale, sont à l'origine d'atteintes inflammatoires chroniques du foie, de cirrhoses et peuvent être létales. Elles concernent essentiellement des personnes immunodéprimées. Des manifestations extra-hépatiques (syndrome de Guillain-Barré, encéphalites, glomérulonéphrites) ont été observées au cours des infections aiguës ou chroniques par le VHE dans environ 15 % des cas.

Depuis 2022, environ 3 000 cas symptomatiques ont été répertoriés en France avec plus de 98 % de cas autochtones [1].

Quelles sont les personnes à risque plus élevé ?

Les personnes en contact avec les porcs domestiques ou la faune sauvage (sangliers), comme les vétérinaires, les éleveurs, les forestiers, les chasseurs, les personnels d’abattoir ou les bouchers-charcutiers, ont une séroprévalence significativement plus élevée que dans la population générale, suggérant que le contact direct avec des animaux infectés, vivants ou abattus, est un facteur de risque [1].

En ce qui concerne le risque de développer une forme symptomatique, les sujets les plus à risque sont :

  • ceux présentant une maladie hépatique sous-jacente (risque d’hépatite fulminante) ;
  • les immunodéprimés avec risque d’hépatite chronique et de cirrhose (personnes greffées, atteintes de cancers hématologiques, atteintes de maladies auto-immunes traitées par immunosuppresseurs ou infectées par le VIH avec un faible nombre de lymphocytes CD4) ;
  • dans les pays en voie de développement, les femmes enceintes.

Comment se protéger du virus de l’hépatite E ?

Les mesures de protection contre le VHE [6] varient selon que l’on est exposé en tant que consommateur et/ou en tant que professionnel. Elles sont importantes chez les personnes le plus à risque de développer une forme symptomatique. Chez celles-ci, une recherche d’anticorps dirigés contre le VHE peut se révéler utile pour identifier les individus qui doivent respecter rigoureusement ces mesures de prévention.

Les mesures de prévention pour les consommateurs

  • Toutes les personnes ayant été en contact avec de la viande de porc, de sanglier ou de cervidés (chasseurs, consommateurs) doivent se laver les mains après ce contact.
  • L’entretien (grattage, lavage à l’eau chaude et au détergent) des surfaces de travail et des ustensiles doit être rigoureux et s’effectuer immédiatement après chaque utilisation, et en particulier après manipulation de foie de porc cru.
  • Tous les aliments contenant du foie de porc, sanglier, cervidé cru (figatelli, saucisses de foie de porc crues, fraîches ou sèches, quenelles de foie) sont des aliments à risque et ne doivent pas être consommés crus. Ils doivent être cuits à cœur, tout comme les produits issus de cochons de lait et porcelets.
  • Dans les pays à faible niveau d’hygiène ou dans les régions où cette hépatite est fréquente (Asie du Sud et de l’Est, Afrique subsaharienne et du Nord, Moyen-Orient), il est recommandé de ne consommer que des végétaux cuits ou pelés après lavage. L’eau de boisson ou servant à la préparation culinaire (notamment au lavage des végétaux) doit être une eau embouteillée, bouillie (10 minutes) ou filtrée puis désinfectée (avec des pastilles chlorées ou dérivés).

Les mesures de prévention pour les professionnels

  • Les professionnels exposés (notamment les éleveurs de porcs, vétérinaires, techniciens) doivent s'équiper de protections individuelles et respecter les bonnes pratiques d’hygiène, en particulier au contact des jeunes animaux.
  • Le personnel de cuisine ou toute personne amenée à manipuler des aliments, surtout s'ils sont destinés à être consommés crus ou peu cuits, doit être sensibilisé au risque de transmission féco-orale et à la nécessaire mise en œuvre des bonnes pratiques d’hygiène.
  • Le personnel se sachant atteint d’une hépatite E doit être incité à obtenir un avis médical et à ne pas manipuler directement des aliments en période de contagiosité.
  • Les procédures de nettoyage-désinfection des surfaces et du matériel doivent être respectées, avec les désinfectants habituels.
  • L’eau utilisée dans la production des aliments que ce soit en tant qu'ingrédient, en contact direct avec les denrées ou pour le nettoyage des surfaces en contact avec elles, doit répondre aux exigences réglementaires.
  • Les viandes et abats de cochons de lait et de porcelets sont plus à risque de contamination et doivent être manipulés et traités en conséquence.
  • L’étiquetage des produits contenant du foie cru de porc doit porter lisiblement la mention « à consommer cuit à cœur ».
Conclusion

L’hépatite E demeure un enjeu de santé publique souvent sous-estimé, notamment en raison du grand nombre de cas asymptomatiques. Si la majorité des infections restent bénignes, certaines personnes, immunodéprimées ou atteintes de maladies hépatiques, sont à risque de complications graves, voire mortelles.

En France, l’exposition au VHE est principalement d’origine alimentaire, avec une contamination fréquente des produits à base de foie de porc cru ou peu cuit. Une meilleure sensibilisation du public, associée à une surveillance accrue et à la mise en place de mesures de prévention, tant pour les consommateurs que pour les professionnels en contact avec des animaux réservoirs, est indispensable pour réduire les risques de transmission.

Sources

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