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Fluoroquinolones : consommation en baisse depuis dix ans, mais mésusage persistant

Selon un rapport récent du GIS EPI-PHARE, la consommation des fluoquinolones en France a diminué de moitié entre 2014 et 2023. En parallèle, l’analyse des données de pharmacovigilance indique la persistance d’une utilisation hors AMM de ces antibiotiques.

David Paitraud 20 février 2025 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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L’utilisation des fluoroquinolones par voie orale a diminué de 50 % en France entre 2014 et 2023.

L’utilisation des fluoroquinolones par voie orale a diminué de 50 % en France entre 2014 et 2023.Aleksandr_Gromov / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) partage des informations récentes relatives aux fluoroquinolones concernant :

  • l’évolution de leur utilisation au cours de la dernière décennie : selon un rapport du GIS EPI-PHARE, la consommation des fluoroquinolones par voie orale a diminué de moitié entre 2014 et 2023. Si la consommation française est désormais inférieure à la moyenne européenne (5 % contre 7 %), elle reste largement supérieure en comparaison à d’autres pays européens comme l’Allemagne ;
     
  • les données de pharmacovigilance avec un focus spécifique sur les neuropathies périphériques et les troubles musculosquelettiques (TMS), qui sont des effets indésirables graves, invalidants et irréversibles. Ce rapport montre la persistance d’effets indésirables rapportés dans des situations de mésusage.

À l’appui de ces deux rapports, l’ANSM rappelle les éléments de bon usage des fluoroquinolones, et les situations dans lesquelles ces antibiotiques ne doivent pas être prescrits.

Le groupement d’intérêt scientifique EPI-PHARE (ANSM-Cnam) publie une étude d’utilisation en vie réelle en France des fluoroquinolones per os entre 2014 et 2023 [1]. Cette étude décrit l'évolution de la consommation de ces antibiotiques au cours des dix dernières années, montrant ainsi l'impact des mesures de sécurité européennes et françaises (cf. Encadré 1) sur leur prescription et leur consommation. 

Les données analysées ont été recueillies à partir du Système national des données de santé (SNDS) et portent sur les médicaments suivants : 

Concernant la delafloxacine (QUOFENIX - médicament hospitalier), aucune délivrance n'a été retrouvée entre 2014 et 2023, ce qui explique qu'elle ne soit pas retenue dans cette étude. 

*Ces médicaments ou spécialités ne sont plus commercialisés en France en 2024. L'énoxacine n'est plus commercialisée en France depuis 2015.

Encadré 1 - Fluoroquinolones : mesures de réduction des risques mises en place en France et en Europe au cours depuis 2016
  • 2015 : la norfloxacine, l’enoxacine et la loméfloxacine ont été retirées de la stratégie thérapeutique des infections urinaires bactériennes.
     
  • 2016 : recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS) de ne plus utiliser les fluoroquinolones dans la prévention des infections récidivantes des voies urinaires basses, notamment pour les cystites et les pyélonéphrites.
     
  • 2019 : restriction des indications des fluoroquinolones après réévaluation des effets indésirables au niveau européen : antibiotiques à réserver à certaines infections bactériennes pour lesquelles l’utilisation d’une fluoroquinolone est indispensable, et doivent être évités dans des situations où d’autres antibiotiques peuvent être utilisés.
     
  • Depuis 2022 : 
    • mise en ligne d'un dossier thématique sur le site de l'ANSM pour informer sur les risques d'effets indésirables associés aux fluoroquinolones,
    • mise en place d'un message d'alerte associé à un QR code renvoyant au dossier thématique de l'ANSM sur les boîtes de fluoroquinolones,
    • mise en place de messages dans les logiciels d'aide à la prescription et d'aide à la dispensation.

Une consommation divisée par deux en dix ans

L'étude montre que l'utilisation des fluoroquinolones a diminué de 50 % entre 2014 et 2023 en France :

  • environ 4,8 millions de délivrances en 2014 (3,5 millions de personnes) ;
  • environ 2,2 millions de délivrances en 2023 (1,7 million de personnes).

Cette baisse d'utilisation est observée :

  • dans toutes les classes d’âge ;
  • dans les différents rythmes de délivrance (délivrance unique, délivrances répétées).

Trois périodes se distinguent pendant la décennie

Les auteurs relèvent trois périodes dans l'utilisation des fluoroquinolones au cours de la dernière décennie (cf. Encadré 2) : 

  • une baisse marquée entre 2014 et 2019, de l'ordre de 40 % ; 
  • une période de stabilité entre 2020 et 2022 (pandémie de Covid-19) ; 
  • une reprise de la diminution après 2022.
Encadré 2 - Dynamique de la consommation des fluoroquinolones en France de 2014 à 2023

Une baisse constatée pour toutes les fluoroquinolones

Entre 2014 et 2023, une baisse d’utilisation a été enregistrée pour l'ensemble des fluoroquinolones, mais avec une dynamique différente selon les molécules (cf. Encadré 3) :

  • - 40 % pour l’ofloxacine : diminution constante jusqu'en 2023 ;
  • - 22 % pour la ciprofloxacine : forte diminution jusqu'en 2020 puis reprise de la consommation en 2022 ;
  • - 5 % pour la lévofloxacine : diminution irrégulière ;
  • - 72 % pour la moxifloxacine : forte diminution jusqu'en 2020 puis reprise de la consommation en 2022.

« L’utilisation de la norfloxacine et de la loméfloxacine avait chuté (- 86 % et - 79 % respectivement) entre 2014 et 2019 (année d’arrêt de leur remboursement) », soulignent les auteurs.

Les trois fluoroquinolones les plus utilisées en France restent l’ofloxacine (28,4 % en 2014 versus 36 % en 2023), la ciprofloxacine (23,4 % en 2014 versus 38,6 % en 2023) et la lévofloxacine (11,5 % en 2014 versus 23,2 % en 2023). À l’inverse, la moxifloxacine reste de loin la molécule la moins utilisée (3,3 % en 2014 versus 1,9 % en 2023).

Encadré 3 - Dynamique de la baisse de consommation selon les molécules de fluoroquinolone

Profil des prescripteurs de fluoroquinolones

Selon ce rapport, les principaux prescripteurs des fluoroquinolones par voie orale en secteur de ville sur toute la période 2014-2023 sont les prescripteurs libéraux, dont :

  • une majorité de médecins généralistes (85,7 % : 88 % en 2014 contre 82,9 % en 2023) ;
  • des urologues et des néphrologues (4,6 %) ;
  • des gynéocologues (1,6 %) ;
  • des ophtalmologues (1,4 %) ;
  • des ORL (1,3 %).

« La prescription chez les spécialistes libéraux a chuté dans la période d’étude alors qu’elle est restée quasiment stable chez les prescripteurs hospitaliers », notent les auteurs.

Un signe positif, mais une utilisation encore élevée par rapport à d'autres pays européens

L'étude proposée par le GIS EPI-PHARE montre que le taux d’incidence d’utilisateurs de fluoroquinolones est passé de 5,5 % en 2014 à 2,6 % en 2023, soit une baisse de 50 % environ, ce qui pour les auteurs peut être considéré comme un signe positif : « cette baisse reflète une meilleure conformité aux recommandations thérapeutiques, visant à limiter l'usage excessif des fluoroquinolones et à prévenir les résistances ».

Dans le paysage européen, la France affiche un taux d'utilisation des fluoroquinolones inférieure à la moyenne européenne (5 % versus 7 %) ; cette utilisation reste cependant plus élevée que dans certains pays européens dont l'Allemagne : « La consommation de fluoroquinolones de la France en 2023 était deux fois plus importante que celle de l'Allemagne ».

Si l'étude met en avant la dynamique de consommation des fluoroquinolones en France entre 2014 et 2023, ce travail reste limité en termes d'utilisation de ces antibiotiques, faute d'avoir accès aux indications médicales des traitements prescrits : « Cette absence d’information a limité notre possibilité d’explorer en profondeur l’utilisation des fluoroquinolones à usage systémique dans le cadre de leur recours hors AMM ».

Enfin, cette étude n'inclut pas les délivrances de fluoroquinolones prescrites à l'hôpital, ces données n'étant pas renseignées dans le SNDS.

Encourager un usage limité et approprié des fluoroquinolones

Dans leur conclusion, les auteurs du rapport EPI-PHARE incitent à « continuer à encourager un usage approprié et limité des fluoroquinolones » et à mener des études pharmaco-épidémiologiques supplémentaires « afin d’étudier leur mésusage et leurs effets indésirables ». 

Prenant acte des conclusions de ce rapport, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) rappelle [2] que les fluoroquinolones ne doivent pas être prescrites (cf. notre article du 6 juin 2023) :

  • pour traiter des infections non sévères ou spontanément résolutives ;
  • pour prévenir la diarrhée du voyageur ou les infections récidivantes des voies urinaires basses ;
  • pour traiter des infections non bactériennes, comme la prostatite (chronique) non bactérienne ;
  • pour traiter des infections de sévérité légère à modérée (notamment cystite, exacerbation aiguë de la bronchite chronique et de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), rhino-sinusite bactérienne aiguë et otite moyenne aiguë), à moins que les autres antibiotiques habituellement recommandés pour ces infections soient jugés inappropriés ;
  • à des patients ayant déjà présenté des effets indésirables graves avec un antibiotique de la famille des quinolones/fluoroquinolones.

L'utilisation concomitante de corticoïdes et de fluoroquinolones doit être évitée dans la mesure où elle augmente nettement le risque de tendinopathie.

Lorsqu'un antibiotique fluoroquinolone est prescrit, l'ANSM insiste sur l'importance :

  • d'informer le patient du bénéfice attendu et des risques potentiels ;
  • et de lui indiquer la conduite à tenir en cas d’effet indésirable.

Les fluoroquinolones ne doivent pas être utilisés dans des situations où le recours à d’autres antibiotiques est possible.

Focus sur les effets indésirables graves et irréversibles des fluoroquinolones

S'appuyant sur un rapport d'expertise de pharmacovigilance [3] réalisé par les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) de Paris et Marseille, l'ANSM souligne que « des situations de mésusage sont encore rencontrées, situations qui exposent au même risque d’effets indésirables ».

Ce rapport d'expertise, qui porte sur la période de janvier 2017 à fin août 2023, avait pour objectif de fournir une analyse qualitative et quantitative des effets indésirables très rares, graves, invalidants, persistants et potentiellement irréversibles associés aux fluoroquinolones, en particulier les neuropathies périphériques (101 cas analysés sur la période 2017-2023) et les troubles musculo-squelettiques (TMS - 611 cas analysés). Il met en évidence que certains de ces effets ont été rapportés dans des situations de mésusage (situation hors AMM pour environ 1/3 des cas de TMS), et par conséquent évitables.

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