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Personnes handicapées vieillissantes : nouvelle population, nouveaux défis pour les soignants

Aujourd’hui, les personnes en situation de handicap vivent plus longtemps et les professionnels de santé doivent faire face à de nouveaux défis : ceux du diagnostic, de l’accompagnement et de l’accueil de toute une nouvelle génération de patients à besoins particuliers.

Marion Berthon 18 février 2025 Image d'une montre8 minutes icon Ajouter un commentaire
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Dans les pays développés, l’espérance de vie des personnes handicapées s’allonge progressivement.

Dans les pays développés, l’espérance de vie des personnes handicapées s’allonge progressivement.Aiman Dairabaeva / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Le vieillissement récent des personnes en situation de handicap conduit à de nouvelles problématiques de suivi et d’orientation pour les professionnels de santé libéraux qui se voient confrontés à un accroissement de nouveaux patients à besoins spécifiques.

Des outils d’information ont été élaborés et recensés pour faciliter la prise en charge de ces patients au vieillissement accéléré et polymorphe. Le travail en réseaux de soins permet également d’anticiper la recherche des signes de vieillissement et de retarder la diminution des capacités fonctionnelles.

Sont considérées comme « personnes handicapées vieillissantes » celles ayant « entamé ou connu [leur] situation de handicap, quelle qu’en soit la nature ou la cause, avant de connaître par surcroît les effets du vieillissement » [1]. Or, depuis une trentaine d'années, on observe un allongement de l’espérance de vie des personnes en situation de handicap dans les pays ayant un bon accès aux soins.

Une nouvelle population

Les personnes porteuses d’une trisomie 21 (Syndrome de Down) représentent une bonne illustration de cette évolution : elles ont aujourd’hui une espérance de vie moyenne de soixante ans, quand celle-ci était estimée à dix ans au début du XXe siècle et à vingt-cinq ans dans les années 1980 [2]. « Il y a quelques années encore, il était difficile d’imaginer des personnes avec une trisomie 21 de près de soixante-dix ans en foyer de vie. Et pourtant, l’un de nos patients est né en 1955 », raconte Sophie Gense, infirmière en foyer de vie depuis treize ans. Cette progression spectaculaire s’explique « par la qualité de la prise en charge dans la petite enfance et par l’accompagnement dont ils peuvent aujourd’hui bénéficier à l’âge adulte », poursuit-elle.

Quelles spécificités de la prise en charge ?

Qu’il s’agisse d’un handicap moteur, cognitif, mental, psychique ou sensoriel, les personnes handicapées ont des besoins spécifiques, qui s’accentuent avec le vieillissement. De plus, de par leur handicap d’origine, elles présentent des capacités fonctionnelles et des réserves physiologiques diminuées qui conduisent à une physionomie particulière et polymorphe du vieillissement.

Les nouveaux défis diagnostiques liés à l’âge

L’avancée en âge est ainsi souvent accompagnée de complications spécifiques et de nouveaux handicaps, propres à chaque pathologie et à chaque individu. On retrouvera par exemple une prévalence plus importante de douleurs articulaires et musculaires chez les personnes atteintes de paralysie cérébrale, de cancers de l’œsophage chez celles présentant un polyhandicap avec reflux gastro-œsophagien chronique, et de maladie d’Alzheimer chez les individus avec une trisomie 21. Le diagnostic et le traitement des pathologies du vieillissement doivent faire l’objet d’un suivi particulier de ces populations [3].

La difficile question de l’accueil

Si leur prise en charge à l’adolescence et à l’âge adulte semble avoir été réfléchie, des lacunes se font sentir lors de l’avancée en âge. Peut-être par défaut d’anticipation suffisante des politiques de santé publique. En effet, il ne s’agit pas aujourd’hui d’être en capacité d’accueillir quelques nouveaux patients âgés, mais bien toute une nouvelle génération de personnes handicapées qui arrive pour la première fois à un âge avancé.

« Il est extrêmement difficile de trouver des structures adaptées, et les délais d’attente sont longs. Beaucoup d’établissements se trouvent dépassés et ne peuvent pas les accueillir, faute de personnel et d’équipements adéquats. Si de nouvelles unités spécialement dédiées aux personnes handicapées vieillissantes commencent à être créées dans certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), celles-ci restent encore largement insuffisantes », regrette Sophie Gense, forte de son expérience passée en Ehpad.

Les trois points de vigilance lors du suivi en ville

La recherche de signes de vieillissement revêt une importance particulière. Elle doit avoir lieu plus tôt pour la population générale, car les personnes handicapées vieillissent souvent plus vite.

Premier mot d’ordre : l’anticipation

Chez les personnes handicapées, les consultations liées à l’avancée en âge devraient intervenir vers 40-45 ans.

Les bilans de prévention de l’Assurance maladie peuvent ainsi être l’occasion de mener ces consultations [4].

« Tout réside dans l’anticipation et dans la prévention, remarque Sophie Gense. C’est ce qui permet aux patients, mais aussi aux équipes soignantes, d’appréhender l’avancée en âge avec le moins de difficultés possible. » Il est en effet primordial de prévenir pour maintenir les acquis et l’autonomie de ces personnes chez qui l’âge physiologique prend le pas sur l’âge chronologique.

Savoir détecter les premiers signes de vieillissement

On distingue habituellement trois profils :

  • le profil robuste : avec un vieillissement présentant un maintien ou une atteinte très modérée des capacités fonctionnelles ;
  • le profil fragile : avec un vieillissement accompagné d’une vulnérabilité et d’incapacités à accomplir des activités de la vie quotidienne ;
  • le profil pathologique : avec un vieillissement accompagné d’une perte d’autonomie, d’apparition de maladies chroniques et de syndromes gériatriques comme les chutes, la dénutrition, la confusion, l’incontinence, la perte de mobilité…

Des caractéristiques à nuancer et à adapter bien entendu, car chaque patient et chaque handicap sont uniques et nécessitent un accompagnement spécifique et personnalisé, avec pour objectif atteignable de bien vieillir. Pour le Pr Claude Jeandel, gériatre, directeur de l’École de gérontologie de l’université de Montpellier et conseiller médical de la fondation Partage et Vie, « il est nécessaire de repérer la notion de changement induit par la réduction des capacités fonctionnelles, d’identifier les déterminants de ce changement, d’en comprendre et expliquer les causes et d’évaluer les solutions envisageables ».

Agir vite, pour permettre aux patients de bien vieillir

La particularité du vieillissement des personnes en situation de handicap est qu’il peut évoluer rapidement et précocement, avec toutefois une possibilité de réversibilité. « Il convient d’éviter le fatalisme “il a un handicap”, ce dernier peut certes s’aggraver avec l’avancée en âge, mais il est souvent possible d’atténuer ou de retarder cette aggravation », nuance le Pr Claude Jeandel. « Tous les résidents sont différents et surprenants, renchérit Sophie Gense, l’infirmière. Certains vont être fragiles et malades toute leur vie, mais pas plus en étant âgés. D’autres, qui étaient au contraire en pleine santé, vont voir leur état se dégrader très vite. »

Les réseaux et outils disponibles pour faciliter le suivi

Le médecin libéral peut rapidement se sentir isolé, car la coordination des soins peut être complexe et nécessiter l’intervention de nombreux professionnels de santé médicaux et paramédicaux, parmi lesquels le plus souvent celle d’un médecin généraliste, d’un cardiologue, d’un neurologue, d’un gériatre, d’un rhumatologue, d’un psychiatre, d’un ophtalmologue, d’un ORL, d’un gynécologue, d’un kinésithérapeute, d’un orthophoniste, d’un ergothérapeute, d’un infirmier...

Connaître les réseaux de soins et d’aide à la personne

Différents types de dispositifs se mettent en place sur tout le territoire :

  • soins dédiés au handicap (HandiConsult en cas d’échec des soins primaires [5]) ;
  • réseaux pour les soins dentaires [6] ou gynécologiques [7]…),

Il existe des centres ressources qui permettent d’obtenir des avis experts :

  • filières de santé maladies rares [8] ;
  • centres mémoire [9],
  • centres ressources pour le handicap psychique [10]…

Peuvent également être sollicités [11] :

  • des offres de soins à domicile ou en hôpital de jour ;
  • des services d’accompagnement médico-sociaux ;
  • des solutions d’hébergement.

Se développent aussi des équipes mobiles d’accompagnement pour personnes handicapées au sein de certains établissements de santé [12].

S’appuyer sur les aidants et les professionnels de santé de proximité

Pour faciliter les dépistages et le suivi, les médecins peuvent s’appuyer sur les personnels de santé de proximité, sur les aidants et sur les familles, en particulier lorsqu’il s’agit d’assurer le suivi d’un patient dyscommunicant. « On connaît les patients, leurs bobos, leur évolution, les modifications de comportement, explique Sophie Gense. On ne détient pas le savoir médical, mais on bénéficie de l’expérience. »

La présence d’un aidant ou d’une personne de confiance lors des consultations est facilitante pour le médecin, comme pour le patient, car elle permet à la fois de rendre plus simple le dialogue, de remonter les informations et de mettre le patient en confiance.

HandiConnect.fr : des outils à la disposition des professionnels de santé

Plusieurs outils sont disponibles pour aider les professionnels de santé à repérer la fragilité, la perte d’autonomie, la dénutrition, les troubles neurocognitifs, la dépression, les autres troubles psychiatriques, ainsi que les besoins des patients pour l’accès aux aides.

Ces échelles de repérage ont été recensées sur HandiConnect.fr qui a publié trois fiches-conseils destinées aux professionnels de santé :

Une prise en charge anticipative et collaborative

Anticipation, prévention, information et alliance thérapeutique sont les maîtres-mots de l’accompagnement vers le bien vieillir des personnes en situation de handicap. Une prise en charge de toute une nouvelle génération de patients qui est rendue possible grâce au travail en réseau des médecins libéraux et des acteurs du soin en ville, en centres experts et en centres ressources.

Sources

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