Depuis 2008, 450 nouveaux produits de synthèse (NPS) ont été répertoriés en France, dont 17 en 2023.krisanapong detraphiphat / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images
Les nouveaux produits de synthèse sont des substances qui ne sont pas classées comme drogues et qui tentent de reproduire les effets des drogues illicites.
Au fur et à mesure de leur interdiction, les fabricants remplacent les produits par d’autres substances non encore identifiées par les autorités de contrôle.
Tromperies et adultérations sont fréquentes et les consommateurs ne connaissent ni la véritable nature des contenus ni leurs dosages, ce qui expose à un risque accru d’effets indésirables attendus ou non.
Le Système d'identification national des toxiques et des substances (SINTES), dispositif de veille mis en place par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), apporte un éclairage sur l’évolution des produits en circulation, ce qui peut conduire à des mesures préventives et législatives.
Les données sur l’année 2023, point SINTES n° 10, viennent d’être publiées.
Les nouveaux produits de synthèse (NPS pour New Psychoactive Substances) sont définis dans la directive (EU) 2017/2103 comme « un nouveau stupéfiant ou médicament psychotrope à l’état pur ou de préparation qui n’est pas contrôlé par les conventions des Nations unies sur les drogues, mais qui peut constituer un risque pour la santé publique comparable à celui que représentent les substances listées dans ces conventions ».
Ces substances, qui ne sont donc pas classées comme drogues (jusqu’à une éventuelle évolution de la législation), tentent de reproduire les effets des drogues illicites les plus connues. Elles sont réparties en différentes familles, selon leurs propriétés pharmacologiques et/ou leurs structures chimiques (cf. Encadré).
Leurs effets cliniques sont très variés (dépresseurs, stimulants, ou encore hallucinogènes). De plus, elles ont une puissance pharmacologique accrue qui augmente les risques d’overdose et d’addiction.
Parmi ces NPS, certains sont des anciens candidats médicaments dont le développement a été arrêté en raison d’un rapport bénéfice/risque défavorable.
C’est, par exemple, le cas de dérivés de benzodiazépines qui sont dotés d’une activité similaire (myorelaxante, anti-épileptique, hypnotique) et qui ne sont pas considérés comme stupéfiants.
Autre exemple : des dérivés de la kétamine (famille des arylcyclohexylamines) qui ont subi une légère modification chimique et qui miment l’action du produit anesthésique.
En France, les NPS les plus fréquemment rapportés appartiennent aux groupes des cannabinoïdes de synthèse et des cathinones de synthèse, produits qui tentent d’imiter respectivement, le cannabis d’une part, la MDMA (ecstasy) et la cocaïne d’autre part.
Cathinones dont les 3-MMC, 3-CMC Cannabinoïdes de synthèse Phénéthylamines Arylcyclohexylamines (méthoxétamine, famille de la kétamine et PCP) et arylalkylamines (6-APB) Tryptamines Opioïdes de synthèse dont les fentanyloïdes et nitazène Pipérazines Benzodiazépines (BZD) de synthèse ou research chemicals BZD (RC-BZD) Pipéridines et Pyrrolidines Aminoindanes Autres |
Au fur et à mesure de leur interdiction, les fabricants remplacent les NPS par d’autres substances non encore identifiées par les autorités de contrôle et, comme dans le cas du dopage, les fabricants vont plus vite que les contrôles !
Tant qu’ils ne sont pas interdits, ils sont facilement accessibles notamment dans les boutiques CBD, cette accessibilité étant le premier facteur expliquant leur attrait pour les consommateurs.
La diversité des présentations commerciales des NPS pose le problème de la connaissance du consommateur sur la véritable nature des contenus et sur leurs dosages, qui sont très variables d’un produit à un autre, ce qui accroît le risque d’effets indésirables.
Plein feux sur les cannabinoïdes de synthèse...
Les cannabinoïdes de synthèse se lient aux mêmes récepteurs cannabinoïdes que le delta-9-tétrahydrocannabinol (∆-9-THC), mais ils sont de structures chimiques diverses. Ils miment ainsi des effets psychoactifs du THC, mais leurs effets, durée et puissance d’action varient d'une molécule à l'autre.
Ces molécules synthétiques sont le plus souvent fabriquées par des entreprises en Chine et vendues initialement sur internet. Elles sont également revendues sous forme reconditionnée avec une autre appellation. Ces produits sont ainsi consommés sous différentes formes : poudre pulvérisée sur des morceaux de plantes faiblement psychoactives (« spice »), ou du tabac, ou sous la forme d’e-liquide.
Ils ne contiennent pas de THC, ce qui rend leur utilisation non repérable par les tests classiquement utilisés pour le cannabis.
... et les cathinones
Les cathinones de synthèse sont des dérivés de la cathinone naturelle, un des principes actifs du khat (arbuste cultivé dans l’est africain et le sud-ouest de la péninsule arabique), largement consommé dans un cadre social dans diverses régions du monde. Les cathinones de synthèse imitent plus ou moins les effets de la cocaïne, de la MDMA et des amphétamines. Elles se présentent le plus souvent sous forme de poudre, parfois en gélules et plus rarement en comprimés. Les molécules en circulation sont extrêmement variées : quelque 170 molécules appartenant aux cathinones de synthèse ont été identifiées en Europe et notifiées à l’Early Warning System entre le début des années 2000 et 2023.
SINTES : un éclairage sur la composition des produits et un système d'alerte
Mis en place par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) en 1999, le dispositif Système d’identification national des toxiques et des substances (SINTES) est un outil d’observation de la composition des produits psychoactifs illicites ou non réglementés. Il constitue également un outil de veille sanitaire au niveau national et européen [1].
Grâce à un réseau de 17 coordinations locales (dont 2 en outre-mer), ce dispositif permet d’analyser et de surveiller la composition de produits psychoactifs collectés au plus près des usagers de drogues.
Ce dispositif comporte deux volets.
Le volet « observation », qui apporte un éclairage ponctuel sur la composition d’un produit spécifique à une période donnée. Il fonctionne en étroite collaboration avec le réseau Tendances récentes et nouvelles drogues (TREND) de l’OFDT, en documentant et collectant des échantillons de manière indifférenciée (sans motif particulier) [2].
Le volet « veille », correspondant français des Systèmes d’alerte précoce européens Early warning system et European drug alert system, est un système d’information rapide qui permet de transmettre des signalements d’événements sanitaires graves ou inhabituels et de substances présentant un caractère nouveau (forme, composition, nom…) ou particulièrement dangereuses.
En 2023, 731 échantillons ont été collectés par ce dispositif, dans le cadre de ses activités d’observation et de veille (à l’occasion d’un événement indésirable grave ou non connu par exemple).
Les collectes réalisées dans le cadre d’une veille active, afin de cibler des catégories de produits impliqués dans des signalements d’effets inattendus (24 %, n = 173) ou d’effets indésirables graves (15 %, n = 112), ont augmenté.
Les collectes ont concerné principalement la cocaïne et l’héroïne.
Une cocaïne très concentrée, des héroïnes adultérées et des teneurs en THC plus élevées
Les collectes de cocaïne soulignent la forte concentration en cocaïne en constante augmentation et une cocaïne peu adultérée (l’adultération étant l’ajout d’une molécule pharmacologiquement active dans la composition d’un produit stupéfiant afin d’augmenter son poids total à la revente).
Si pour l’héroïne, les valeurs indicatives de teneur restent stables, des échantillons d’héroïne adultérée aux cannabinoïdes de synthèse, voire ne contenant que ces produits, ont fait l’objet d’une alerte sanitaire en Île-de-France.
Pour le cannabis, le point SINTES n° 10 met en évidence de nouvelles formes du produit, avec des teneurs élevées en THC.
En 2023, il y a eu peu de collectes de cocaïne rose, qui correspond le plus souvent à une association de kétamine et de MDMA.
Une diversification des cannabinoïdes de synthèse
La circulation d’hexahydrocannabinol (HHC), cannabinoïde de synthèse, apparu en France en 2022, et classé comme stupéfiant en juin 2023, est confirmée, tout comme celle d’autres cannabinoïdes hémi-synthétiques.
Une diversification des produits contenant des cannabinoïdes de synthèse, notamment sous une forme comestible, a été observée en 2023.
Quelles conséquences de la teneur élevée du cannabis en THC ?
Quelque 13 collectes en lien avec une intoxication aiguë au cannabis ont été réalisées en 2023 à la suite de la survenue d’événements indésirables graves : tachycardie, confusion, nausées, hyperémèse, convulsion, hallucinations. Les personnes avaient consommé des produits très concentrés ou adultérés avec des cannabinoïdes de synthèse.
Par ailleurs, les produits comestibles issus du cannabis qui sont en vente libre constituent un enjeu, en raison d’un possible effet cumulatif. En effet, la réglementation permet actuellement un taux résiduel maximal en ∆-9-THC de 0,3 %. Mais plusieurs cas d’intoxications aiguës, avec un tableau clinique évocateur d’un toxidrome cannabinoïde à la suite de l’ingestion de produits comestibles, respectant pourtant la réglementation, ont été rapportés. Ceci pose la question de la masse totale du produit consommée et de l’impact d’une exposition répétée conduisant à l’absorption d’une dose cumulée en ∆-9-THC pouvant provoquer des effets psychoactifs. Ce phénomène a été observé en particulier avec les gummies, souvent consommés dans un cadre festif.
Autre enjeu : les e-liquides qui contiennent une grande variété de cannabinoïdes de synthèse consommés par des usagers jeunes (âge modal de 18 ans). En 2023, l’analyse des 28 échantillons d’e-liquides ou liquides de vapotage collectés a mis en évidence la présence exclusive de cannabinoïdes de synthèse. Cinq de ces échantillons avaient été obtenus sous la dénomination PTC (« Pète Ton Crâne ») et deux sous la dénomination « Buddha Blue ». Cinq avaient été présentés comme du CBD.
Cathinones : de la 3-MMC à la 3-CMC
La 3-MMC (3-methylmethcathinone) est une molécule synthétique dérivée des cathinones, qui avait été très médiatisée. Elle est souvent qualifiée dans les médias de nouvelle cocaïne à cause de ses propriétés stimulantes. La 3-MMC a été très peu identifiée en 2023 et elle est remplacée principalement par la 3-CMC (3-chlorométhcathinone), qui peut entraîner des complications neuropsychiatriques plus marquées. En 2023, des événements indésirables graves (paresthésies, tremblements, agitation, état obsessionnel, paranoïa, anxiété, hallucinations, hétéro-agressivité) ont été à l’origine de 13 collectes. Le point SINTES indique une collecte dans un contexte de chemsex dans 23 % des cas et dans un cadre festif dans 17 % des cas.
Les nitazènes, nouvelle menace opioïde ?
Des nitazènes, une nouvelle classe d’opioïdes de synthèse, 500 fois plus puissants que la morphine, répertoriés comme stupéfiant en juillet 2024 par l’ANSM, ont été identifiés dans neuf collectes, notamment dans le cadre de deux alertes sanitaires à Montpellier et à la Réunion. Il ne s’agit pas d’une vague homogène sur tout le territoire. Cependant, la vigilance s’impose compte tenu des effets secondaires très sévères qu’ils peuvent induire.
Quid des tromperies et adultérations ?
Les suspicions de tromperies, comprenant la présence d’adultérants atypiques, sont des motifs fréquents de recours au dispositif SINTES en lien avec la survenue d’effets inattendus :
- absence d’effets pour les produits faiblement concentrés en substance active ;
- effets différents de ceux anticipés par l’usager ;
- complications cliniques incohérentes avec le contenu supposé ;
- ou encore conséquence d’adultérations avec des substances de classe pharmacologique inhabituelle.
Les échantillons analysés au cours de l’année contenaient effectivement les produits psychoactifs supposés dans seulement 63 % des cas. Parmi les échantillons ne comportant pas les produits psychoactifs supposés : 42 % contenaient d’autres produits psychoactifs et 28 % ne comprenaient aucun produit psychoactif.
Au cours de l’année, on a observé notamment une hausse de la circulation d’héroïne adultérée aux cannabinoïdes de synthèse et la diffusion de produits à base de CBD adultérés à des cannabinoïdes hémi-synthétiques. 30 % des tromperies concernent la 3-MMC.
Ces tromperies ne sont pas sans conséquences, puisqu’elles exposent à des effets cliniques non attendus, et à une mauvaise prise en charge. Un décès est ainsi survenu chez un usager régulier d’héroïne victime d’une overdose, qui avait consommé non pas ce qu’il pensait être de l’héroïne, mais un opioïde de synthèse encore plus puissant nécessitant une prise en charge avec des doses beaucoup plus élevées de naloxone.
D’après un entretien avec Sabrina Cherki, toxicologue, coordinatrice nationale du SINTES.
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.