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Les cellules CAR-T, une révolution thérapeutique dans la prise en charge du cancer

Les cellules CAR-T sont indiquées dans certains lymphomes/leucémies en impasse thérapeutique. Quelles sont les informations utiles à connaître sur ces nouvelles immunothérapies high-tech ? Décryptage avec le Dr Marianne Delville, spécialisée en thérapie génique et cellulaire.

Marianne Delville 09 janvier 2025 Image d'une montre21 minutes icon Ajouter un commentaire
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Réarmer les leucocytes du patient pour les transformer en cellules tueuses de tumeurs.

Réarmer les leucocytes du patient pour les transformer en cellules tueuses de tumeurs.Naeblys / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

La technique des lymphocytes T CAR ou cellules CAR-T (en anglais CAR pour Chimeric Antigen Receptor) combine thérapie cellulaire et thérapie génique pour reprogrammer les cellules T du patient afin qu’elles reconnaissent spécifiquement un antigène des cellules tumorales et les détruisent de façon ciblée.

La fabrication de cette immunothérapie anticancéreuse high-tech est un processus très coûteux et complexe (quatre étapes principales) qui nécessite de 4 à 6 semaines.

Une quarantaine de centres ont la qualification en France pour administrer ces traitements. La prise en charge exige des ressources similaires à celles nécessaires pour une greffe et s’organise en lien avec les centres de référence.

Les patients ou leurs aidants doivent porter en permanence la « Carte d’alerte patients » à montrer à tous les médecins ou professionnels de santé consultés. 

Ces médicaments vivants représentent un véritable espoir pour certains patients atteints de lymphome, de leucémie ou d’un myélome, en impasse thérapeutique et/ou trop âgés pour subir une autogreffe.

Cinq spécialités CAR-T (qui s’administrent toutes en une dose unique sous forme de perfusion) sont commercialisées en France :

  • BREYANZI (lisocabtagène maraleucel), KYMRIAH (tisagenlecleucel), TECARTUS (brexucabtagène autoleucel) et YESCARTA (axicabtagène ciloleucel), dont l’antigène cible est le CD19, sont indiqués :
    • chez l’adulte dans différents types de lymphomes (à grandes cellules B, du manteau, folliculaire), en rechute ou réfractaires, après la deuxième ligne ou plus d’un traitement systémique,
    • chez l’adulte ou l'enfant dans certaines leucémies aiguës à cellules B réfractaires ou en rechute ;
  • ABECMA (idécabtagène vicleucel), dont l’antigène cible est le BCMA, est indiqué chez l’adulte pour le myélome multiple en rechute et réfractaire, ayant reçu au moins trois traitements antérieurs.

La Haute Autorité de santé (HAS) a jugé que le service médical rendu de ces cinq spécialités était important. 

Du côté de la tolérance, on distingue principalement les effets indésirables :

  • à court terme (jours/semaines) : syndrome de libération de cytokines, syndrome de neurotoxicité associé aux cellules effectrices immunitaires, syndrome de lyse tumorale ;
  • à moyen terme (semaines/mois) : cytopénies prolongées, infections ;
  • et à long terme (mois/années) : hypogammaglobulinémie, récidive tumorale, tumeurs secondaires.

Les effets à court terme sont pris en charge dans les centres experts. Le médecin traitant est plutôt confronté aux effets à moyen et long terme qui sont plus « classiques » suite aux traitements d’une hémopathie maligne.

L’efficacité dans la vraie vie et la tolérance sont en général très ­proches des résultats des essais cliniques.

D’après le registre national DESCAR-T, plus de 4 000 malades ont été traités à ce jour en France et 42 500 dans le monde.

Le médecin traitant ne doit pas hésiter à faire appel aux médecins du centre de référence si besoin, car ces patients sont fragiles (un peu comme des allogreffés).

La thérapie par cellules CAR-T, bien que principalement utilisée pour traiter les cancers hématologiques réfractaires et récurrents, est également en cours d'exploration pour son potentiel dans le traitement des maladies auto-immunes et des tumeurs solides.

Dernière avancée majeure en immunothérapie anticancéreuse (cf. Encadré 1), la technique des lymphocytes T CAR ou cellules CAR-T (en anglais CAR pour Chimeric Antigen Receptor) combine thérapie cellulaire et thérapie génique pour reprogrammer les cellules T du patient à des fins thérapeutiques. Cette approche innovante permet une reconnaissance et une destruction ciblées des cellules tumorales.

VIDAL. Quel est le principe de cette immunothérapie ?

Dr Marianne Delville. Il s’agit d’une immunothérapie ciblée qui repose sur la capacité des lymphocytes T à être cytotoxiques après avoir été activés.

Pour rappel, la réponse immunitaire cellulaire implique les lymphocytes T qui, via leur récepteur antigénique TCR (T Cell Receptor), reconnaissent des antigènes présentés par le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) des cellules infectées. Le lymphocyte T interagit à la fois avec l’antigène présenté par les cellules infectées et la molécule du CMH, ce qui entraîne son activation et son action cytotoxique.

Dans la thérapie CAR-T, les lymphocytes T sont génétiquement modifiés afin d’exprimer à leur surface un récepteur antigénique chimérique conçu pour reconnaître spécifiquement un antigène de la cellule tumorale. À l’instar de la réponse immunitaire cellulaire, l’engagement du CAR avec son antigène va conduire à l’activation des lymphocytes T, leur prolifération, la sécrétion de cytokines et la destruction ciblée de la cellule tumorale.

Ce traitement est complètement personnalisé : il dépend à la fois des lymphocytes T du malade et de l’antigène porté par la tumeur à cibler.

Quelles sont les grandes étapes de préparation des lymphocytes CAR-T ?

La fabrication de ces médicaments vivants est un processus très complexe, coûteux et long (de 4 à 6 semaines) qui comporte quatre étapes (cf. Figure).

Figure - Fabrication et transfert adoptif de cellules CAR-T

 

Leucaphérèse, isolement des lymphocytes T et envoi en laboratoire

Les lymphocytes T sont isolés du sang périphérique du patient via une leucaphérèse, procédure médicale qui est utilisée pour prélever les leucocytes du sang d'un patient ou d'un donneur. En pratique, le sang passe à travers une machine d’aphérèse qui isole et permet le recueil les leucocytes, tandis que les autres composants sanguins, comme les hématies et le plasma, sont restitués à la circulation sanguine. Cette filtration continue du sang dure 3 à 6 heures. Les cellules obtenues constituent la base pour la modification génétique. Les poches récoltées sont envoyées dans un laboratoire de production des cellules CAR-T. Les principaux sites de production des cellules CAR-T en Europe sont localisés actuellement en Suisse, en Belgique, en France, au Royaume-Uni, et en Allemagne.

Transduction et construction du récepteur CAR

La transduction (transfert de matériel génétique) est effectuée à l’aide de vecteurs viraux (lentivirus ou rétrovirus) qui vont véhiculer, dans les noyaux des lymphocytes T, un gène chimérique (séquence d’ADN complémentaire) codant pour le récepteur CAR.

Ce récepteur est dit chimérique, car il est constitué artificiellement :

  • d'un domaine extracellulaire similaire à la portion variable des anticorps ;
  • d'un domaine intracellulaire similaire aux récepteurs des lymphocytes T (TCR).

Le domaine extracellulaire est un anticorps monoclonal ou bispécifique qui va permettre de reconnaître l’antigène cible de la cellule tumorale. Les CAR-T sont principalement dirigés contre le CD19, exprimé spécifiquement sur les lymphocytes B, ou contre le BCMA (B-cell maturation antigen), exprimé plus spécifiquement sur les plasmocytes, pour le traitement du myélome.

Le domaine intracellulaire permet de déclencher le signal d'activation du lymphocyte. Cette partie intracytoplasmique de costimulation et de signalisation est essentielle pour l’activation et la persistance des cellules T génétiquement modifiées.

Le domaine transmembranaire ancre le récepteur à la membrane plasmique du lymphocyte T.

Expansion cellulaire et caractérisation

Les lymphocytes T modifiés (cellules CAR-T) sont ensuite cultivés in vitro pour une expansion massive. Leur viabilité, l’expression du CAR, et leur phénotype, sont rigoureusement contrôlés avant la réinfusion.

Conditionnement et réinjection

Avant l’administration des CAR-T, une chimiothérapie visant à éliminer une partie des lymphocytes naturels (conditionnement lymphodéplétif) est prescrite. Cela permet de « faire de la place » aux cellules T modifiées (réduire la compétition) et améliorer leur expansion et leur fonction in vivo.

Les cellules CAR-T une fois réinjectées ciblent spécifiquement les cellules tumorales exprimant l'antigène cible. Elles continuent à se multiplier dans l’organisme du patient puis leur nombre se réduit. Pour certains, la persistance des CAR-T est nécessaire au maintien d’une réponse thérapeutique prolongée. Des recherches sont en cours pour améliorer la persistance et l’efficacité des CAR-T à moyen et long terme.

Le traitement est efficace en une seule administration.

Deux semaines après l'injection des cellules CAR-T, la plupart des patients peuvent rentrer chez eux. Ils doivent ensuite rester à proximité de l'hôpital pour différentes consultations pendant 2 à 4 semaines. La surveillance est ensuite mensuelle.

Combien de médicaments CAR-T sont commercialisés en France ? Quelles sont leurs principales indications ?

Nous bénéficions actuellement en France de quatre médicaments CAR-T dont l’antigène cible est le CD19. Ils représentent un véritable espoir pour certains patients atteints de lymphome ou de leucémie en impasse thérapeutique et/ou trop âgés pour subir une autogreffe. Ils sont indiqués :

  • chez l’adulte dans différents types de lymphomes en rechute ou réfractaires, en deuxième ligne ou plus d’un traitement systémique ;
  • chez l’adulte ou l'enfant dans certaines leucémies aiguës lymphoblastiques à cellules B ou à cellules précurseurs B réfractaires ou en rechute.

Il s’agit des médicaments suivants :

Par ailleurs, deux autres médicaments, ayant pour antigène cible le BCMA, sont indiqués chez l’adulte pour le myélome multiple (MM) en rechute et réfractaire, ayant reçu au moins trois traitements antérieurs (4e ligne) :

Ces différents médicaments, à usage hospitalier dans des centres qualifiés, s’administrent en une dose unique sous forme de perfusion. Le prix d’un flacon est de 250 000 à 350 000 euros environ selon les produits. La prise en charge est réservée à des indications bien précises (cf. monographies du Vidal).

Quels sont les principaux résultats des essais d’enregistrements ?

Les thérapies par cellules CAR-T ont montré des résultats prometteurs avec des taux de réponse et de survie globale significativement améliorés chez des patients atteints de cancers hématologiques réfractaires. Ces résultats varient selon l’indication thérapeutique, les caractéristiques du patient et les spécificités du traitement CAR-T utilisé. Depuis 2018, la Haute Autorité de santé (HAS) a jugé le service médical rendu « important » pour les cinq CAR-T actuellement commercialisées en France et autorisées dans des cancers du sang [1, 2, 3, 4, 5, 6].

Voici quelques chiffres. Il ne s’agit pas d’une synthèse exhaustive de la littérature, mais des principaux résultats, avec le plus long suivi.

Lymphome B diffus à grandes cellules

Dans l’essai pivot ZUMA-1 (Axi-cel), la survie globale à 2 ans des patients ayant un lymphome B diffus à grandes cellules (DLBCL) réfractaire et traité par axicabtagène ciloleucel (YESCARTA) est de 54 % alors qu’elle n’est que de 20 % dans l’étude SCHOLAR-1 chez des patients traités par chimiothérapie conventionnelle [7]. Les données actualisées de ZUMA-1, publiées en 2021, confirment ces résultats. Le taux de réponse complète est de 58 % dans la population en intention de traiter, dont 31 % des patients toujours en réponse complète lors de l’analyse à 63 mois avec un taux de survie globale à 5 ans de 43 % [7].

De façon similaire, dans l’étude JULIET (Tisa-cel), le taux de réponse complète sous tisagenlecleucel (KYMRIAH) est de 41 % et la survie globale est à 12 mois de 49 %. À la dernière analyse, 23 % des patients traités étaient toujours en réponse complète avec un suivi médian de 40 mois [8].

Lymphome à cellules du manteau

Dans l’étude ZUMA-2 (Brexu-cel), le taux de réponse complète sous brexucabtagène autoleucel (TECARTUS) de patients traités pour un lymphome à cellules du manteau est de 67 % à 12 mois. La médiane de survie globale n’était pas atteinte et a été estimée à 63,2 % à 36 mois [9].

Leucémie lymphoblastique aiguë (LLA)

Dans les études ELIANA [10] et ENSIGN (Tisa-cel) [11], il a été observé chez des adultes et/ou des enfants ayant une leucémie lymphoblastique aiguë (LLA), un pourcentage de rémissions complètes sous tisagenlecleucel (KYMRIAH) de 60 à 70 % de la population ITT à 6 mois, et d'au moins un tiers des patients après un suivi médian de plus de 3 ans. La médiane de survie est établie entre 15 à 23 mois selon l’étude.

Myélome multiple

L’étude KarMMa-3 (Ide-cel) chez des adultes atteints de myélome multiple (MM) a mis en évidence un taux de réponse globale sous idécabtagène vicleucel (ABECMA) de 71 % contre 42 % dans le groupe recevant le traitement de référence et une amélioration de la survie sans progression de 8,9 mois (p > 0,0001) [12].

Et dans la vraie vie ?

Selon les registres, l’efficacité dans la vraie vie est en général très ­proche des résultats des essais cliniques.

Par exemple, les données en vie réelle (registre national DESCAR-T) sur les patients traités par idécabtagène vicleucel (ABECMA) vont dans le même sens que celles de l’essai d’enregistrement KarMMa-3. Au total, le taux de réponse globale est de 90 % (dont 80 % à 1 mois). Le taux de survie estimé à 12 mois est de 73 %, la médiane de survie sans progression de 12,5 mois et la survie globale médiane de 20,8 mois. Les 159 malades qui ont bénéficié de ce traitement pour un MM étaient âgés de 61 ans en moyenne (de 34 à 82 ans) et avaient reçu en médiane 4 lignes de traitements antérieurs [13].

Des études rétrospectives ont essayé de comparer les données de suivis de patients traités par autogreffe de cellules souches hématopoïétiques versus des patients traités par CAR-T dans le lymphome B diffus à grande cellule. La plus récente de ces publications date de 2024 [14] et montre que l’autogreffe à 2 ans est associée à une meilleure survie sans récidive (66,2 % contre 47,8 % ; p  < 0,001) et à une diminution du taux de rechute (27,8 % versus 48 % ; p < 0,001). Cependant, ces études rétrospectives présentent de potentiels biais ayant induit une sous-estimation des résultats cliniques dans le bras CAR-T. Un essai prospectif randomisé est nécessaire pour une meilleure comparaison.

Combien de centres peuvent délivrer ces traitements en France en 2024et quelles sont leurs caractéristiques ? 

En 2024, une quarantaine de centres ont la qualification en France et sont autorisés à administrer ces médicaments vivants.

Les centres répartis sur le territoire doivent disposer de l'infrastructure nécessaire pour gérer la logistique complexe de cette thérapie, y compris l'aphérèse, la transformation cellulaire, et le traitement des effets secondaires comme le syndrome de relargage des cytokines et les toxicités neurologiques. En France, la transformation cellulaire est centralisée avec envoi des cellules, parfois à l’étranger (Belgique, Suisse…). 

Le service clinique prenant en charge le patient doit être autorisé à pratiquer des greffes et une réanimation est nécessaire pour traiter les effets secondaires. Le traitement s'organise comme pour les patients traités par une allogreffe, en lien avec le centre de référence.

Les patients ou leurs aidants doivent porter en permanence la « Carte d’alerte patients » à montrer à tous les médecins ou professionnels de santé consultés. 

Combien de patients sont ou ont été actuellement traités avec ces thérapies ?

D'après le registre national DESCAR-T, plus de 4 000 malades ont été traités à ce jour en France (environ 42 500 dans le monde) pour un lymphome dans 80 % des cas, un myélome dans 13 % des cas et une leucémie aiguë lymphoblastique dans 7 % des cas environ.

Ce registre, qui a pour objectif de recueillir les données de suivis des patients éligibles à un tel traitement depuis juillet 2018, permettra notamment d'évaluer l’efficacité et la sécurité des CAR-T en vie réelle, à court et à long terme, et leur place dans les stratégies thérapeutiques actuelles.

Quels sont les principaux effets indésirables ?

Les données de tolérance des CAR-T ont été établies lors des essais « pivot » et consolidées par l’expérience postcommercialisation chez plusieurs dizaines de milliers de patients traités à ce jour. Les principaux effets indésirables sont listés selon leur délai de survenue postadministration (résumé des caractéristiques du produit [RCP] et avis de la Commission de la transparence de la HAS) [1, 2, 3, 4, 5, 6, 15].

Un même symptôme peut orienter vers plusieurs effets indésirables.

Les effets à court terme sont pris en charge dans les centres experts. Le médecin traitant sera plutôt confronté aux effets à moyen et long terme qui sont plus « classiques » à la suite de traitements d’une hémopathie maligne.

Schématiquement, le patient peut être amené à consulter en urgence pour les symptômes suivants :

  • céphalées intenses et inhabituelles ;
  • ecchymoses/saignement inhabituels ;
  • fièvres/frissons, signes d’infection ;
  • dyspnée ;
  • asthénie, perte de poids, fièvre nocturne ;
  • adénopathies.

Et selon le contexte du cadre nosologique, ces symptômes peuvent orienter vers les diagnostics suivants :

  • infection qui doit faire rechercher une hypogammaglobulinémie/cytopénie ;
  • cytopénie prolongée ;
  • récidive tumorale ou tumeur secondaire ;

On distingue principalement les effets indésirables : 

  • à court terme (jours/semaines) (cf. Encadré 2) :
    • syndrome de libération de cytokines (en anglais CRS pour Cytokine Release Syndrome),
    • syndrome de neurotoxicité associé aux cellules effectrices immunitaires (en anglais ICANS pour Immune effector Cell-Associated Neurotoxicity Syndrome),
    • syndrome de lyse tumorale (en anglais TLS pour Tumoral Lysis Syndrome) ;
  • à moyen terme (semaines/mois) (cf. Encadré 3) :
    • cytopénies prolongées,
    • Infections ;
  • à long terme (mois/années) (cf. Encadré 4)
    • hypogammaglobulinémie,
    • récidive tumorale,
    • tumeurs secondaires.

Y a-t-il des traitements/médicaments qu’un médecin généraliste ne doit pas prescrire ou avec prudence chez un patient traité ou ayant été traité par cellules CAR-T ?

Il ne faut pas hésiter à faire appel aux médecins du centre de référence dès qu’il y a un doute, car ces patients restent fragiles (un peu comme des allogreffés). En particulier, les centres de référence doivent être contactés systématiquement avant d’administrer des corticoïdes et des médicaments potentiellement cytotoxiques ou immunosuppresseurs. Pour la vaccination, on peut retenir qu’elle doit être à jour avant le conditionnement et qu’elle est à différer à plus de 6 mois si le patient est en rémission avec reconstitution immunitaire. 

Quelles perspectives avec ces traitements ?

La thérapie par cellules CAR-T, bien que principalement utilisée pour traiter les cancers hématologiques réfractaires et récurrents, est également en cours d'exploration pour son potentiel dans le traitement des maladies auto-immunes. Une récente publication dans The New England Journal of Medicine (NEJM) [16] a pu montrer des résultats très prometteurs pour des patients atteints de lupus sévères, de myosites inflammatoires ou de sclérodermie. L’ensemble des 15 patients inclus ont présenté une amélioration de leur score clinique et ont pu être sevrés de leur traitement immunosuppresseur préalable. Actuellement, plus de 80 essais cliniques sont enregistrés avec l’objectif d’évaluer la place des CAR-T dans le traitement des pathologies auto-immunes.

Concernant les tumeurs solides, la thérapie par CAR-T présente des défis spécifiques car :

  • le micro-environnement tumoral des tumeurs solides est souvent immunosuppressif, contenant des cellules immunorégulatrices (comme les lymphocytes T régulateurs), des cytokines immunosuppressives (comme le TGF-β), et d'autres facteurs, qui inhibent l'activité des cellules CAR-T ;
  • la matrice extracellulaire des tumeurs solides est dense et peut physiquement empêcher l'infiltration des cellules CAR-T ;
  • le ciblage des antigènes tumoraux nécessite d’identifier des antigènes spécifiques aux tumeurs solides, et absents des tissus sains, ce qui est complexe ;
  • le ciblage d’antigènes partagés avec les tissus normaux peut provoquer une toxicité sur les tissus sains ;
  • les antigènes peuvent également varier au sein de la tumeur (hétérogénéité intra-tumorale) ;
  • les cellules CAR-T doivent persister suffisamment longtemps pour éradiquer la tumeur et prévenir les rechutes.

Pour répondre à ces enjeux, l’ingénierie des CAR-T vise à améliorer la persistance des cellules thérapeutiques. Les axes de recherche s’orientent vers l’association de cellules CAR-T, capable de dégrader la matrice extracellulaire afin de faciliter leur infiltration dans la tumeur, et de cellules CAR-T, spécifiques de plusieurs antigènes tumoraux simultanément pour surmonter l'hétérogénéité tumorale et réduire le risque de rechute.

Pour améliorer l’accès à ces thérapeutiques et alléger les procédés de fabrication, d’autres approches sont en cours de développement. En particulier, l’efficacité et les risques associés à deux approches sont en cours d’évaluation :

  • l’utilisation de cellules allogéniques à partir de banques de donneurs sains. Les cellules CAR-T allogéniques seront issues d’un donneur et pourront être réinjectées à un patient receveur (apparenté ou non) ;
  • la fabrication de cellules CAR-T in vivo grâce à l’utilisation de vecteurs viraux ciblant spécifiquement les lymphocytes.

La recherche est extrêmement active dans ce domaine et plus de 900 essais cliniques sont en cours de recrutement dans le monde…

Quel sera le rôle du médecin généraliste ?

À l’instar des autres traitements contre le cancer, le médecin généraliste sera amené à jouer un rôle clé dans le suivi des patients ayant bénéficié d’une thérapie par cellules CAR-T. Sa participation active dans la coordination des soins, la surveillance des effets secondaires, le soutien à la qualité de vie, et l'éducation du patient permettra de garantir une prise en charge complète et continue. Une collaboration étroite avec les spécialistes contribuera à améliorer les résultats à long terme et la qualité de vie des patients traités par ces nouvelles immunothérapies anticancéreuses.

Encadré 1 - Quelles stratégies d’immunothérapie anticancéreuse ?

L'immunothérapie est une approche thérapeutique qui exploite le système immunitaire du patient pour traiter la pathologie.

Elle peut renforcer ou moduler la réponse immunitaire pour améliorer sa capacité à détruire les cellules tumorales (immunothérapie active), ou elle peut agir directement sur la tumeur par le biais d’anticorps antitumoraux (immunothérapie passive).

Immunothérapie active

Immunothérapie active spécifique

  • Inhibiteurs de check-point immunitaire : dans le cadre du cancer, la stimulation antigénique chronique aboutit à l’épuisement de la réponse immune médiée par l’expression de différents régulateurs négatifs « check-point immunitaire » tels que PD-1, PD-L1, et CTLA-4. Ainsi, les inhibiteurs de ces check-points, en bloquant ces mécanismes de régulation négative, peuvent restaurer une réponse immune efficace.
     
  • Vaccins thérapeutiques : ils sont conçus pour traiter une maladie existante en stimulant une réponse immunitaire spécifique contre les cellules tumorales en administrant un ou plusieurs antigènes tumoraux. En particulier, on cherche à activer une réponse à lymphocytes T cytotoxiques.

Immunothérapie active non spécifique

  • Cytokines : augmenter la quantité ou l’activité de ces molécules dans l’organisme est une stratégie utilisée pour renforcer globalement la réponse immunitaire. Les cytokines, comme l'interleukine-2 (IL-2) et l'interféron, sont des protéines qui modulent la réponse immunitaire et peuvent être utilisées pour stimuler l'activité des cellules immunitaires contre les cancers.

Immunothérapie passive

Anticorps antitumoraux. Leur utilisation est réservée aux patients dont la tumeur présente le récepteur ciblé.

  • Les anticorps monoclonaux sont conçus pour cibler des antigènes spécifiques sur les cellules tumorales. Ils peuvent directement neutraliser les cellules tumorales ou « marquer » ces cellules pour une destruction par d'autres composants du système immunitaire.
  • Les anticorps bispécifiques sont conçus pour reconnaître deux cibles différentes à la fois. Ils peuvent ainsi rapprocher deux types cellulaires, notamment une cellule cancéreuse et un lymphocyte T capable de la détruire.
  • Les anticorps conjugués sont composés d’un anticorps monoclonal et d’une molécule toxique, ils permettent d’acheminer cette dernière au niveau de la cellule cancéreuse.

Immunothérapie adoptive

  • Thérapies cellulaires dont les cellules CAR-T, qui ciblent les cellules cancéreuses.

 

Encadré 2 - Effets indésirables des cellules CAR-T à court terme

 

 

Description

 

Fréquence

Symptômes

Prise en charge

Syndrome de libération de cytokines (Cytokine Release Syndrome [CRS])

Le CRS est une réponse inflammatoire systémique due à la libération massive de cytokines par les cellules CAR-T activées et d'autres cellules immunitaires mobilisées dans la réponse antitumorale.

Les CRS de forme légère à modérée (grades 1-2) concernent de 70 à 90 % des patients, et 10 à 30 % des patients pour les formes sévères (grades 3-4). 

Fièvre élevée, asthénie, céphalée, hypotension, tachycardie, hypoxie, et parfois insuffisance d'organes multiples.

Hospitalisation en milieu spécialisé (soins intensifs ou réanimation médicale), administration de tocilizumab (anticorps monoclonal anti-IL-6) et de corticostéroïdes pour contrôler l'inflammation.

Syndrome de neurotoxicité associé aux cellules effectrices immunitaires (Immune effector Cell-Associated Neurotoxicity Syndrome [ICANS])

Les effets neurotoxiques peuvent survenir en même temps que le CRS ou indépendamment.

L’ICANS léger à modéré concerne (grades 1-2) de 20 à 40 % des patients et 10 à 30 % des patients vont présenter une forme sévère (grades 3-4).

Céphalées, confusion, tremblements, aphasie, somnolence, convulsions, œdème cérébral sévère dans les cas graves.

Hospitalisation en milieu spécialisé (soins intensifs ou réanimation médicale), surveillance neurologique continue, traitement symptomatique et administration de corticostéroïdes.

 

Syndrome de lyse tumorale (Tumoral Lysis Syndrome [TLS])

Ce syndrome est la conséquence d’une libération rapide de produits de dégradation cellulaire dans le sang due à la destruction massive des cellules tumorales.

Peu fréquent, il concerne en moyenne 5 à 20 % des patients. Les formes sévères surviennent chez moins de 5 % des patients.

Hyperuricémie, hyperkaliémie, hyperphosphatémie, hypocalcémie, insuffisance rénale aiguë, arythmies cardiaques.

Hospitalisation en milieu spécialisé (soins intensifs ou réanimation médicale), hydratation agressive, traitement des troubles électrolytiques, uricolytique (allopurinol, rasburicase).

 

 

Encadré 3 - Effets indésirables des cellules CAR-T à moyen terme

 

 

Description

 

Fréquence 

Symptômes

Prise en charge

Cytopénies prolongées

 

Anémie, thrombopénie ou leucopénie prolongée après l'administration des cellules CAR-T.

 

Une anémie est observée chez 30 à 40 % des patients, une thrombocytopénie chez 20 à 40 % et une neutropénie chez 10 à 50 %.

 

Asthénie, dyspnée, tachycardie, ecchymoses, pétéchies, risques accrus de saignement, infection bactérienne et fongique.

Transfusions de sang et de plaquettes, administration de facteurs de croissance hématopoïétiques, surveillance étroite des signes d'infection.

Infections

 

Risque accru d'infections bactériennes, virales et fongiques en raison de l'immunosuppression et des cytopénies.

De 20 à 50 % des patients présentent une complication infectieuse virale ou bactérienne.

Fièvre, frissons, toux, douleur thoracique, symptômes gastro-intestinaux.

Prophylaxie antimicrobienne, surveillance rigoureuse, prise en charge rapide des infections.

 

Encadré 4 - Effets indésirables des cellules CAR-T à long terme
  Description et symptômes Fréquence Prise en charge

Hypogammaglobulinémie

Persistance d’une hypogammaglobulinémie à long terme après le traitement, augmentant le risque d'infections.

Infections fréquentes et récurrentes.

De 15 à 40 % des patients présentent une hypogammaglobulinémie persistante.

Administration régulière d'immunoglobulines intraveineuses (IVIG) pour prévenir les infections.

Récidive tumorale

La récidive est la conséquence d’une perte ou modification de l’antigène cible, d’un épuisement des CAR-T ou de la résistance intrinsèque des cellules tumorales. La rechute concerne 40 à 60 % des patients à 12 mois, selon les indications, les caractéristiques des patients et les propriétés des CAR-T utilisés. Les récidives sont plus fréquentes dans la première année de suivi.

La prise en charge repose sur un suivi régulier dans les suites du traitement afin de détecter et traiter précocement les récidives.

Tumeur secondaire 

Il est question d’une tumeur maligne secondaire (cancer secondaire) lorsque le patient développe un deuxième cancer différent du premier. À ce jour, l’ensemble des données disponibles rapportent 38 cas de cancers secondaires liés aux CAR-T sur plus de 40 000 patients traités à ce jour. Ces tumeurs secondaires sont potentiellement liées au contexte clinique préalable du patient, aux chimiothérapies intensives administrées (dont le conditionnement), et/ou à des potentiels site d’intégration des gènes thérapeutiques lors de la génération des CAR-T.

Le risque de cancers secondaires a été identifié dès la phase d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de ces médicaments avec la mise en place d’une surveillance renforcée par la FDA et l’EMA. Ce risque de tumeur maligne secondaire issue de lymphocytes T avec les thérapies cellulaires CAR-T dirigées contre les antigènes CD19 ou BCMA a fait l’objet d’une communication de l’ANSM en juillet 2024.

 

Sources

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