Une présentation volontiers atypique, source de sous-diagnostics.S-S-S / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images
La prévalence de la dépression chez le sujet âgé est élevée, touchant, selon les données de la littérature, de 4 à 13 % des personnes âgées de plus de 65 ans.
Elle est associée à une altération majeure de la qualité de vie et un risque de suicide élevé et doit donc être mieux reconnue et prise en charge.
La dépression peut accompagner ou précéder une affection neuro-évolutive.
Elle se différencie de l’apathie par la présence d’affects négatifs.
La clinique est volontiers atypique, les symptômes dépressifs étant alors au second plan, masqués par des plaintes de type somatique, des manifestations anxieuses, une irritabilité ou encore des troubles hypocondriaques.
Les praticiens peuvent s’aider d’échelles spécifiques, adaptées selon les cas aux patients avec et sans troubles cognitifs.
Bien que fréquente chez le sujet âgé, la dépression est sous-diagnostiquée, notamment parce que les symptômes dépressifs sont souvent masqués par des plaintes d’autres types, en particulier somatiques, venant au premier plan.
Il est très important de la distinguer de l’apathie, déficit permanent de la motivation, qui accompagne fréquemment les maladies neuro-évolutives, afin de permettre une prise en charge adaptée [1].
En effet, en cas d’apathie, les antidépresseurs ne sont pas efficaces, voire délétères. Établir ce diagnostic différentiel participe ainsi pleinement à la prévention de la iatrogénie liée aux prescriptions inappropriées.
Comment faire la distinction entre l’apathie et la symptomatologie dépressive ?
La distinction entre l’apathie et la symptomatologie dépressive est facile en théorie, plus complexe en pratique, car les syndromes se chevauchent : diminution ou perte d’intérêt, ralentissement psychomoteur apparent, perte de la capacité à éprouver du plaisir… autant de symptômes communs aux deux entités.
Mais alors que la personne apathique ne décrit pas d’affect négatif, le sujet dépressif présente volontiers une humeur triste, élément que le clinicien doit rechercher.
Autre critère discriminant : la sensation d’ennui, qui n’est pas trouvée en cas d’apathie, le patient n’ayant pas le ressenti du temps long, pénible, de la douleur affective.
Les manifestations de la dépression sont souvent atypiques
Chez le sujet âgé, la dépression se manifeste souvent de façon atypique, ce qui a conduit au concept de masque dépressif cher à l’école sémiologique française, en partie confirmé par la littérature internationale.
Concrètement, les signes dépressifs sont souvent au deuxième plan, masqués par des tableaux variés. Parmi les présentations les plus fréquentes :
- l’hostilité, dont le maître symptôme est l’irritabilité (« on ne peut plus rien lui dire ») ;
- les plaintes somatiques, touchant le plus souvent la sphère gastro-intestinale ou cardiothoracique, toute la difficulté étant de ne pas négliger une potentielle cause organique tout en évitant le nomadisme médical ;
- le masque psychotique, caractérisé surtout par des symptômes délirants (notamment à type de culpabilité, persécution, jalousie), plus rarement des hallucinations ;
- l’anxiété, généralisée et/ou sous forme d’attaques de panique ;
- le tableau hypocondriaque, avec plusieurs manifestations possibles, le patient ayant une crainte disproportionnée d’avoir une pathologie grave.
Une méta-analyse publiée en 2012 a montré que les scores de dépression (selon l’échelle de Hamilton [Depression Rating Scale, HDRS]), qui garde une utilité chez le sujet âgé indemne de troubles cognitifs, étaient plus élevés chez les personnes âgées que chez les adultes plus jeunes [2].
Certains symptômes étaient plus courants : signes hypocondriaques, plainte somatique générale et gastro-intestinale, agitation, alors que, chez les patients plus jeunes, culpabilité et plaintes sexuelles étaient plus souvent évoquées. Cette étude n’a toutefois pas révélé de différence entre les adultes et les sujets plus âgés quant à la fréquence des autres items de l’échelle de Hamilton.
La surprévalence des manifestations psychotiques chez les patients âgés dépressifs, non prises en compte dans cette méta-analyse, est débattue.
Parfois le signe annonciateur d’une maladie neuro-évolutive
Si les symptômes dépressifs sont très fréquents chez les patients ayant une maladie neuro-évolutive, il est également établi que la dépression peut être annonciatrice de l’entrée dans une maladie neuro-évolutive.
Ainsi, de façon classique, dans la maladie de Parkinson, un épisode dépressif caractérisé précède de 5 à 10 ans l’apparition des troubles moteurs. Il en est de même dans la maladie à corps de Lewy.
C’est pourquoi, devant un premier épisode de dépression caractérisé chez un patient de plus de 70 ans, il faut toujours penser à une étiologie sous-jacente et effectuer un suivi plus rapproché. Un diagnostic précoce d’une éventuelle maladie neuro-évolutive est important, y compris dans le cadre de la recherche et de l’évaluation des traitements susceptibles d’en modifier l’histoire naturelle.
Quels sont les outils psychométriques les plus adaptés à la population âgée ?
L’échelle GDS (Geriatric Depression Scale) existe en plusieurs versions, dont la mini GDS en quatre questions (alors outil de dépistage et non pas de diagnostic), s’administre en autoquestionnaire [3].
Son intérêt est d’avoir été développée spécifiquement pour les sujets âgés. Cependant, en pratique, il s'agit souvent d'un hétéroquestionnaire, approche qui n’a pas été validée, et surtout elle ne contient pas d’items concernant les idées suicidaires, alors que c’est dans la population âgée que l’incidence du suicide est la plus élevée.
D’autres échelles d’évaluation peuvent être utilisées en l’absence d’atteinte cognitive :
- la Hamilton Depression Rating Scale (HDRS) ;
- ou la Montgomery and Asberg Depression Rating Scale (MADRS).
Dès que l’on passe dans le champ des troubles neurocognitifs majeurs, en deçà d’un score de 20/21 sur la Mini Mental Scale (MMS), il faut choisir une échelle spécifique, le gold standard étant celle de Cornell. Il s’agit d’un hétéroquestionnaire qui est adressé au patient, mais aussi à son entourage, ce qui est indispensable en raison du caractère fluctuant des symptômes dépressifs.
Quelles sont les grandes lignes de la prise en charge ?
En dehors du champ de la démence
En dehors du champ de la démence, l’approche médicamenteuse peut être de première intention si l’intensité est modérée ou sévère.
Lorsqu’un antidépresseur est indiqué, il est fait appel en premier lieu à un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS), avec cependant un choix limité compte tenu de leur profil de tolérance ou pharmacocinétique dans cette population. La paroxétine est évitée en raison de ses effets anticholinergiques, la fluoxétine de sa demi-vie longue, le citalopram et l’escitalopram de la surveillance ECG qu’ils imposent. En pratique, le clinicien se tourne souvent vers la sertraline.
Les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) sont prescrits, selon les écoles, en première ou en deuxième intention : duloxétine, venlafaxine.
Le recours encore fréquent à la miansérine découle d’une habitude de prescription qui ne s’appuie sur aucune véritable preuve scientifique solide chez la personne âgée. De plus, lorsqu’elle est prescrite, elle l’est fréquemment de façon sous-dosée, source d’inefficacité.
Dans la même classe (antagonistes alpha 2), la mirtazapine peut être utilisée avec un meilleur niveau de preuve et un intérêt chez les patients présentant des troubles du sommeil et/ou une hyporexie associée.
De façon plus globale, les posologies efficaces chez le sujet âgé sont à peu près les mêmes que chez les adultes plus jeunes. Il faut cependant commencer à faible dose et augmenter progressivement, ce qui n’est pas toujours effectué et peut aboutir à des situations de pseudo-résistances à l’antidépresseur. Si besoin, le clinicien peut s’aider de dosages plasmatiques.
En cas de démence
La prise en charge de la dépression du sujet âgé souffrant d’une démence doit avant tout être non médicamenteuse, mais, faute de moyens, cela est souvent difficile à mettre en place en pratique.
Chez les patients âgés ayant une pathologie neuro-évolutive, chez lesquels les symptômes dépressifs sont très fréquents, l’efficacité des antidépresseurs est débattue. L’analyse de la littérature, menée dans le cadre d’une étude Cochrane, n’est pas en faveur du traitement, dont l’effet est peu différent de celui du placebo [4].
Une méta-analyse plus récente, datant de 2021, a conclu à une efficacité modeste de la mirtazapine et de la sertraline par rapport au placebo chez des patients âgés ayant une maladie d’Alzheimer, mais les bénéfices cliniques du traitement sont possiblement peu pertinents [5]. Il faut souligner que les ISRS et les IRSNA agissent aussi sur l’anxiété, qui est souvent associée à la dépression.
C’est finalement au clinicien que revient de bien évaluer la balance bénéfice/risque du traitement antidépresseur, qui peut majorer l’apathie.
D’après un entretien avec le Dr Alexis Lepetit, psychiatre-gériatre, groupe ACPPA (Accueil et confort pour personnes âgées), Hospices civils de Lyon, Secrétaire général adjoint de la Société francophone de psychogériatrie et psychiatrie de la personne âgée (SF3PA).
[1] Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : diagnostic et prise en charge de l’apathie (Haute Autorité de santé, juillet 2014)
[2] Hegeman JM, Kok RM, van der Mast RC, Giltay EJ. Phenomenology of depression in older compared with younger adults: Meta-analysis. Br J Psychiatry, 2012; 200(4): 275-281. doi:10.1192/bjp.bp.111.095950
[3] Clément JP, Nassif RF, Léger JM, Marchan F. Mise au point et contribution à la validation d'une version française brève de la Geriatric Depression Scale de Yesavage. L'Encéphale 1997; XXIII: 91-99 (en anglais)
[4] Dudas R, Malouf R, McCleery J, Dening T. Antidepressants for treating depression in dementia. Cochrane Database of Systematic Reviews, 2018; Issue 8. Art. No.: CD003944. doi: 10.1002/14651858
[5] He Y, Li H, Huang J et al. Efficacy of antidepressant drugs in the treatment of depression in Alzheimer disease patients: A systematic review and network meta-analysis. J Psychopharmacol., 2021; 35(8): 901-909. doi:10.1177/02698811211030181
Quelles sont les causes de l'apathie chez la personne âgée? Et comment la prendre en charge. Thanks
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