#Santé

Mieux connaître les antiseptiques

Chaque grande famille d’antiseptiques a son propre champ d’applications potentielles, qui découle de son activité antimicrobienne, et de ses possibilités d’associations à d’autres composés.

Isabelle Hoppenot 05 décembre 2024 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
1
2
3
4
5
5,0
(7 notes)
Publicité
Respecter les dates de péremption et les modalités de conservation pour un effet optimal.

Respecter les dates de péremption et les modalités de conservation pour un effet optimal.yacobchuk / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

L’arsenal des antiseptiques, biocides dotés d’un statut de médicaments, s’est nettement réduit au fil du temps pour ne laisser la place qu’aux produits les plus performants.

Chlorhexidine, ammoniums quaternaires, chlore et composés chlorés, iode et iodophores, alcools et oxydants sont aujourd’hui les grandes familles d’antiseptiques.

Tour d’horizon sur leurs champs d’application, leurs compatibilités avec les autres produits, leurs conditions de conservation et leur impact sur les résistances bactériennes.

Cet article est suivi d’une autre actualité portant sur le choix des antiseptiques au cabinet médical.

La définition des antiseptiques et des désinfectants a évolué.

Les antiseptiques ont un statut de médicament et recourir aux antiseptiques constitue un acte médical. Ils sont soumis à des normes européennes (NF EN) qui permettent de valider leur efficacité par des analyses sur des souches tests. Ils s'appliquent sur la peau lésée ou les muqueuses et ont une action curative (plaies, infections...). 

Les désinfectants s'appliquent sur des supports inertes (surfaces) et/ou sur peau saine. Ils ont une action préventive en vue d'une utilisation précise. Ils visent à réduire la contamination microbienne et, selon le cas, ont un statut de biocide ou de dispositif médical. Pour exemple, les gels hydroalcooliques destinés à l’hygiène des mains (considérées comme une surface) sont des désinfectants biocides.

Il s’agit des mêmes molécules, mais avec des formulations différentes pour répondre à une utilisation soit chez l’humain pour les antiseptiques, soit pour la désinfection des surfaces, des instruments et des mains (considérées comme des « outils ») pour les désinfectants.

Leur spectre est variable selon les différentes familles. Il peut être large, comme pour les composés chlorés ou les iodés (actifs sur des bactéries, levures, virus nus et enveloppés [cf. Encadré]), ou étroit, comme pour les ammoniums quaternaires ou les biguanides, surtout actifs sur les bactéries pyogènes et les virus enveloppés.

Encadré - Exemples de virus nus et enveloppés pathogènes chez l’être humain (d’après [1])

N.B. Les virus nus qui n’ont pas d’enveloppe autour de leur nucléocapside sont beaucoup plus résistants aux agents physico-chimiques que les virus enveloppés.

Virus nus

  • Entérovirus/rhinovirus
  • Parvovirus
  • Virus des hépatites A et E
  • Adénovirus
  • Papillomavirus
  • Rotavirus

Virus enveloppés

  • Coronavirus
  • Herpès virus
  • Rétrovirus
  • Virus de la rougeole
  • Virus des hépatites B et C
  • Virus influenza
  • Virus respiratoire syncytial

Quelles sont les grandes familles d’antiseptiques ?

Au cours des deux dernières décennies, le nombre d’antiseptiques s’est peu à peu réduit, mais il s’agit des plus performants :

  • La chlorhexidine, de la classe des biguanides, est l’un des biocides antiseptiques les plus utilisés, compte tenu de son spectre d’activité sur la plupart des formes végétatives de bactéries à Gram positif et négatif et sur les virus enveloppés, de sa facilité d’emploi en solution aqueuse sur la peau et de sa compatibilité avec de nombreux autres produits dont l’alcool.

    Son activité dépend du pH (elle est maximale entre 5,5 et 7) et est fortement réduite en présence de matières organiques (il faut donc soigneusement nettoyer la peau avant l’application).

    Des résistances bactériennes à la chlorhexidine sont observées. Elle est peu efficace sur les formes sporulées de bactéries (genres Clostridium ou Bacillus), les mycobactéries et les virus nus.
  • Les ammoniums quaternaires (ou QUATS), qui regroupent plusieurs centaines de composés, ont une activité biocide sur les formes végétatives de bactéries (surtout à Gram positif), certains champignons et les virus enveloppés. Ils ne sont pas efficaces sur les formes sporulées de bactéries, les mycobactéries et les virus nus.

    Leur effet mouillant facilite leur pénétration et leur action détergente, kératolytique et émulsifiante font qu'ils sont souvent choisis pour l’antisepsie de la peau, des plaies et des muqueuses, sous différentes formes, seuls ou en association à d’autres agents (dérivés alcooliques et chlorhexidine en particulier).

    Du fait de leur bonne tolérance, ce sont les composants les plus fréquents des produits domestiques dits « antibactériens ».

    Des résistances bactériennes aux QUATS sont possibles. De plus, ils possèdent une écotoxicité de plus en plus reconnue, en particulier dans les milieux hydriques où ils s’accumulent et détruisent la biodiversité.
     
  • Le chlore et les composés chlorés, désinfectants connus depuis longtemps, sont très efficaces sur une grande variété d’agents infectieux, ont une action rapide, un faible coût et sont d’usage facile. L’eau de Javel, comportant surtout de l’hypochlorite de sodium, est un désinfectant très prisé pour ses propriétés bactéricide, sporicide, fongicide, protozoairicide, virucide et prionocide.

    Dans le cadre de l’antisepsie, l’hypochlorite de sodium est de moins en moins employé, mais il garde une place intéressante du fait de sa bonne tolérance sur les peaux lésées (plaies) et les muqueuses, et de son faible risque allergisant. Parmi les solutions disponibles : le soluté de DAKIN (qui ne doit cependant pas être appliqué sur les muqueuses oculaires et doit répondre à des conditions de conservation strictes, cf. infra) et l’AMUKINE.
     
  • L’iode et les iodophores. Utilisé depuis le XIXe siècle, l’iode avait été quelque peu délaissé, notamment à cause de sa faible solubilité dans l’eau, de son action colorante et son pouvoir irritant, avant de connaître un nouvel essor avec le développement de produits iodophores, dont fait partie la povidone iodée. Cette dernière est très souvent choisie comme antiseptique, car douée d’une activité bactéricide à large spectre, sporicide, fongicide et virucide, de faible coût et de faible toxicité pour les tissus.

    La povidone iodée peut être associée à d’autres antiseptiques et notamment les alcools. Il n’existe pas de résistance bactérienne décrite aux dérivés iodés.
     
  • Les alcools. Le recours aux alcools est très fréquent en antisepsie comme en désinfection, soit seuls, soit en association à d’autres composés biocides (activités potentialisées). Les deux molécules les plus utilisées sont l’isopropanol, doué d’une activité bactéricide rapide dès la concentration de 60°, et l’éthanol qui doit être à une concentration d’au moins 70°, mais dont l’activité virucide (virus enveloppés et rotavirus) est supérieure.

    Ils sont compatibles avec de nombreuses molécules biocides et sont donc fréquemment associés à d’autres agents, surtout à la chlorhexidine et aux produits iodés dans le cadre de l’antisepsie.
     
  • Les oxydants, qui agissent par libération d’oxygène, sont des désinfectants et des antiseptiques mineurs. La solution de peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée) à 3 % en eau purifiée (10 volumes) trouve surtout sa place en irrigation ou pulvérisation pour son action nettoyante.
     
  • À noter que l'hexamidine, qui appartient à la famille des diamines aromatiques, est aussi considérée comme un antiseptique mineur, essentiellement bactériostatique. Elle est surtout prescrite en dermatologie. 

Quels sont leurs modes d’action ?

Contrairement aux antibiotiques qui ont des cibles très précises, les antiseptiques ont un spectre d’action assez large, pas toujours bien précisé. Globalement, ils agissent surtout au niveau des membranes cellulaires en les détruisant (point faible de tout organisme vivant), et aussi sur la synthèse des protéines et des acides nucléiques.

Leur capacité à détruire les cellules de l’hôte explique leur toxicité par voie orale ou générale, et donc leur emploi essentiellement au niveau de la peau et de certaines muqueuses.

Quelles sont les compatibilités et incompatibilités de ces différents composés ?

  • La chlorhexidine :
    • est compatible avec les antiseptiques cationiques tensioactifs* comme les ammoniums quaternaires (qui augmentent sa solubilité et son efficacité) et avec les alcools ;
    • est en revanche incompatible avec d’autres agents comme les dérivés anioniques tels que les savons, les alginates (pansements) ou encore les chlorures.

* Un agent tensioactif est un composé chimique qui, introduit dans un liquide, en abaisse la tension superficielle ce qui a pour effet d'en augmenter les propriétés mouillantes.

  • Les ammoniums quaternaires :
    • sont compatibles avec la chlorhexidine, les alcools, une action synergique existant avec ces deux produits, mais aussi avec les peroxydes ;
    • sont incompatibles avec la majorité des autres antiseptiques et désinfectants, (en particulier les dérivés iodés et chlorés), les détergents anioniques (savons) et le coton.
       
  • pour mémoire, l’eau de Javel est incompatible avec de nombreux produits, dont ceux de nettoyage à base d’ammoniac.
     
  • L’iode et les iodophores sont solubles dans les alcools, qui potentialisent leur activité, et avec certains tensioactifs. Ils réagissent en revanche avec les dérivés mercuriels, sans conséquence en pratique clinique puisque ces derniers n’ont aujourd’hui plus cours.
     
  • Les alcools : 
    • sont compatibles avec de nombreuses molécules biocides et donc fréquemment utilisés en association, principalement à la chlorhexidine et aux produits iodés ;
    • en tant que désinfectant de surface, leur réactivité avec certains matériaux, tels que les polyuréthanes, doit être prise en compte. Ils sont inflammables.
       
  • Le peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée) est stable lorsqu’il est stocké dans des récipients inertes et propres, dans des conditions normales de température, de pH et de pression. Il est incompatible avec l’alcool.

Quelles sont les conditions de conservation des différents antiseptiques ?

Il est important de respecter les dates de péremption et les modalités et durées de conservation avant et après ouverture indiquées sur les produits.

  • La chlorhexidine est conservée avant ouverture à température ambiante, avec une perte d’activité de l’ordre de 10 % par an. Elle doit être gardée à l’abri de la chaleur et de la lumière. Les solutions aqueuses sont propices aux contaminations d'où l'intérêt des conditionnements à usage unique.
     
  • Les solutions aqueuses d’ammoniums quaternaires peuvent également être contaminées (des cas à l’origine de bactériémies et d’infections cutanées ont été plusieurs fois rapportés). Il faut donc préférer de petits conditionnements souvent renouvelés.
     
  • Le DAKIN doit être conservé en flacon étanche, au frais (< 15 °C) et à l’abri de la lumière. Après ouverture, il doit être utilisé rapidement pour limiter le risque de contamination.
     
  • La povidone iodée est assez stable et peut être conservée plusieurs années avant ouverture du flacon (3 ans pour les préparations commerciales aqueuses). Les versions diluées pour irrigation doivent en revanche être préparées de façon extemporanée, car susceptibles d’être contaminées.

Quel impact sur les résistances bactériennes ?

Les antiseptiques et les désinfectants jouent un rôle essentiel dans le contrôle des agents pathogènes, que ce soit en milieu hospitalier, en libéral ou à domicile et pour prévenir l’émergence de résistances aux antimicrobiens.

Mais tout comme les antibiotiques, ils sont eux-mêmes susceptibles d’entraîner des résistances. Toutefois, si une diminution de la sensibilité bactérienne à ces produits est bien décrite dans la littérature, son réel impact en clinique reste mal précisé.

Il faut donc en pratique plaider pour leur usage raisonné et trouver un équilibre entre leurs bénéfices sur le contrôle de pathogènes et leurs risques vis-à-vis de l’émergence des résistances. Ainsi, dans les actes de la vie quotidienne hors activités de soins, il faut opter pour le lavage des mains à l’eau et au savon, lorsqu’il est accessible, plutôt que pour leur friction avec une solution hydroalcoolique.

D’après un entretien avec les Professeurs Philippe Berthelot et Bruno Pozzetto, CHU Saint-Etienne, coordinateurs avec Raphaële Girard de la deuxième édition de l’ouvrage Antisepsie et désinfection en médecine humaine [2].

Sources

Commentaires

Ajouter un commentaire
En cliquant sur "Ajouter un commentaire", vous confirmez être âgé(e) d'au moins 16 ans et avoir lu et accepté les règles et conditions d'utilisation de l'espace participatif "Commentaires" . Nous vous invitons à signaler tout effet indésirable susceptible d'être dû à un médicament en le déclarant en ligne.
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Presse - CGU - Conditions générales de vente - Données personnelles - Politique cookies - Mentions légales