#Santé publique #Santé #Nutrition et équilibre alimentaire

Déprescription : un processus fondé sur la confiance et la coordination

Gériatre, médecin coordonnateur en Ehpad, Sandrine Khalifa raconte comment, étape par étape, l'équipe soignante et les résidents ont adhéré au processus de déprescription médicamenteuse.

David Paitraud 28 novembre 2024 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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Interview du Dr Khalifa, gériatre, médecin coordonnateur de l'Ehpad « Les Rives de Sèvres ».

Interview du Dr Khalifa, gériatre, médecin coordonnateur de l'Ehpad « Les Rives de Sèvres ».Infographie VIDAL réalisée par le studio graphique de VIDAL.

Résumé

- Podcast - Depuis trois ans, Sandrine Khalifa encourage une démarche de juste prescription et de bon usage des médicaments au sein de l’Ehpad dans lequel elle est médecin coordonnateur. Parmi les moyens mis en œuvre, la déprescription médicamenteuse peut être envisagée à l'issue d'une réévaluation du traitement. Mais pour réussir cette étape et arriver à l'arbitrage le plus pertinent, le dialogue et la confiance entre les professionnels de santé et les résidents sont fondamentaux.

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TRANSCRIPTION

VIDAL News. Parole d'expert. David Paitraud reçoit le Dr Sandrine Khalifa, gériatre, médecin coordonnateur de l'Ehpad « Les Rives de Sèvres » (département des Deux-Sèvres).

David Paitraud. La convention médicale signée entre l'Assurance maladie et les médecins libéraux en mai 2024 acte la mise en place d'une consultation de déprescription. Elle s'adresse aux patients âgés auxquels sont prescrites au moins dix lignes de traitement. En moins de dix ans, la démarche de réduire les prescriptions de médicaments s'est imposée dans la pratique médicale. Elle est aujourd'hui encouragée dans le cadre d'un enjeu plus large, celui de la sobriété médicamenteuse. Mais comment fait-on pour déprescrire, pour que médecins et patients s'y retrouvent ? Quelles sont les conditions pour réussir cette déprescription et pérenniser une prescription médicamenteuse juste et appropriée ? 

Dr Sandrine Khalifa, votre expérience nous intéresse et va certainement intéresser nos auditeurs médecins. Vous êtes gériatre, médecin coordonnateur au sein d'un Ehpad dans le département des Deux-Sèvres. Dans cet établissement, vous avez initié la démarche de déprescrire lorsque cela est possible.

Qu'est-ce qui vous a motivée à vous engager dans cette démarche ?

Dr Sandrine Khalifa. Je suis aussi médecin hospitalier et j'avais participé à des conciliations médicamenteuses avec les pharmaciens de l'hôpital. J'avais trouvé cette démarche de réévaluation de nos prescriptions très intéressante. Depuis, je m'intéresse chaque fois à cette démarche dans mes propres prescriptions.

Est-ce qu'un état des lieux a été fait au sein de votre Ehpad pour évaluer la polymédication chez les résidents ?

Effectivement, dans mon rapport annuel, j'ai fait le point des prescriptions. Par exemple, en 2024, 96 % des résidents avaient au moins 5 molécules et 41 % des résidents avaient au moins 10 molécules pour une population âgée en moyenne de 89 ans. C'est un Ehpad de taille moyenne avec une unité protégée, une population classique d'Ehpad.

Quelles ont été les étapes de mise en place de la déprescription au sein de votre Ehpad ?

Je travaille à l'Ehpad depuis trois ans.

Créer un climat de confiance, de travail et de coopération

La première étape a été une phase d'observation et de rencontres des différents professionnels de santé et des résidents pour établir un lien de confiance entre tous, puisque les différentes personnes impliquées dans la prescription sont les médecins, mais aussi l'équipe infirmière, le pharmacien et le patient qui est au centre. Environ un an a été nécessaire pour créer ce climat de confiance.

La sécurisation du circuit du médicament

Ensuite, on a travaillé sur le circuit du médicament et sa sécurisation en passant une convention avec une pharmacie d'officine qui nous livre les médicaments sous blister, et avec qui on a aussi conclu un partenariat pour un bilan de médication.

Concernant la sécurisation du circuit du médicament, on s'est rendu compte que les infirmières écrasaient des médicaments, ce qui n'avait pas lieu d'être, et les écrasaient ensemble. Donc on a travaillé avec les pharmaciens, les infirmières et les médecins pour revoir les galéniques et limiter le nombre de médicaments écrasés, les écraser dans de bonnes conditions.

La deuxième chose qui a été travaillée dans le circuit du médicament, c'est notre réserve qu'on appelle dotation des besoins urgents pour les prescriptions imprévues. Dans cette dotation de besoins urgents, je n'ai pas mis de médicaments inappropriés à la personne âgée pour limiter les risques iatrogènes.

Déprescrire sous-entend que certains médicaments sont à retirer de la prescription parce qu'ils n'ont plus de pertinence. Comment est-ce que vous évaluez cela ?

Souvent les patients ont des prescriptions anciennes, prescrites par des médecins spécialistes. Mais quand ils évoluent dans le temps et dans l'âge, il arrive que des personnes centenaires qui ont encore des médicaments en prévention primaire alors qu'ils sont dénutris et ont des difficultés à s'alimenter. On peut, par exemple, dans ces cas-là, enlever certains médicaments.

Il y a aussi des médicaments qui sont donnés à titre symptomatique. On peut parfois essayer de trouver des prises en charge non médicamenteuses.

Vous travaillez ligne par ligne, médicament par médicament, avec le médecin traitant, avec le pharmacien également. Vous vous retrouvez régulièrement ? Comment ça se passe concrètement ?

Jusqu'à maintenant, on a travaillé uniquement sur certains médicaments dont on avait remarqué des risques d'effets indésirables. Par exemple, des médicaments qui favorisaient les chutes.

Actuellement, on a prévu sur l'année 2024 de se voir régulièrement avec le pharmacien, de regarder ligne par ligne l'ordonnance des résidents qui avaient plus de 10 molécules, et de faire des propositions aux médecins généralistes. Ces derniers sont d'accord pour réévaluer leur prescription, mais demandent un peu d'aide pour pouvoir faire le tri et aussi pour faire de l'éducation auprès des résidents. En effet, les médecins généralistes ont souvent des difficultés à convaincre leurs patients d'arrêter un médicament qu'ils ont instauré. Le fait qu'on vienne expliquer aux résidents que l'on s'est mis d'accord et que finalement on peut faire autrement, on aboutit, parfois, à de meilleurs résultats. Mais cela peut être difficile.

Quels sont les autres freins à la déprescription ?

Le temps surtout et le patient qui tient à ses médicaments. Par exemple, une dame est arrivée à l'Ehpad avec des antibiotiques au long cours en prévention d'infection urinaire. Le médecin généraliste, qui reprenait le dossier, voulait arrêter le traitement, mais la résidente tenait absolument à ses antibiotiques. J'ai alors proposé que l'Ehpad lui fournisse du jus de canneberge en disant que l'on n'avait pas constaté d'infection urinaire fréquente et qu'elle avait besoin de quelque chose. Elle était d'accord pour prendre de la canneberge à condition que ce soit des gélules à avaler. C'est important aussi de travailler avec les résidents sur leurs croyances. Mais cela nécessite souvent plusieurs mois.

Autre frein, des médecins rencontrent parfois des difficultés de légitimité par rapport à une prescription qui a été faite par un spécialiste. Dans ce cas, on discute en ressortant la littérature. Comme l'on est plusieurs à décider, il y a un consensus qui s'installe entre nous.

Comment faire pour ne pas retomber dans une surmédication ? D'autant plus que l'on s'adresse à un public âgé, chez lequel de nouveaux problèmes de santé peuvent survenir.

Je pense qu'à chaque prescription, il faut s'interroger sur l'ensemble de l'ordonnance et sur l'intérêt de poursuivre toutes les lignes. Et aussi se poser la question de savoir si on doit réintroduire un nouveau médicament, ou est-ce qu'on ne doit pas plutôt augmenter un autre traitement ?

Est-ce que ce symptôme n'est pas lié à un problème non diagnostiqué ? Par exemple, en cas de vertiges, plutôt que de mettre un traitement antivertigineux, est-ce qu'il n'y a pas une hypotension orthostatique sous-jacente qui nous entraînerait plutôt à prescrire soit des bas de contention, soit à arrêter un médicament hypotenseur ?

Je pense qu'à chaque fois, il faut revoir le problème en entier sous un autre angle. Et c'est pour cela que le travail de collaboration dans un Ehpad peut être intéressant, puisqu'on va se poser des questions et réfléchir à plusieurs sur la problématique.

 

Interview : David Paitraud, pharmacien

Montage : Robin Benatti & David Paitraud

Remerciements : Dr Sandrine Khalifa, gériatre, médecin coordonnateur de l'Ehpad « Les Rives de Sèvres » (département des Deux-Sèvres)

Sources

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