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Fluoropyrimidines : pertinence du dépistage de déficit en DPD, mais prudence en cas d'insufficance rénale

Aucun cas évitable d'événement grave en lien avec un déficit en DPD n'a été rapporté dans la population de patients traités par fluoropyrimidines en 2023, confirmant la pertinence du dépistage. En cas d'insuffisance rénale, l'interprétation doit néanmoins être prudente. 

David Paitraud 07 novembre 2024 Image d'une montre5 minutes icon Ajouter un commentaire
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L’altération de la fonction rénale peut faussement augmenter les valeurs de l’uracilémie.

L’altération de la fonction rénale peut faussement augmenter les valeurs de l’uracilémie.peterschreiber.media / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Selon le 6e rapport de pharmacovigilance relatif à la toxicité des traitements par fluoropyrimidines (5-fluorouracile, capécitabine) associée à un déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD), aucun cas grave d'effet indésirable « évitable » n'a été rapporté dans la population de patients traités en 2023. 
Un cas grave d'effet indésirable « évitable » correspond à un cas rapporté chez des patients ayant un déficit complet en DPD, mais traités par fluoropyrimidines, ou ayant un déficit partiel en DPD sans ajustement de la dose.

Pour l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ces données sont rassurantes et montrent l'intérêt d'un dépistage du déficit en DPD avant d'instaurer une chimiothérapie par 5-fluorouracile (5-FU) ou par capécitabine. 

Ce test de dépistage par phénotypage repose sur la mesure de l'uracilémie ; il est obligatoire depuis 2019. Cependant, pour l'ANSM, la mise en œuvre systématique de ce test pourrait être améliorée. De nouvelles actions dans ce sens pourraient être décidées en 2025 s'appuyant sur les résultats d'un état des lieux des pratiques de dosage d'uracilémie chez les patients traités (état des lieux en cours de réalisation).

Ce 6e rapport soulève également la question de l'interprétation de l'uracilémie chez les patients en état d'insuffisance rénale. L'altération de la fonction rénale peut en effet fausser les valeurs de l'uracilémie (valeurs faussement augmentées), avec pour conséquence un risque accru de diagnostic erroné du déficit en DPD et une perte de chance pour eux. Il est donc recommandé d'interpréter avec prudence les taux sanguins d'uracile chez ceux en insuffisance rénale modérée ou sévère. 

Une actualisation des recommandations relatives à la recherche du déficit en DPD est en cours de réflexion, pour intégrer le paramètre fonction rénale. 

L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) publie le 6e rapport d'enquête de pharmacovigilance sur les toxicités graves associées aux fluoropyrimidines (5-fluorouracile ou 5-FU, et capécitabine) en lien avec un déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD) [1, 2].

Encadré - Traitement par fluoropyrimidines : relation entre toxicité et déficit en DPD

Les fluoropyrimidines sont des médicaments anticancéreux essentiels et parmi les plus utilisés dans le traitement de nombreux cancers.

La dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD) est une enzyme qui active le catabolisme du 5-FU.

Un déficit en DPD entraîne une altération de la fonction de cette enzyme avec pour conséquence une accumulation du médicament dans l'organisme et une majoration du risque de toxicité grave aux fluoropyrimidines : 

  • déficit total : risque élevé, pronostic vital menacé ou évolution fatale. Le traitement par fluoropyrimidines est contre-indiqué ;
  • déficit partiel : risque accru, pronostic vital menacé. Le patient doit faire l'objet d'une surveillance renforcée et d'un suivi thérapeutique pharmacologique, et la dose doit être adaptée.

L'uracilémie est utilisée pour évaluer l'activité de la DPD :

  • 16 ng/mL ≤ uracilémie < 150 ng/mL : déficit partiel
  • uracilémie ≥ 150 ng/mL : déficit total

En France depuis 2019, le dépistage par phénotypage est obligatoire avant l'instauration d'une chimiothérapie par 5-FU ou par capécitabine. 

Le prescripteur doit inscrire « résultats uracilémie pris en compte » sur la prescription, et le pharmacien doit vérifier cette mention lors de la dispensation.

Évaluation de l'activité de l'enzyme DPD : un intérêt confirmé

Ce 6e rapport conclut que « les données de pharmacovigilance sont de nouveau rassurantes sur le rôle de la recherche systématique de ce déficit dans la prévention des effets indésirables toxiques liés aux fluoropyrimidines ».

Sur la période couverte par ce rapport (année 2023), 15 cas de décès ou mise en jeu du pronostic vital ont été analysés en détails, car possiblement compatibles avec un effet toxique des fluoropyrimidines : 

  • 5 de ces cas ont été déclarés en 2023, mais sont survenus en 2019-2020 (cluster issu d’un abstract de congrès) ;
  • les 10 autres cas sont survenus en 2023. Parmi ces 10 cas de 2023, « le statut DPD n’a pas pu être retrouvé dans le cadre de l'enquête de pharmacovigilance pour deux d’entre eux, mais le tableau clinique ou la chronologie de survenue des effets indésirables ne fait pas suspecter en premier lieu un déficit en DPD », indiquent les auteurs du rapport. Pour les 8 cas restants, aucun ne correspondait à un cas « évitable », d'événement indésirable en lien avec un déficit en DPD, c’est-à-dire survenu chez des patients ayant un déficit complet et traité par fluoropyrimidines, ou ayant un déficit partiel, avec une posologie qui n’aurait pas été réduite.

En 2023, aucun « cas évitable » de décès ou de mise en jeu du pronostic vital

Ce nouveau bilan montre que pour l’année 2023, aucun « cas évitable » de décès ou de mise en jeu du pronostic vital en lien avec un déficit en DPD n’a été rapporté chez des patients traités par fluoropyrimidines.

Pour l'ANSM, cette analyse démontre la pertinence de dépister un déficit en DPD par phénotypage (mesure de l'uracilémie) avant toute initiation d'un traitement par fluoropyrimidines. 

Améliorer les conditions de prescription et de délivrance des fluoropyrimidines

Les auteurs du rapport soulignent cependant que leur enquête « ne permet pas d’évaluer l’application des conditions de prescription et de délivrance de ces médicaments, ni le niveau de réalisation du dépistage du déficit en DPD chez les patients traités ».

Malgré un rappel régulier des recommandations (cf. notre article du 28 septembre 2023) et bien que les données de pharmacovigilance pour l'année 2023 soient rassurantes, « plusieurs études suggèrent une application insuffisante des conditions de prescription et de délivrance, puisque que le résultat du test d’uracilémie n’est pas toujours disponible avant la première dose de traitement », relève l'ANSM.

Dans leur rapport, les auteurs notent que « de manière générale, la transmission de l’information concernant le statut DPD d’un patient n’apparaît pas optimale entre les différents professionnels de santé impliqués (oncologue, réanimateur prenant en charge l’effet indésirable, autres médecins, pharmacien) » et invitent à « une réflexion sur les moyens et outils (interconnexion logiciel de prescription et dossier pharmaceutique ? carte vitale ? monespacesanté.fr ? etc.) permettant d’améliorer la traçabilité de cette information ».

Un état des lieux des pratiques de dosages d'uracilémie chez les patients traités par une fluoropyrimidine, en lien avec les établissements de santé, est en cours. Les résultats sont attendus au premier semestre 2025. 

De nouvelles actions ont été engagées pour améliorer et suivre l’application par les professionnels de santé de l’obligation de ce dépistage avant toute initiation de traitement.

L'ANSM rappelle que depuis le 31 mai 2024, « toute situation d'utilisation d'une fluoropyrimidine en l'absence d'une recherche préalable d'un déficit d'activité en DPD est considéré comme un never event » (cf. notre article du 6 juin 2024).

Insuffisance rénale : à prendre en compte pour interpréter l'uracilémie

L'ANSM et les laboratoires commercialisant des médicaments appartenant à la classe des fluoropyrimidines évoquent par ailleurs le cas particuliers des patients ayant une insuffisance rénale modérée ou sévère [34].

Dans cette population, l'interprétation du taux d'uracilémie utilisé pour le test d'activité de la DPD par phénotypage doit être prudente pour les raisons suivantes : 

  • une altération de la fonction rénale est susceptible d’entraîner une augmentation des taux sanguins d'uracile (augmentation de l'uracilémie) ; 
  • une valeur faussement augmentée de l'uracilémie peut évoquer à tort un déficit en DPD et conduire à une perte de chance pour le patient, soit parce que le prescripteur ne prescrit pas le traitement par fluoropyrimidines, soit parce qu'il prescrit une dose réduite.

Pour les auteurs du rapport, les données relatives à cette population de patient « nécessiteraient d’être analysées plus en détails pour établir, si nécessaire, la mise à jour des recommandations de dépistage du déficit en DPD chez les patients ayant une insuffisance rénale, situation relativement courante en oncologie ».

L'ANSM précise qu'une réflexion sur la mise à jour de ces recommandations est engagée, avec la Haute Autorité de Santé (HAS) et l'Institut national du cancer (INCa). 

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