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Fibres alimentaires en gastro-entérologie : où en est-on ?

Les avancées des connaissances sur les caractéristiques physico-chimiques et les propriétés fonctionnelles des fibres alimentaires ouvrent de nouvelles perspectives. Décryptage avec Nadia Fathallah, gastro-entérologue à l'hôpital Saint-Joseph (Paris). 

Nadia Fathallah 23 octobre 2024 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
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De nombreux aliments riches en fibres comportent à la fois des fibres solubles et insolubles. 

De nombreux aliments riches en fibres comportent à la fois des fibres solubles et insolubles. marilyna / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Les fibres alimentaires se distinguent principalement par leurs caractéristiques physico-chimiques (solubilité, fermentescibilité, viscosité), facteurs déterminants pour leurs propriétés fonctionnelles.

Les fibres solubles ont des actions multiples en particulier en raison de leurs caractères visqueux et fermentescible. Elles peuvent avoir une action sur :

  • la diarrhée par un effet absorbant de l’eau et ralentisseur de la vidange gastrique ;
  • la constipation par un effet « gel » avec augmentation du volume des selles et de la motricité colique ;
  • le syndrome de l’intestin irritable par un effet pré et probiotique.

Une revue récente de la littérature internationale permet de recommander les fibres alimentaires dans différentes affections gastro-entérologiques selon des niveaux de preuve variables que ce soit dans le syndrome de l’intestin irritable à constipation ou à diarrhée prédominante, la constipation fonctionnelle, les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI) et les diverticulites.

En dehors de l’impact positif sur le tube digestif, les fibres solubles peuvent agir sur le syndrome métabolique, le risque cardiovasculaire et la stéatohépatite non alcoolique grâce à leurs effets potentiels sur le poids, le taux de cholestérol et la glycémie. 

Les apports quotidiens en fibres devraient se situer entre 25 et 30 g par jour d’après les résultats de méta-analyses d'études épidémiologiques. Ils sont encore largement insuffisants en France quel que soit le groupe de population considéré.

Une incitation à un enrichissement et une diversification des apports en fibres fait partie intégrante de l’activité d’un gastro-entérologue.

Les fibres alimentaires sont définies comme des carbohydrates (glucides) localisés à l’intérieur des cellules végétales, avec un degré de polymérisation supérieur ou égal à 3, ni digérées ni absorbées par l’intestin grêle [1]. Elles se distinguent principalement par leurs caractéristiques physico-chimiques (solubilité, fermentescibilité, viscosité), facteurs déterminants pour leurs propriétés fonctionnelles. 

Des fibres solubles ou insolubles

Deux types de fibres sont classiquement identifiés (cf. Figure 1).

Les fibres insolubles ne se dissolvent pas dans l’eau mais gonflent. Elles parcourent le tube digestif sans se transformer et sont très partiellement dégradées par la flore intestinale. Les fibres insolubles ont plusieurs actions qui expliquent leur effet sur la constipation :

  • stimulation du transit intestinal ;
  • augmentation du volume et de la fréquence des selles [2].

Elles agissent aussi de façon action indirecte sur le métabolisme des glucides en ralentissant leur digestion.

Lignine, cellulose, amidon résistant et hémicellulose sont des fibres insolubles. À noter que l'hémicellulose peut comporter différents sucres dont certains peuvent être fermentescibles comme l'arabinoxylane et devenir en conséquence solubles dans l'eau.

Quant aux fibres solubles, elles se dissolvent dans l’eau et forment un « gel ». Elles sont souvent dégradées par les enzymes bactériennes en monosaccharides, puis en acides gras à chaîne courte (AGCC), notamment l'acétate, le butyrate et le propionate, responsables d’un effet prébiotique* [2].

Pectines, oligosaccharides résistants, gommes et mucilages sont des fibres solubles.

*prébiotique : substrat sélectivement utilisé par les micro-organismes de l’hôte conférant un avantage pour la santé.

Figure 1 - Différents types de fibres

Une mixité de fibres au sein des aliments

On peut différencier les aliments selon leur teneur en fibres et la solubilité de ces fibres (cf. Figures 2 et 3).

La grande majorité des aliments riches en fibres comportent les deux types de fibres solubles et insolubles dans des proportions variables. À titre d'exemples : 

  • dans les légumineuses, oléagineux et graines : environ 25 % de fibres solubles et 75 % de fibres insolubles ;
  • dans les fruits et légumes : environ 35 % de fibres solubles et 65 % de fibres insolubles.

Figure 2 - Fibres solubles

Figure 3 - Fibres insolubles

En termes de fermentescibilité et de viscosité

Hormis la solubilité qui est leur caractéristique la plus connue, les fibres peuvent être différenciées selon leur viscosité et leur fermentescibilité. 

Une viscosité accrue des fibres (capacité à former des solutions épaisses ou des gels quand l'hydratation est suffisante) :

  • contribue à la sensation de satiété en ralentissant la vidange gastrique ;
  • ralentit :
    • la digestion,
    • l'absorption des nutriments (glucides et lipides) (cf. infra).

La fermentescibilité des fibres (capacité à être dégradée par les bactéries intestinales du côlon) :

  • favorise la diversité microbienne et contribue à la stabilité du microbiote intestinal ;
  • permet la production d'AGCC dans le côlon, qui jouent plusieurs rôles clés (cf. infra).

Les caractéristiques physicochimiques des fibres (solubilité, viscosité et fermentescibilité) forment un continuum et agissent de concert pour déterminer leurs propriétés fonctionnelles dans le tractus gastro-intestinal.

À titre d’exemples [3, 4] :

  • les fibres insolubles, non visqueuses, non fermentescibles agissent principalement sur le temps de transit intestinal : par exemple, la cellulose dans le son a un effet exclusivement laxatif.
  • à l’inverse, les fibres solubles, visqueuses et fermentescibles ont des fonctions liées au microbiome, à la fermentation et à la biodisponibilité des nutriments : par exemple, la pectine et la galactomannane augmentent la biodisponibilité de certains nutriments et la synthèse d’AGCC. 
  • les fibres solubles non visqueuses et fermentescibles ont des fonctions liées au microbiome et à la fermentation : par exemple, l’inuline et les galacto-oligosaccharides ont la capacité à produire des AGCC avec un effet prébiotique.
  • les fibres à solubilité et à viscosité moyennes et à faible fermentescibilité comme le psyllium augmentent la biodisponibilité de certains nutriments, accélèrent le transit intestinal et retiennent l’eau.

Focus sur les fibres solubles

Les mécanismes d'action des fibres solubles semblent plus complexes que ceux des fibres insolubles. Elles ont des actions multiples, en particulier en raison de leurs caractères fermentescible et visqueux [3, 5]. 

Elles augmentent :

  • le bol alimentaire avec un effet de satiété précoce ;
  • la rétention d’eau et la viscosité du bol fécal ;
  • les AGCC qui ont un effet important anti-inflammatoire et immunomodulateur et qui jouent un rôle dans  :
    • le maintien de l’intégrité de la barrière intestinale (jonctions serrées des cellules intestinales),
    • la régulation de la néoglucogenèse dans le foie,
    • la réduction du pH avec inhibition du développement des agents pathogènes,
    • la croissance d’un microbiote intestinal diversifié,
    • l’activation du système neuroendocrine intestinal. Les AGCC activent en particulier le peptide tyrosine tyrosine (PYY), responsable d'une augmentation de la motricité intestinale et d'un effet anorexigène, et le Glucagon-Like Peptide-1 (GLP-1) qui augmente la satiété, la sécrétion d'insuline, et diminue l'appétit et l'insulinorésistance.

Elles diminuent/ralentissent :

  • l’absorption du glucose et des lipides, ce qui aide à réguler la glycémie (réduction des pics glycémiques post-prandiaux) et les taux de lipides sanguins ;
  • la réabsorption des acides biliaires (d'où une élimination accrue dans les selles et une baisse de la cholestérolémie).

Les fibres solubles peuvent ainsi avoir une action sur différents symptômes/syndromes :

  • la diarrhée par un effet absorbant de l’eau et ralentisseur de la vidange gastrique ;
  • la constipation par un effet « gel » avec augmentation de la motricité colique, du volume et de l'évacuation des selles (effet laxatif) ;
  • le syndrome de l’intestin irritable par un effet pré et probiotique détaillé ci-dessus.

Quelles fibres ? Pour qui ?

Dans cette revue récente de Gill et al. [3], les fibres sont recommandées dans différentes affections gastro-entérologiques selon des niveaux de preuve variables dans (cf. Tableau 1) :

  • le syndrome de l’intestin irritable à constipation ou à diarrhée prédominante ;
  • la constipation fonctionnelle ;
  • les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI) ;
  • les diverticulites. 
Tableau 1 - Guidelines de l'utilisation des fibres en gastro-entérologie

Désordre gastro-entérologique

Recommandation en fibres

Niveau de preuve

Syndrome de l’intestin irritable avec constipation prédominante

Supplémentation en fibres solubles comme le psyllium, la méthylcellulose et la gum de guar partiellement hydrolysée 

Méta-analyses d’essais contrôlés randomisés

Ajuster l’apport en fibres selon les symptômes en ajoutant d’autres sources naturelles comme l’avoine et les graines de lin

Accord professionnel

Les recommandations pour les graines de lin moulues sont de 6 à 24 g par jour avec une augmentation graduelle sur 3 mois

Petit nombre d’essais contrôlés randomisés

Syndrome de l’intestin irritable avec diarrhée prédominante

Réduire la consommation de fibres insolubles comme le pain complet, les farines riches en fibres, les céréales riches en son et en grains entiers comme le riz brun

Revue systématique d’essais contrôlés randomisés

Supplémentation en fibres solubles comme le psyllium

Méta-analyses d’essais contrôlés randomisés

Ajuster l’apport en fibres selon les symptômes

Accord professionnel

Constipation fonctionnelle

Encourager une augmentation graduelle de tous types de fibres (solubles et insolubles) sur des semaines (et non pas sur des jours) pour minimiser l’inconfort intestinal en rapport surtout avec les ballonnements jusqu’à une dose cible de 25 à 30 g par jour. Et aviser les patients que l’effet peut être retardé de plusieurs semaines

Méta-analyses d’essais contrôlés randomisés

Encourager la prise de fibres complètes (son de blé, riz complet, pâtes et pain complet) avec une possibilité d'ajouter d’autres produits à effet laxatif comme le sorbitol, les pruneaux et les abricots

Petit nombre d’essais contrôlés randomisés et accord professionnel

Recommander une importante dose de psyllium > 15 g par jour

Méta-analyses d’essais contrôlés randomisés

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin

Encourager une alimentation variée qui apporte l’énergie et les nutriments nécessaires incluant les fibres de tous les types : fruits, légumes, céréales, graines, noix, etc.

Accord professionnel

Considérer une limitation des fibres chez les patients avec sténose

Accord professionnel

Une diète de fibres est contre-indiquée en cas de symptômes occlusifs

Accord professionnel

La RCH semble plus adaptée à un régime riche en fibres que la maladie de Crohn

Revue systématique d’essais contrôlés randomisés

La maladie diverticulaire

Un apport faible en fibres est recommandé en cas de diverticulite

Accord professionnel

En dehors des crises, une diète riche en fibres de différentes sources est recommandée pour éviter la récidive de la diverticulite

Études observationnelles et accord professionnel

Autres applications  

En dehors de l’impact positif sur le tube digestif, les fibres solubles peuvent agir sur le syndrome métabolique, le risque cardiovasculaire et la stéatohépatite non alcoolique (NASH) en régulant :

  • le poids grâce à une satiété précoce par :
    • augmentation du volume gastrique et ralentissement de la digestion (inhibition de la ghréline),
    • production de leptine (signalisation activée par les AGCC) [1, 6] ;
  • le taux de cholestérol par :
    • diminution de l’absorption du cholestérol,
    • une action positive des AGCC sur la néoglucogénèse [1, 7, 8] ;
  • la glycémie par :
    • diminution de l’absorption du glucose et du pic glycémique postprandial,
    • réduction de l’index glycémique des aliments digérés,
    • effet de satiété précoce,
    • stimulation de la néoglucogenèse par les AGCC.

Les fibres solubles pourraient avoir un effet dans la prévention du cancer colorectal [9, 10, 11] des maladies auto-immunes et des maladies neurologiques, en particulier dégénératives et dépressives. Ces impacts positifs sont davantage discutables avec des niveaux de preuve faibles. Ils pourraient être en partie expliqués par un effet homéostatique et anti-inflammatoire du microbiote intestinal et par une réduction du syndrome métabolique.

Les perspectives sont prometteuses, mais de nombreuses questions restent encore sans réponse notamment sur les types de fibres, les doses et les associations les plus efficaces pour prévenir ou traiter ces pathologies.

Des apports quotidiens largement insuffisants

Plusieurs données de la littérature montrent que les apports quotidiens en fibres dans la population générale en France sont insuffisants quels que soient le sexe et la tranche d’âge. Ils sont de l’ordre de 15 g par jour, bien en dessous des recommandations qui préconisent entre 25 et 30 g par jour (cf. Tableau 2) [12, 13].

Pour rappel, ces recommandations se fondent sur les résultats de méta-analyses d'études épidémiologiques qui suggèrent que des apports plus élevés en fibres sont associés à une réduction du risque de pathologies cardiovasculaires, de diabète de type 2, de cancer colorectal et d'autres maladies chroniques.  

Tableau 2 - Quantité de fibres recommandée selon la tranche d'âge

Quels conseils en pratique ?

Expliquer aux patients l'effet bénéfique des fibres sur :

  • le transit et les symptômes associés au syndrome de l'intestin irritable ;
  • le poids ;
  • la glycémie ;
  • le cholestérol.

Insister sur le fait que :

  • les effets ne sont pas immédiats ;
  • l’augmentation doit être progressive sur plusieurs semaines (un enrichissement brusque peut provoquer constipation, crampes abdominales et ballonnements, responsables d’une non-adhésion au régime) ;
  • l’absorption d’une quantité suffisante d’eau est nécessaire pour avoir l’effet escompté (au moins 1,5 à 2 litres de liquide en moyenne par jour) ;
  • les fibres solubles sont à privilégier chez les patients souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable ;
  • il ne faut pas hésiter, en cas de besoin, à faire appel à un nutritionniste/diététicien, du moins au début du régime, car les patients sont souvent très demandeurs.

Une incitation à un enrichissement et une diversification des apports en fibres doit faire partie intégrante de l’activité d’un gastro-entérologue.

N.B. : Les figures et tableaux ont été fournis par le Dr Nadia Fathallah, lors des Journées francophones d'hépato-gastro-entérologie et d'oncologie digestive (JFHOD) des 14-17 mars 2024 au Palais des congrès de Paris.

Sources

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