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Juste prescription en gériatrie : le cas particulier des psychotropes

Les psychotropes, souvent utilisés chez le sujet âgé, peuvent être responsables d’effets délétères tels que des troubles cognitifs et des chutes. L’évaluation précise et répétée de leur rapport bénéfice/risque et le respect des posologies et durées de traitement est capitale.

Isabelle Hoppenot 03 octobre 2024 Image d'une montre8 minutes icon Ajouter un commentaire
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De nombreuses indications chez le sujet âgé.

De nombreuses indications chez le sujet âgé.Tero Vesalainen / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images 

Résumé

Les psychotropes sont largement prescrits en gériatrie. Mais si les antidépresseurs apparaissent sous-utilisés, les antipsychotiques et les benzodiazépines semblent en revanche surutilisés.

Pour les antidépresseurs, il est important de :

  • bien évaluer les comorbidités et le risque d’interactions médicamenteuses ;
  • connaître leur durée de prescription pour une pathologie donnée.

En cas de consommation prolongée, le sevrage doit se faire sur plusieurs mois.

Les risques iatrogènes, d’accoutumance et d’escalade de doses sont connus avec les benzodiazépines. Il ne faut cependant pas être dogmatique, mais :

  • adopter une attitude pragmatique ;
  • évaluer la balance bénéfice/risque ;
  • et discuter avec le patient.

Si le sevrage est possible, il est conseillé d’effectuer des paliers de 12,5 % à 25 % de la dose initiale sur plusieurs semaines.

Dans les troubles psycho-comportementaux associés aux maladies neuro-évolutives, la balance bénéfice/risque des neuroleptiques est très ténue. Il faut donc savoir réinterroger l’indication et bien évaluer le risque de complications cardiovasculaires et de pneumopathie de déglutition.

Largement prescrits en gériatrie, dans des indications aussi variées que l’anxiété, la dépression, ou encore les symptômes psycho-comportementaux associés aux maladies neuro-évolutives, les psychotropes sont parfois surutilisés (l’« overuse » des Anglo-Saxons), sous-utilisés (« underuse ») ou mal utilisés (« misuse »).   

Quel est globalement le paysage de l’utilisation des différents types de psychotropes chez les sujets âgés ?

Pour les benzodiazépines, on observe plutôt une surutilisation. En moyenne, chez un sujet âgé sur trois, une benzodiazépine figure sur l’ordonnance, une proportion qui peut atteindre près de 50 % chez les personnes de plus de 80 ans vivant en institution.

Concernant les antidépresseurs, à l’inverse, c’est la sous-utilisation qui prévaut, car les troubles dépressifs et anxieux (où cette classe de médicaments a une place dans le traitement de fond) sont insuffisamment repérés et pris en charge. Ainsi, tous les patients qui le nécessiteraient ne bénéficient pas d’une prescription d’antidépresseurs (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine [ISRS] ou inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline [IRSNA]).

De plus, le sous-dosage est fréquent, responsable d’une absence d’efficacité, alors que la posologie est souvent la même chez le sujet âgé et l’adulte jeune, sous réserve de respecter la règle de l’augmentation progressive des doses (« start slow/go slow »).  

Quant aux antipsychotiques, la tendance est à leur surutilisation dans les troubles psycho-comportementaux des maladies neuro-évolutives, et ce souvent en raison de moyens humains et architecturaux non adaptés à la sécurisation des patients, notamment ceux qui déambulent beaucoup.

Quelles sont les règles de prescription des antidépresseurs ?

Afin d’éviter le recours à une molécule ou une durée de prescription inadaptées, il est important de bien évaluer les comorbidités et le risque d’interactions médicamenteuses lors du choix de la molécule et de connaître la durée de prescription des psychotropes pour une pathologie donnée.

  • Pour les épisodes dépressifs caractérisés, on peut se référer au consensus d’experts américain, qui préconise un an de traitement après la rémission (qui peut prendre plusieurs mois) pour un premier épisode et deux ans de traitement, toujours après obtention de la rémission, pour un deuxième épisode [1].  
  • Les données sur les règles de prescription des antidépresseurs dans les troubles anxieux sont plus floues. Chez la personne âgée, il s’agit rarement de manifestations de novo, mais le plus souvent de troubles évoluant de façon chronique et donc de patients nécessitant un traitement au long cours. Il faut alors ajuster la prescription à l’âge, à la situation, la stratégie s’établissant au cas par cas.

Si la prescription est prolongée, le sevrage doit être progressif, sur plusieurs mois (sauf situations urgentes telles qu’une rétention aiguë d’urines sous imipraminique, par exemple).

La vigilance doit être plus importante avec la paroxétine, du fait de sa demi-vie courte et de son potentiel anticholinergique non négligeable, ce qui induit un sevrage anticholinergique. Il doit aussi être très progressif avec la venlafaxine.

Il n’y a pas d’abaques de réduction de doses validés, il faut s’adapter aux désirs du patient et aux capacités de surveillance.

Qu’en est-il des benzodiazépines et de leur déprescription ?

Cette classe de psychotropes est pointée du doigt en raison de ses risques iatrogènes, d’accoutumance et d’escalade de doses.

Cependant, deux essais récents soulignent que si le sevrage en benzodiazépines doit globalement rester l’objectif, il ne faut pas être dogmatique.

Une étude de cohorte danoise [2] a évalué, chez plus de 900 000 patients âgés de 20 à 80 ans, le risque d’augmentation des doses de benzodiazépines ou de molécules apparentées (« Z-drugs » : zolpidem, zopiclone). Environ 15 % étaient des utilisateurs au long cours (plus de 1 an) et 3 % au très long cours (plus de 7 ans), le risque étant plus élevé chez les consommateurs de molécules hypnotiques apparentées aux benzodiazépines.

Chez les personnes traitées par benzodiazépines ou Z-drugs pendant plus de 3 ans de façon continue, la dose médiane est restée globalement stable et seuls 7 % avaient augmenté la posologie au-delà des valeurs recommandées. Le risque d’accroissement des doses était plus marqué en cas de comorbidité psychiatrique, et notamment d’addiction.   

Une autre étude publiée dans le Journal of the American Medical Association a de son côté évalué l’impact du sevrage des benzodiazépines sur la morbi-mortalité à un an sur une cohorte de plus de 300 000 patients (dont environ la moitié était âgée de plus de 65 ans) recevant des benzodiazépines depuis au moins un an [3]. Les auteurs ont rapporté une augmentation de la morbi-mortalité (Odds Ratio de 1,6) chez les patients ayant été sevrés de benzodiazépines, comparativement à ceux qui avaient poursuivi leur utilisation.  

S’il n’est pas possible de conclure formellement sur la base de ces deux études, elles montrent qu’il faut adopter une attitude pragmatique, réévaluer la balance bénéfice/risque, discuter avec le patient lorsque cela est possible, pour s’orienter, dans le cadre d’une décision partagée, vers une réduction de doses ou leur maintien.

  • Si le sevrage n’est pas possible, il est souvent intéressant de se tourner vers une stratégie de réduction des risques, en privilégiant une monothérapie plutôt qu’une bithérapie (il y a souvent une association de benzodiazépine et d’un apparenté) et en choisissant les molécules les plus adaptées. Il faut ainsi préférer celles à demi-vie courte à celles à demi-vie longue et éviter les molécules avec métabolites actifs.
  • Lorsque le sevrage est possible, il est conseillé d’effectuer des paliers de 12,5 % à 25 % de la dose initiale, sur une période de plusieurs semaines. On peut être limité dans ce cadre par la galénique de la molécule : il ne faut alors pas hésiter à changer de benzodiazépine en équivalent de doses. Enfin, il faut garder en tête que les dernières étapes du sevrage sont souvent les plus difficiles, psychologiquement et physiologiquement.  

Pour le cas spécifique des benzodiazépines, il faut rechercher le trouble qui avait conduit à leur mise en place, car la déprescription peut faire resurgir la pathologie initiale.

Quelles sont les mesures parallèles ?

Il y a peu de données spécifiques sur des éventuels traitements de substitution chez les sujets âgés.  

Des travaux menés par une équipe japonaise avaient mis en évidence les bénéfices d’un dispositif de psycho-éducation avec la remise d’un livret pour le sevrage des hypnotiques [4].

Les diverses expériences réalisées dans les Ehpad montrent qu’une telle approche structurée est efficace pour favoriser l’arrêt des benzodiazépines [5]. Des études réalisées en population âgée, mais pas spécifiquement en Ehpad, soulignent également le bénéfice de techniques adjuvantes (thérapies cognitives et comportementales, psychothérapie, relaxation) [67].  

Comment gérer les antipsychotiques ?

Les antipsychotiques peuvent être prescrits dans différentes situations :

  • dans leurs indications classiques que sont les troubles psychotiques tels que la schizophrénie et certains troubles bipolaires, la gestion des psychotropes avec l’avancée en âge relève du spécialiste ;
  • dans le cadre des troubles psycho-comportementaux associés aux maladies neuro-évolutives, la balance bénéfice/risque des neuroleptiques est très ténue. Pour le praticien, il importe donc de réinterroger l’indication et de bien évaluer le risque de complications cardiovasculaires (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral) et de pneumopathie de déglutition.

En matière de durée de traitement, les pratiques varient, entre quelques mois et un an, l’arrêt du médicament se faisant de façon progressive en surveillant l’évolution.

L’une des craintes est le risque de réapparition des symptômes à l’arrêt du traitement, risque qui toutefois ne paraît pas aussi élevé que ce que l’on pense selon une revue Cochrane, sauf en cas de symptômes initiaux très sévères [8]. Il est ainsi possible de déprescrire et au besoin de represcrire en cas de rebond, le risque n’étant ni dose-dépendant, ni durée-dépendant.

D’après un entretien avec le Dr Alexis Lepetit, psychiatre-gériatre, groupe ACPPA (Accueil et confort pour personnes âgées), Hospices civils de Lyon, Secrétaire général adjoint de la Société francophone de psychogériatrie et psychiatrie de la personne âgée (SF3PA). 

Sources

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