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Histoire de faire passer la pilule !

À l’occasion de la Journée mondiale de la contraception du 26 septembre 2024, VIDAL retrace l’histoire de la pilule, de son invention à sa légalisation.

Dam-Thi Tsuvaltsidis 26 septembre 2024 Image d'une montre11 minutes icon Ajouter un commentaire
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En France, la pilule est le premier contraceptif féminin.

En France, la pilule est le premier contraceptif féminin. areeya_ann / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

La pilule est le premier moyen contraceptif en France. Mais sa vente est en baisse régulière depuis dix ans. La 17e édition de la Journée mondiale de la contraception du 26 septembre 2024 est l’occasion de faire un retour sur son histoire. Qui a inventé la pilule ? Quel était le contexte en France ? Comment la pilule a été introduite dans l'Hexagone ?

Le 26 septembre 2024 célèbre la 17e édition de la Journée mondiale de la contraception. Le but ? Réduire le nombre de grossesses non désirées dans le monde qui serait estimé à 121 millions par an selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). 60 % d'entre elles aboutiraient à un avortement. Dans le cadre de cet événement, de nombreuses animations sont organisées en France pour sensibiliser notamment les jeunes sur la contraception et les risques liés aux rapports sexuels non protégés. L'occasion de revenir sur l’histoire de la pilule qui a débuté à une époque où les grossesses n'étaient pas programmées.

Au début du XXe siècle, la connaissance des cycles menstruels et de l’ovulation est encore limitée, mais elle va rapidement progresser avec la découverte des estrogènes et de la progestérone.

Qui est le « père » de la pilule ?

En 1920, les travaux du médecin autrichien Ludwig Haberlandt (1885-1932) permettent de comprendre que, durant la grossesse, l’ovulation est bloquée en raison de l’augmentation de la sécrétion d’une hormone féminine, la progestérone. Grâce à l’essor de la chimie dans les années 1940, les scientifiques cherchent à synthétiser ce « contraceptif naturel » pour reproduire son effet [1, 2]. Et c'est Russell Marker (1902-1995), chimiste américain, spécialisé dans les stéroïdes et installé au Mexique, qui va y parvenir. Il réussit en effet à synthétiser les hormones féminines en utilisant la diosgénine, présente dans une plante locale, la cabeza de negro ou barbasco. La compagnie Synthex qu’il a fondée lui permet de produire industriellement cette progestérone de synthèse en 1944 [2, 3].

Après un différend, Russell Marker quitte Synthex et cède la place en 1949 à un chimiste autrichien Carl Djerassi (1923-2015) [2, 3], spécialisé lui aussi dans la chimie des stéroïdes et émigré aux États-Unis pour fuir le nazisme. En 1951, Carl Djerassi, Luis Miramontes et George Rosenkranz développent un progestatif de synthèse dérivé de la testostérone capable d’inhiber l’ovulation, la noréthindrone, premier « contraceptif oral » [1].

Première pilule progestative

Mais le « père » de la pilule, universellement reconnu, est Gregory Pincus (1903-1967), endocrinologue américain d’origine russe. Professeur à Harvard en 1930, intéressé par la génétique, il commence ses recherches « en injectant des estrogènes à des lapines, puis parvient à fertiliser leurs ovules dans un tube à essai, avant de réimplanter avec succès les embryons dans leurs utérus ». Il découvre ainsi la fécondation in vitro [23].

Pincus contacte John Rock (1890-1984), également issu de Harvard, gynécologue américain. Ce spécialiste de l’infertilité a constaté que la progestérone mettait le système reproducteur des femmes à l’arrêt [3].

Cependant cette université réputée, mais conservatrice, ne renouvelle pas le poste de Pincus. Celui-ci décide alors de s’installer dans une université moins prestigieuse du Massachusetts où il crée en 1944 la Worcester Fondation for Experimental Biology, un centre de recherche, qui lui permet de poursuivre ses travaux sur les hormones [3].

En 1950, Pincus rencontre Margaret Sanger (1879-1966), infirmière et féministe américaine, qui a milité toute sa vie contre les ravages des grossesses non désirées dans les quartiers populaires de New York et pour l’accès à la contraception. Elle l’incite à poursuivre ses recherches sur l’hormone contraceptive [3].

Pincus et Rock lancent en 1953 une première étude clinique auprès de patientes volontaires du gynécologue, et celles d’hôpitaux psychiatriques… sans leur consentement. Après un an de recherche, les résultats ne sont pas au rendez-vous. La moitié des volontaires ont mis fin à leur participation en raison d’effets secondaires. Par ailleurs, les femmes hospitalisées en psychiatrie n’ont pas (ou peu) de vie sexuelle [3]…

Pincus a besoin de fonds privés pour continuer ses travaux. La même année, Margaret Sanger lui présente la milliardaire Katharine McCormick (1875-1967), également militante féministe, première femme diplômée du MIT (Massachusetts Institute of Technology). Les deux femmes se connaissent bien. Elles ont travaillé ensemble dans les années 1920 sur le contrôle des naissances. McCormick accepte de financer les recherches de Pincus [3].

Pincus et Rock lancent en 1955 un deuxième essai avec le noréthynodrel, un progestatif plus puissant que la noréthindrone [2], à Porto Rico, une possession ultramarine des États-Unis, en surpopulation. Encore une fois, les volontaires, en majorité des étudiantes, abandonnent. Jusqu’au jour où Pincus y rencontre Edris Rice-Wray, une femme médecin américaine qui travaille au planning familial de la capitale et parallèlement au ministère de la Santé. Elle connaît les quartiers pauvres de Porto Rico, où les femmes enchaînent les grossesses à répétition et recourent à l’avortement clandestin qui met leur vie en danger [3]. 830 se portent volontaires, mais elles ignorent qu’il s’agit d’un médicament expérimental et qu’elles font partie d’un essai clinique. La plupart abandonnent en raison des effets secondaires. Seules 130 prennent la pilule pendant un an ou plus. Les résultats sont encourageants : il n’y a pas eu de grossesses enregistrées pendant les 1 279 cycles menstruels. Trois femmes seraient décédées pendant l’essai. Leur mort n’a jamais fait l’objet d’investigation [4]. Cet essai clinique de grande ampleur confirmera en 1956 que la pilule uniquement progestative permet d'éviter la grossesse [3].

Première pilule combinée née par sérendipité

Parallèlement à Synthex, le laboratoire Searle entreprend de synthétiser le noréthynodrel [1]. L’équipe de Pincus se rend compte, par hasard, que la pilule que leur fournit Searle a été accidentellement contaminée par du mestranol, estrogène synthétique [1, 3]. Elle demande alors à Searle de purifier les composés. « Or, fait inattendu, une fois le taux de mestranol réduit à moins de 1 %, le noréthynodrel s’avère moins efficace pour bloquer l’ovulation. Il apparaît donc que l’association estrogène-progestatif est plus efficace que le progestatif seul » [1]. Ainsi est née la première pilule combinée. Elle est commercialisée sous le nom d’Enovid par Searle en 1957 [3]. Elle reçoit plusieurs autorisations de mise sur le marché (AMM) par la Food and Drugs Administration (FDA). Toutefois, pour faire accepter cette pilule auprès de l’Église catholique, le laboratoire n’a pas présenté initialement Enovid comme un contraceptif, mais comme un médicament destiné à lutter contre les troubles du cycle menstruel, à la condition expresse que soit mentionné, dans les effets secondaires, l’arrêt de l’ovulation. Il faudra attendre 1961 pour que la FDA l’autorise en tant que pilule contraceptive [12, 3].

Quel contexte en France ?

La pratique de la contraception en France a commencé lors de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Si le préservatif existait déjà depuis le XVIIe siècle, il connaît une évolution majeure au cours du XIXe siècle, plus utilisé pour prévenir les maladies vénériennes que comme contraceptif. Les couples mariés pratiquaient la méthode du coït interrompu (retrait). Jusqu’au début du XXe siècle, les éponges, les diaphragmes et les douches vaginales avec la popularisation du bidet dans les foyers européens étaient adoptés. Cette période correspond à la « première révolution contraceptive », car ces pratiques ont entraîné une baisse durable de la fécondité en France. La crise démographique dans laquelle le pays plonge au lendemain de la Première Guerre mondiale n'a fait qu'exacerber une crainte d'une dépopulation. La préoccupation nataliste française s’oppose alors au développement de la contraception [5].

Répression de la propagande anticonceptionnelle

En conséquence, la loi du 31 juillet 1920 interdit la propagande et la vente des procédés anticonceptionnels. « Article 2 : Sera puni […] quiconque aura vendu, mis en vente, ou fait vendre, distribué, ou fait distribuer de quelque manière que ce soit, des remèdes, substances […] sachant qu’ils étaient destinés à commettre le crime d’avortement […] ». La sanction peut varier d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de cent francs à trois mille francs (article 1er). L’avortement était condamné depuis 1810 dans l’article 317 du Code Pénal [6].

Cette loi est renforcée en 1939 par la création de sections spéciales de policiers chargées de traquer les « faiseuses d’anges ». En 1942, sous le régime de Vichy, aider une femme à avorter devient un crime contre la sûreté de l’État et passible de la peine de mort. Marie-Louise Giraud et Désiré Piogé, pratiquant des avortements clandestins, seront guillotinés [3].

Le planning familial

Devant cette répression, comment contrôler les naissances sans se mettre dans une situation illégale ? En 1956, la gynécologue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé (qui a rencontré Margaret Sanger) crée la première association française de contraception « La Maternité heureuse » avec des femmes instruites de la haute société (avocates, écrivaines, médecins, femmes au foyer). La vitrine présente des « mères honorables ». Sous couvert d’améliorer la vie familiale, il s’agissait d’informer sur la contraception pour éviter des grossesses non désirées et des avortements clandestins [6].

En 1960, l’association devient le Mouvement français pour le planning familial. À partir de 1961, des centres de Planning familial ouvrent dans la plupart des grandes villes françaises. De plus en plus de médecins, favorables au contrôle des naissances, prescrivent illégalement des contraceptifs importés dont la pilule [5, 6]. Ce n'est qu'en 1966 que le conseil de l’Ordre s'empare du sujet et admet que « le médecin n’a pas à s’en désintéresser (de la contraception) s’il veut la pleine santé et l’épanouissement des familles dont il est médicalement responsable » [7].

Légalisation de la pilule

Il faudra attendre 1967 pour que la France légalise la pilule sur prescription médicale (loi Neuwirth), non pas en tant que contraceptif, mais pour réguler le cycle menstruel (à l’instar de la première pilule Enovid). La publicité est interdite, sauf dans les revues médicales [36, 8]. La Sécurité sociale ne la rembourse pas.

Les premières enquêtes dans les années 1970 révèlent l’importance du recours au « retrait » comme méthode de contraception. Toutefois, les nouvelles méthodes contraceptives seront également vite adoptées : la pilule et le dispositif intra-utérin (DIU) (stérilet). C’est la « seconde révolution contraceptive » (cf. Figure 1).

Figure 1 - Recours aux différentes méthodes contraceptives (en %) [5]

La légalisation de la contraception et les campagnes gouvernementales permettent la diffusion de la pilule et des DIU prescrits par des professionnels de santé (cf. Encadré - État des lieux des moyens contraceptifs en France). La contraception devient médicalisée. Le recours au retrait baisse poussant les hommes à être moins impliqués dans le contrôle de la fécondité. À l’inverse, la pilule permet aux femmes de contrôler leur fécondité, mais il leur revient aussi à elles seules la responsabilité en matière de contraception.

Par ailleurs, alors que les femmes disposent d’un large panel de méthodes contraceptives (outre la ligature des trompes, la pilule et le DIU, l'implant, le patch, l'anneau vaginal, le diaphragme, la cape cervicale, l'abstinence périodique) les hommes n’en disposent que de trois : le préservatif masculin, la vasectomie, et le retrait [9, 10]. Depuis son autorisation en France en 2001, la vasectomie connaît un boom. Même si l’opération reste marginale (0,15 %), en comparaison de cette pratique dans les pays anglo-saxons, le nombre de vasectomies a été multiplié par quinze en douze ans en France, passant de 1 940 interventions en 2010 à plus de 30 000 en 2022. Et pour la première fois, il y a eu davantage de stérilisations masculines que de stérilisations féminines en 2022 (20 000) [11].

Pour éviter que la charge mentale et financière repose sur la femme, différents travaux encouragent la recherche d'autres contraceptifs masculins. Est-ce qu’on se dirige aujourd'hui vers une évolution des mentalités avec un partage de la responsabilité contraceptive entre les partenaires au lieu d’une responsabilité exclusivement féminine de la maîtrise de la fécondité du couple ?

Encadré - État des lieux des moyens contraceptifs en France

En 2019, la pilule reste le premier contraceptif utilisé en France. Plus de 5 millions de femmes ont eu recours à une contraception orale (CO) remboursée. Et ce, malgré la « crise de la pilule », survenue en 2012-2013, qui fait suite à la médiatisation du dépôt de plainte d’une jeune femme contre un laboratoire pharmaceutique en raison d’un accident thromboembolique veineux survenu alors qu’elle utilisait une pilule estroprogestative de 3e génération [12].

Cette crise a entraîné le déremboursement des pilules de 3e et 4e générations en mars 2013. Immédiatement, une baisse globale de l’utilisation des pilules contraceptives a été constatée, notamment chez les jeunes femmes de 20-29 ans [12].

Selon Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), « les dernières données de ventes [en 2020] confirment que les femmes et les prescripteurs privilégient les pilules contraceptives qui présentent les risques thromboemboliques veineux (phlébite, embolie pulmonaire) les plus faibles (CO de 1re* ou 2e** génération contenant du lévonorgestrel associé à un dosage faible en estrogènes [20 µg]) » (cf. Figure 2). Les ventes de contraceptifs oraux combinés (COC) sont en baisse régulière depuis dix ans (-33 %) [13] tandis que les progestatifs seuls utilisés comme contraceptifs oraux connaissent une augmentation des ventes (77 % entre 2013 et 2020) [14].

Le DIU est le 2e moyen de contraception toutes tranches d’âge confondues. Les chiffres de ventes de DIU imprégnés au lévonorgestrel sont stables depuis 2013 [12]. Alors que les ventes de DIU au cuivre ont quasi doublé en dix ans.

L’implant contraceptif progestatif constitue la 3e méthode de contraception remboursée. Le recours à ce contraceptif est également stable depuis dix ans. Il est davantage proposé aux femmes ayant eu des enfants [12].

Figure 2 - Ventes annuelles de contraceptions orales combinées (COC) de 1re/2e génération (1/2G) et 3e/4e génération (3/4G) de 2011 à 2020 en ville [14]

Sources

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