En 2023, plus de 130 000 patients concernés en France.wildpixel / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images
Le bilan de l’antibiorésistance en France, pays pourtant encore relativement épargné par rapport à d’autres régions du monde, est lourd : 130 000 cas d’infections à bactéries multirésistantes ou hautement résistantes et 5 500 décès annuels.
Le bacille pyocyanique et les entérobactéries productrices de carbapénémases sont les principales bactéries en cause.
Il est essentiel de repérer tôt les patients susceptibles d'être concernés par de tels germes et de recourir rapidement à des examens de laboratoire spécifiques.
Les nouveaux antibiotiques associant bêtalactamines et inhibiteurs de bêtalactamases doivent être utilisés à bon escient et à bonne posologie.
La réduction de l’inoculum est essentielle.
L’antibiorésistance est un phénomène très préoccupant, qui est d’ailleurs considéré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une priorité de santé publique. À l’horizon 2030, les décès liés à ces infections pourraient dépasser ceux par cancers. Si l’Europe de l’Ouest est encore aujourd’hui relativement préservée, ce n’est pas le cas de bon nombre de pays d’Europe du sud et de l’est, d’Afrique et d’Asie.
Quelle est l’épidémiologie des résistances bactériennes en France ?
Selon les données de l’enquête de Santé publique France [1] et le dernier rapport du European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) [2] publié en 2023, plus de 130 000 patients en France ont été concernés par une infection à bactérie multi ou hautement résistante en 2021, et 5 500 décès y ont été associés.
Dans notre pays, deux bactéries sont particulièrement impliquées dans ce phénomène d’antibiorésistance :
- Le bacille pyocyanique, Pseudomonas aeruginosa, qui a la capacité d’acquérir des résistances par de nombreux mécanismes (mutations, gènes exogènes).
- Les entérobactéries productrices de carbapénémases, qui ont fait leur apparition au début des années 2000. Au fil des ans, les souches productrices de métallo-bêtalactamases ont augmenté de façon marquée aux dépens des carbapénémases « historiques », les OXA-48. Cela pose donc un problème important, car si nous disposons de différentes armes visant les OXA-48, ce n’est pas le cas pour les métallo-bêtalactamases.
Parallèlement, alors qu’auparavant il existait une corrélation entre voyages et portage de carbapénémases, ces bactéries circulent aujourd’hui à bas bruit dans la communauté, pouvant toucher des patients n’ayant pas voyagé.
Loin derrière en France, mais numéro un dans les pays du sud et au niveau mondial : Acinetobacter baumannii.
Comment faire en pratique pour éviter l’impasse thérapeutique ?
Les infections à bactéries hautement résistantes (BHR) concernent surtout des patients hospitalisés, qui ont souvent de nombreuses comorbidités et ont déjà reçu une ou plusieurs lignes d’antibiotiques à large spectre. Typiquement, ce sont ceux qui séjournent longtemps en réanimation, et qui présentent une pneumopathie associée aux soins, une infection urinaire sur matériel ou encore une infection ostéoarticulaire dans les suites d’une intervention chirurgicale, classiquement à l’étranger, dans une zone de forte endémie de BHR.
Le premier temps, essentiel, est de repérer vite ces patients, car de la rapidité de mise en route d’une antibiothérapie efficace dépend la survie.
Il faut donc évoquer plus systématiquement la possibilité d'une BHR afin d’éviter l’effet de surprise lorsqu’on les isole, ce qui entraîne un retard dans la prise en charge et un risque d’épidémies dans les services.
Avec une technique standard, l’antibiogramme est en effet obtenu après 24 à 48 heures. Si l’antibiotique initialement prescrit n’est pas efficace, le praticien ne disposera des résultats des nouveaux examens ciblés qu’après un nouveau délai de 24 à 48 heures, ce qui fait perdre un temps précieux.
Chez les patients à risque d’infection par BHR, une PCR multiplex doit idéalement être demandée d’emblée. Il faut cependant souligner que si ces outils existent, ils sont onéreux et qu’il s’agit encore d’un domaine de recherche clinique : les algorithmes guidant leur utilisation à bon escient font encore défaut.
Une fois le patient repéré, il est possible de recourir à un des antibiotiques de nouvelle génération, associant bêta-lactamine et inhibiteur de bêta-lactamases, qui ciblent surtout les carbapénémases OXA-48 et KPC bien qu'elles ne soient pas les plus récentes, ou de faire appel à un « vieil » antibiotique, type colistine ou fosfomycine. Enfin, des combinaisons d’antibiotiques peuvent être administrées, mais leur efficacité doit auparavant être testée.
Il est également important de souligner la nécessité de prescrire les antibiotiques, y compris les nouveaux, à la bonne posologie, et en particulier de ne pas adapter les doses à la fonction rénale au cours des 24 à 48 premières heures.
À côté de l’antibiothérapie, quelles sont les mesures possibles et celles en cours d’évaluation ?
L’une des premières mesures est de réduire l’inoculum, ce qui passe par le retrait de matériel (sonde urinaire par exemple) ou par un drainage chirurgical. Souvent, la survenue de résistance provient en effet d’un foyer non drainé ou inopérable.
De façon marginale, le recours aux phages (cf. notre actualité du 2 janvier 2020) connaît un regain d’intérêt, en particulier dans les infections ostéoarticulaires chroniques à staphylocoque doré et pyocyanique. En l’absence de cocktails de phages polyvalents, qui font encore défaut, il faut faire appel à un phage adapté à une bactérie donnée, ce qui demande du temps. Il s’agit donc d’une stratégie qui ne peut être adaptée pour l’instant qu’à des infections chroniques.
Différentes approches novatrices sont en cours d’évaluation.
Des molécules non antibiotiques, telles que des peptides antimicrobiens sont à l’étude. Cette voie de recherche est complexe, s’appuyant sur de nouvelles techniques de culture de microbiote de l’environnement avec recherche d’analogies chimiques ou genome mining.
La voie des candidats vaccins, antistaphylocoque doré et anti-E. coli, ciblant par exemple les adhésines, est également explorée.
Des anticorps monoclonaux sont aussi en développement, les travaux les plus aboutis portant sur des antitoxines de Clostridioides difficile, d’autres visant les staphylocoques.
Quel est le rôle de la prévention ?
La prévention reste la mesure la plus efficace de lutte contre les infections à BHR. Elle se fonde sur l’usage rationnel des antibiotiques, en termes d’indications (en s’efforçant par exemple de ne pas traiter des colonisations urinaires), de durée, de posologie...
L’usage des antibiotiques à large spectre dans la communauté doit être limité au maximum, afin d’éviter la destruction des microbiotes.
Enfin, il faut souligner la nécessité d’aborder le problème de l’antibiorésistance de façon globale, chez l’homme, chez l’animal et dans l’environnement. C’est l’objectif de l’approche « One health » ou « Une seule santé », approche globale qui prend en compte les interconnexions entre ces différents secteurs (cf. notre podcast du 27 juin 2024).
D’après un entretien avec le Pr David Boutoille, chef du service de Maladies infectieuses et tropicales, CHU de Nantes.
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.