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Troubles fonctionnels intestinaux avec diarrhée : une approche pragmatique

Le syndrome de l’intestin irritable à diarrhée prédominante (SII-D) et la diarrhée fonctionnelle (DF) sont deux troubles fonctionnels intestinaux très fréquents. Mise au point sur la démarche thérapeutique et les principaux éléments de prise en charge.

Isabelle Hoppenot 17 septembre 2024 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
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SII-D : la clinique, les critères de Rome IV et un bilan biologique réduit sont souvent suffisants.

SII-D : la clinique, les critères de Rome IV et un bilan biologique réduit sont souvent suffisants.Suriyawut Suriya / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Le syndrome de l’intestin irritable à diarrhée prédominante (SII-D) et la diarrhée fonctionnelle (DF) conduisent souvent à multiplier inutilement les examens complémentaires. Pourtant, en l’absence de signes d’alarme, ou orientant vers une étiologie spécifique de diarrhée chronique, le diagnostic est avant tout clinique et nécessite un bilan biologique réduit, comme le rappellent les experts de la Société européenne de gastro-entérologie et de la Société européenne de neurogastroentérologie et de motricité dans leur récent consensus [1, 2].

Le diagnostic de malabsorption des sels biliaires est à évoquer plus systématiquement, en particulier en cas d’incontinence anale - à rechercher à l’interrogatoire -, ou de résistance au traitement de première intention.

Les experts font plusieurs propositions thérapeutiques fortes essentiellement dans le SII-D. Les données de la littérature restent très limitées pour la DF. 

Notamment, un régime pauvre en FODMAPs strict pendant 4 à 6 semaines, puis adapté au cas par cas, peut être efficace chez de nombreux patients.

Le syndrome de l’intestin irritable à diarrhée prédominante (SII-D) et la diarrhée fonctionnelle (DF) sont deux motifs très fréquents de consultation (1,2 % et 4,7 % respectivement) qui suscitent volontiers des craintes chez les patients et conduisent encore trop souvent à des explorations complémentaires itératives inutiles. Or, dans deux tiers des cas environ, les patients peuvent être pris en charge de façon simple, en s'appuyant sur la clinique et un bilan sanguin minimal. Le Professeur Benoit Coffin (hôpital Louis-Mourier à Colombes) rappelle les mesures ayant les meilleurs niveaux de preuve dans les dernières recommandations de la société européenne de gastroentérologie, United European Gastroenterology (UEG) et de la société européenne de neurogastroentérologie et motricité, European Society of Neurogastroenterology and Motility (ESNM) publiées en 2022 [1, 2, 3, 4].   

Quels sont les critères diagnostiques du SII-D et de la DF ?

Les diagnostics de ces deux syndromes reposent sur la clinique et les critères de Rome IV.

Pour le SII-D

La douleur abdominale est :

  • récidivante au moins 1 jour par semaine durant les 3 derniers mois ;
  • et associée à (au moins 2 des critères suivants) :
    • la défécation,
    • la modification de la fréquence des selles,
    • la modification de la consistance des selles selon l’échelle de Bristol : > 25 % de selles Bristol 6 ou 7 et < 25 % de Bristol 1 ou 2.

Pour la DF

  • les selles sont dans plus de 25 % des cas :
    • molles, pâteuses ou liquides,
    • sans douleur abdominale prédominante ;
  • les critères de SII-D ne sont pas remplis.

Les symptômes de SII-D et de DF doivent être présents au cours des trois derniers mois et être apparus au moins 6 mois avant le diagnostic.

Ainsi, la présence et la fréquence de la douleur abdominale permettent théoriquement de différencier SII-D et DF.

Dans le SII-D, selon les critères de Rome IV, la douleur doit être présente au moins un jour par semaine durant les trois derniers mois, alors qu’au cours de la DF, la douleur peut être rapportée, mais elle ne domine pas le tableau clinique. Toutefois, en pratique, il n’est pas toujours facile de différencier ces deux syndromes, qui font partie d’un continuum et dont la symptomatologie se chevauche dans un quart des cas.

Quel est l’impact des facteurs psychosociaux ?

Le consensus d’experts reconnaît la fréquence des facteurs psychosociaux lors du SII-D, les données faisant défaut pour la DF.

La somatisation, qui peut expliquer les manifestations extradigestives telles que signes urinaires, céphalées ou fatigue, et le catastrophisme sont les deux anomalies les plus fréquemment rapportées au cours du SII-D.

De même, la dépression apparaît plus fréquente chez les patients souffrant de ce syndrome.

Quel bilan complémentaire ?

Pour éviter des batteries d’examens inutiles, souvent itératifs, les experts des deux sociétés savantes préconisent d’adopter une stratégie de diagnostic positif fondée sur les symptômes, et non pas de diagnostic d’élimination s’appuyant sur différents examens complémentaires.

Rechercher des signes d’alarme

Ils rappellent la nécessité de rechercher des signes d’alarme :

  • perte de poids involontaire ;
  • selles nocturnes ;
  • ténesme ;
  • rectorragies ;
  • diarrhée de volume élevé et/ou nombre très élevé de selles ;
  • signes de dénutrition ;
  • antécédents familiaux de cancer colorectal.

Leur présence implique la réalisation sans délai d’examens morphologiques.

Les spécialistes soulignent également la diversité des causes de diarrhée chronique et l’importance des données de l’interrogatoire pour établir le diagnostic étiologique (notion de voyage ou signes évocateurs d’hyperthyroïdie par exemple).

Enfin, ils insistent sur l’importance de rechercher à l’interrogatoire une incontinence anale (perte de selles/gaz, port de protection), symptôme fréquent (de 5 à 10 % de la population générale), peu souvent rapporté spontanément par les patients, et qui oriente fortement vers une malabsorption des acides biliaires (cf. ci-dessous).

Quatre examens biologiques 

En pratique, en l’absence d’un quelconque signe d’orientation spécifique, il est recommandé de faire réaliser systématiquement :

  1. une NFS-plaquettes (recherche d’une anémie, d’une hyperleucocytose) ;
  2. un dosage de la CRP (un taux < 5 mg/L est associé à un risque de maladie inflammatoire intestinale très faible, de moins de 1 %). La mesure de la vitesse de sédimentation ne doit en revanche pas être effectuée ;
  3. le dosage des anticorps anti-transglutaminase de type IgA, sauf chez les patients qui suivent déjà un régime sans gluten où il n’a pas d’intérêt ;
  4. le dosage de la calprotectine fécale, protéine soluble des polynucléaires neutrophiles, marqueur d’une inflammation digestive. Une valeur normale de calprotectine fécale permet d’éliminer une pathologie organique et de s’affranchir d’une coloscopie. Une valeur élevée oriente, à l’inverse, vers une atteinte inflammatoire digestive nécessitant de plus amples explorations. Cet examen, dont le coût est de 40 à 60 euros, n’est pas remboursé dans ce contexte.

Dépister un syndrome de malabsorption des acides biliaires

Le syndrome de malabsorption des acides biliaires, qui peut entraîner une diarrhée, est fréquent (prévalence de 28 % en cas de SII-D). Les experts insistent sur l’intérêt d’évoquer plus systématiquement ce syndrome.

Les tests diagnostiques évalués dans la littérature internationale, test d’absorption de l’acide homo-taurocholique marqué (SeHCAT) surtout ou dosage de l’acide 70-OH-4-cholesten-3-one ou C4 (précurseur des acides biliaires), ne sont pas disponibles en France. Un traitement d’épreuve par un chélateur des acides biliaires, la colestyramine, est donc proposé pour poser le diagnostic, qui est évoqué en particulier chez les patients avec des selles très fréquentes, très impérieuses et des fuites anales et chez ceux ne répondant pas au traitement de première intention. 

Ce traitement doit être pris à distance des autres médicaments éventuels (par exemple lors du déjeuner si les autres sont pris matin et soir). Il est utilisé hors autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication.

Niveau d’évidence : modéré ; Grade de la recommandation : modéré ; accord : 93 % [1].

Quel traitement de première intention ?

Selon les recommandations de l’UEG et de l’ESNM, les antispasmodiques sont recommandés en première intention au cours du SII-D [1]. Les antispasmodiques musculotropes sont les seuls médicaments proposés actuellement dans le traitement de la douleur du syndrome de l'intestin irritable. Ils sont bien tolérés aux posologies usuelles et peuvent améliorer la douleur abdominale en diminuant les contractions musculaires, avec un bon profil de tolérance. Leur utilisation doit toutefois rester ponctuelle. Il n’y a aucune donnée pour les préconiser au cours de la DF.

Niveau d’évidence : bas ; Grade de la recommandation : faible ; accord : 96 % [1].

Les experts soulignent que les études ayant évalué ces traitements sont anciennes, avec des critères de jugement moins rigoureux que ceux utilisés actuellement.

Il est notamment précisé dans les recommandations [1, 2] que l’efficacité du pinavérium bromide, un inhibiteur des canaux calciques, et celle du citrate d’alvérine, un antispasmodique musculotrope non atropinique, ont été confirmées par rapport au placebo dans différentes études [5, 6, 7]. La mébévérine, réévaluée dans une méta-analyse, n’a pas montré d’effet significatif versus placebo sur un score global des symptômes ou sur la douleur abdominale [8].

L’huile de menthe poivrée (action relaxante directe sur les muscles lisses), réévaluée dans une étude récente aux critères rigoureux [9], n’a pas eu d’effet supérieur au placebo et exposait à plus d'effets indésirables que ce dernier.   

Pour ralentir le transit

Pour les troubles du transit au cours du SII-D et de DF, le lopéramide, dérivé opiacé dont l'effet principal est le ralentissement du transit, est recommandé par le panel d’experts européens. S’il diminue la fréquence des selles, il n’a aucun effet sur la douleur abdominale.

Niveau d’évidence : bas ; Grade de la recommandation : fort ; accord : 89 % [1].

Et chez certains patients…

Les experts européens recommandent aussi l’utilisation de probiotiques, qui peuvent améliorer les symptômes et la diarrhée chez certains patients ayant un SII-D.

Niveau d’évidence : bas ; Grade de la recommandation : conditionnel ; accord : 93 % [1].

Quand et comment prescrire un régime pauvre en FODMAPs ?

Les FODMAPs (Fermentable, Oligo-, Di-, Mono-saccharides And Polyols) sont des sucres peu absorbés par l’intestin grêle où ils vont agir par leur pourvoir osmotique. Ils sont fermentés dans le côlon ce qui entraîne des symptômes tels que ballonnement, douleur, gaz, diarrhée.

Au cours du SII-D, les experts préconisent le suivi d’un régime pauvre en FODMAPs durant 4 à 6 semaines lorsque les autres traitements ont échoué. Il n’y a aucune donnée pour le prescrire au cours de la DF [3, 4].

Globalement, il consiste en l’exclusion d'aliments riches en lactose (lait frais, fromages frais, les produits fermentés pouvant être consommés), des fruits et légumes riches en fibres, fructanes et fructose (pomme, poire, pêche, chou, ail, échalote, oignon...), du pain blanc, des plats industriels et des produits diététiques.

Il s’agit d’un régime relativement compliqué, difficile à suivre sur le long terme et, si le patient répond au régime, il est recommandé de proposer une réintroduction des aliments de manière progressive et adapté à chaque patient, le seuil de tolérance des FODMAPs étant très variable. La mise en place d'un régime pauvre en FODMAPs est détaillée dans un document « conseil de pratique » de la Société nationale française de gastroentérologie (SNFGE) [4].

Niveau d’évidence : bas ; Grade de la recommandation : fort ; accord : 100 % [1].

Quelle place pour les autres approches thérapeutiques ?

Des recommandations ne sont proposées que pour les SII-D, car les données dans la DF font défaut.

TCC et hypnose

Les traitements alternatifs à visée psychologique centrés sur la gestion des symptômes fonctionnels intestinaux, en particulier les thérapies cognitivo-comportementales et l’hypnose se sont avérées efficaces au cours du SII-D, où certains traits de caractère comme la peur des symptômes ou le catastrophisme sont associés à des tableaux plus sévères.

Niveau d’évidence : non évalué ; Grade de la recommandation : fort ; accord : 89 % [1].

Antidépresseurs tricycliques

De même, les antidépresseurs tricycliques à faible dose (en particulier amitriptyline et imipramine) qui sont considérés comme des neuromodulateurs sont efficaces chez les patients ayant un SII-D (indication hors AMM) : action sur les composantes périphériques et centrales de la douleur, amélioration des troubles psychologiques et des troubles du transit. Ces traitements doivent être prescrits à faible dose et pris le soir au coucher, l’efficacité sur la douleur apparaît en 4 à 12 semaines.

Niveau d’évidence : non évalué ; Grade de la recommandation : consensus ; accord : 70 % [1].

Des traitements non recommandés

Les experts se sont prononcés contre plusieurs traitements :

  • la transplantation fécale (cf. notre vidéo du 3 octobre 2023). Grade de la recommandation : fort ; accord : 100 % [1].
  • un régime sans gluten chez les patients SII-D (pas de données au cours de la DF). Grade de la recommandation : fort ; accord : 100 % [1].
  • l’utilisation des inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine (ISRS) au cours du SII-D et de la DF. Grade de la recommandation : conditionnel ; accord : 100 % [1].

D’après un entretien avec le Pr Benoit Coffin, service d’hépatogastroentérologie (hôpital Louis-Mourier à Colombes).

Sources

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