Interview du Pr Béatrice Garcin, neurologue, hôpital Avicenne (93).Infographie réalisée par le Studio graphique de VIDAL.
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Un trouble neurologique fonctionnel (TNF) peut être évoqué dans les situations où le patient a des symptômes neurologiques alors que tous les examens sont normaux.
Il faut rester systématique et une atteinte organique (IRM, EEG...) doit être formellement éliminée d’autant plus que les comorbidités avec d’autres pathologies neurologiques sont fréquentes (de 10 à 20 % des cas).
Il ne s'agit pas d'un diagnostic d'élimination et il existe des signes positifs à l’examen clinique. En particulier, une inconsistance, une distractibilité et un effet d’entraînement sont rapportés dans les déficits moteurs ou les mouvements anormaux fonctionnels. Ces trois signes s’expliquent par l’effet de l’attention sur les symptômes du TNF.
Selon les cas, des examens complémentaires spécialisés peuvent conforter le diagnostic.
L'annonce du diagnostic fait partie prenante du traitement. Plus le diagnostic et la prise en charge sont rapides et plus le patient est satisfait de cette dernière, meilleur est le pronostic.
Schématiquement, pour les troubles moteurs, le traitement repose sur une kinésithérapie qui comporte beaucoup d’éducation thérapeutique et, pour les crises fonctionnelles dissociatives, sur une approche de type thérapie cognitivo-comportementale. Il faut aider le patient à reprendre le contrôle de son corps.
Les TNF vont faire leur apparition dans le référentiel pour l’apprentissage de la neurologie en France en 2025 (Collège des enseignants de neurologie).
TRANSCRIPTION
Le Pr Béatrice Garcin, neurologue à l'hôpital Avicenne (Hôpitaux universitaires de Paris Seine-Saint-Denis [93]), explique comment poser un diagnostic de troubles neurologiques fonctionnels (TNF) et quelles sont les grandes lignes de la prise en charge de ces symptômes chroniques qui peuvent être si invalidants.
VIDAL. Quelles situations peuvent faire évoquer un TNF en médecine générale ?
Pr Béatrice Garcin. C’est un diagnostic qui nécessite une expertise neurologique parce qu’il faut examiner le patient et rechercher les signes spécifiques. Le diagnostic peut être évoqué dans les situations où le patient a des symptômes et que tous les examens sont normaux. Ou lorsque les spécialistes disent qu'ils n'ont rien trouvé d'anormal. C'est souvent dans cette situation-là que le diagnostic va commencer à être suspecté.
Quels sont le(s) élément(s) et les signes cliniques à rechercher ?
Il y a un argument qui doit un peu alerter les médecins, c'est le mode de début. Les troubles neurologiques fonctionnels débutent le plus souvent de manière brutale. Une fois qu'on a éliminé un AVC : c'est évidemment ce qu'on va rechercher en premier chez un patient qui a des symptômes neurologiques de début brutal. Donc, une fois qu'on a éliminé un AVC à la phase aiguë, cela doit faire penser à un trouble neurologique fonctionnel. Attention, par contre, avoir des antécédents psychiatriques ou avoir vécu des traumatismes ne doit pas être un élément pour le diagnostic, car ce n'est pas parce qu'on a vécu un traumatisme qu'on ne va pas faire un AVC ou présenter une autre maladie neurologique.
Ensuite, à l'examen clinique, il y a des éléments qui sont très spécifiques. Lors du testing, chez un patient qui a un déficit moteur, le testing va être « tremblé » dans le trouble neurologique fonctionnel. Avec l'effort, il va être tremblé, c'est-à-dire que le patient lâche par à-coups contre la résistance. De plus, il va faire un effort qui est souvent très important pour un mouvement tout petit. Puis, l'élément clé qui fait penser au TNF est l'inconsistance : le symptôme apparaît dans certaines conditions et disparaît dans d'autres situations. Typiquement, cela va être un patient qui n'arrive pas à bouger lorsqu'on essaye de tester la force au niveau de la jambe, mais qui marche normalement. C'est complètement inconsistant. Ce n'est pas compatible avec les voies neurologiques.
Au niveau des mouvements anormaux, là aussi, il va y avoir des arguments pour le diagnostic. Un des éléments clés, c'est la distractibilité : le mouvement anormal – par exemple, le tremblement – va disparaître lorsqu'on détourne l'attention du patient vers une autre tâche. Notamment, le tremblement va disparaître lorsqu'on lui demande d'ouvrir et de fermer la main.
L'autre élément clé dans l'examen des mouvements anormaux fonctionnels, c'est l'effet d'entraînement. C'est le fait que le mouvement, typiquement le tremblement, va changer de fréquence quand on demande au patient de battre la mesure. Le tremblement va adopter la même fréquence que la mesure.
Ces trois signes : l'inconsistance, la distractibilité, l'effet d'entraînement montrent bien l'effet de l'attention du patient sur les symptômes. Quand on détourne son attention, le symptôme disparaît. Il y a d'autres petites choses qui peuvent donner des indices. Les patients sont souvent gênés lorsqu'on teste la poursuite oculaire avec des clignements, et parfois une impossibilité à suivre le doigt.
Au niveau sensitif, il y a aussi un élément qui est un peu caractéristique, c'est la délimitation de l'atteinte sensitive au milieu du corps, avec une perception diminuée pour tout type de sensibilité d'un côté et une différence entre la droite et la gauche qui se délimite au milieu du corps et qu'on observe quasi exclusivement dans les troubles neurologiques fonctionnels.
Quels examens prescrire en médecine générale et quand orienter vers un neurologue ?
Il faut rester systématique. On sait que :
- 10 % des patients qui ont un TNF ont aussi une maladie neurologique qui d'ailleurs augmente la probabilité de développer un trouble neurologique fonctionnel et qui va se manifester de la même manière que le TNF.
- 5 à 10 % des patients qui ont une maladie de Parkinson présentent un tremblement fonctionnel dans les débuts de la même maladie de Parkinson et du même côté.
- 10 % des patients qui ont des crises d'épilepsie développent des crises fonctionnelles dissociatives.
- une proportion importante des patients qui ont une sclérose en plaques développent des poussées fonctionnelles.
Il faut ainsi garder en tête qu'un train peut en cacher un autre. Et de toute façon, devant un déficit moteur, on fera systématiquement une IRM cérébrale ou médullaire, si c'est une paraplégie en fonction de la topographie, ou les deux.
On sait que devant des crises d'allure épileptique, on fera forcément un électroencéphalogramme (EEG) et c'est important de bien rester systématique là-dessus.
Je pense qu'une fois que le médecin généraliste a fait ces premiers examens qui sont normaux ou pas, il est important d'adresser le patient à un neurologue. C'est le neurologue qui va documenter le diagnostic avec la recherche des signes cliniques positifs et éventuellement, la prescription d'examens complémentaires qui permettent de confirmer le diagnostic positif.
S’agit-il d’un diagnostic d’élimination ?
Non, ce n'est clairement pas un diagnostic d'exclusion. C'est un diagnostic qui va reposer sur un examen clinique avec des signes très évocateurs, très spécifiques du diagnostic, qui repose bien sûr sur la normalité des examens complémentaires, mais aussi dans certaines situations, sur des examens complémentaires qui confirment le diagnostic. Par exemple, dans le cadre d'un mouvement anormal, comme un tremblement fonctionnel, l'enregistrement des mouvements anormaux par le biais d'un dispositif d'électromyogramme (EMG) va permettre de documenter la distractibilité, l'effet d'entraînement, et donc, confirmer le diagnostic de troubles neurologiques fonctionnels.
Dans le cadre des crises fonctionnelles dissociatives, la réalisation d'un EEG prolongé enregistrant une crise et montrant qu'il n'y a pas d'activité épileptique pendant la crise, confirme le diagnostic de crises fonctionnelles dissociatives.
Enfin, dans les autres examens que l'on prescrit beaucoup en neurologie, il y a les potentiels évoqués sensitivo-moteurs qui vont enregistrer l'ensemble des voies motrices et sensitives. Et la normalité de cet examen est aussi un argument pour le diagnostic quand le patient se présente avec un déficit sensitivo-moteur. Ces examens permettent de conforter ce diagnostic, en plus de l'examen clinique.
Ce n'est pas un diagnostic d'exclusion et c'est important de bien expliquer au patient comment on a fait le diagnostic. Parce que si on dit au patient : « Vous n'avez pas de sclérose en plaques, donc c'est un TNF », le patient ne va pas y croire. Il va se dire : « Je dois avoir une autre maladie, mais ils ne savent pas encore laquelle. » Et c'est très important que le patient comprenne le diagnostic. C'est l'élément clé pour la suite de la prise en charge.
Ce diagnostic nécessite-t-il l’expertise d’un neurologue spécialisé dans les TNF ?
N'importe quel neurologue peut poser un diagnostic de troubles neurologiques fonctionnels et n'importe quel neurologue peut prendre en charge un patient souffrant de troubles neurologiques fonctionnels. Je pense que le médecin généraliste doit adresser le patient à un neurologue. Et la nécessité du centre expert n'est pas présent. Il n'y a pas besoin d'un centre expert pour tous les patients souffrant de TNF.
Nous, ici, à l'hôpital Avicenne, on a une consultation spécifique. J’ai une consultation spécifique pour les patients souffrant de TNF. Je reçois des patients qui me sont adressés par des neurologues qui sont eux-mêmes en difficulté avec des patients chez qui ils ont posé un diagnostic de TNF. Je fais une expertise pour des patients qui ont déjà été vus par un neurologue.
Quels sont les principaux axes de la prise en charge ?
L'annonce diagnostique est un élément important. Une fois qu'on a bien expliqué le diagnostic, on propose une prise en charge au patient. Schématiquement, pour les troubles moteurs, la prise en charge va reposer beaucoup sur la kinésithérapie, mais pas n'importe quelle kinésithérapie. Le patient doit apprendre à refaire des mouvements normaux. Cet apprentissage passe beaucoup par une manipulation de l'attention. On va détourner l'attention du patient en le faisant faire des tâches complexes, en lui faisant se concentrer sur d'autres parties de son corps, ce qui va permettre de retrouver un mouvement normal.
Éduquer le patient sur sa pathologie et sa symptomatologie
C'est aussi une kinésithérapie qui comporte beaucoup d'éducation thérapeutique, parce qu'on montre au patient pendant les séances, qu'à tel moment, il bouge normalement. On lui montre ce qu'il peut faire comme petites manipulations pour faire disparaître ses symptômes. Pour vous donner des exemples, j'ai des patients qui ont un tremblement fonctionnel, qui sont un peu gênés socialement. Je leur dis : « Quand ça commence à trembler, vous allez vous concentrer sur la main gauche. Vous faites des petits mouvements avec votre main gauche, que personne ne verra parce que vous le faites le long du corps. »
C'est plein de petites choses comme ça qui vont permettre au patient de reprendre le contrôle. C'est une kinésithérapie qui doit être créative, qui doit se faire avec un kinésithérapeute qui connaît la maladie. C'est là où on est en difficulté, parce qu'aujourd'hui, les kinésithérapeutes ne connaissent pas cette maladie. On commence à donner des cours. On a quelques kinésithérapeutes en France qui sont dans le réseau TNF France, mais c'est très largement insuffisant. Voilà pour les troubles moteurs.
Pour les crises fonctionnelles dissociatives, la prise en charge repose plus sur une approche de type thérapie cognitivo-comportementale, où l'idée va être d'apprendre aux patients :
- à percevoir les premiers signes qui précèdent les crises ;
- à trouver des techniques pour raccourcir la durée de la crise ou empêcher cette crise ;
- à nouveau, à reprendre le contrôle sur eux-mêmes.
Il y a des méthodes de thérapie cognitivo-comportementale qui ont été validées, publiées et traduites en français, notamment la méthode Lafrance, qui a été traduite par le docteur Hingray qui est psychiatre à Nancy. C’est une méthode avec un livre pour le patient et un livre pour le thérapeute. Ce sont des approches assez courtes, de 10 à 12 séances maximum. Ce sont ces techniques-là qui ont montré le plus de bénéfices dans les crises fonctionnelles dissociatives.
Identifier les facteurs précipitants et perpétuants
Par ailleurs, il y a un aspect important qui est souvent négligé : il faut qu'à un moment donné, le neurologue, et si besoin, un psychiatre ou un psychologue, essaye d'identifier tous les facteurs qui prédisposent (prédisposants), mais aussi des facteurs qui ont précipité (précipitants) et qui peuvent perpétuer les symptômes (perpétuants) pour les prendre en charge.
Après, il y a d'autres approches qui ne sont pas encore complètement validées :
- L'hypnose peut apporter un bénéfice, mais elle a été très peu étudiée de manière scientifique. Par conséquent, on n'a pas de données scientifiques, mais on sait que cela peut être utile et aidant.
- Une prise en charge multidisciplinaire avec kinésithérapeute, ergothérapeute, psychomotricien, psychologue dans un centre de rééducation qui va permettre de s'occuper du patient dans sa globalité, peut être un plus. Mais là encore, on peine beaucoup à trouver des centres qui acceptent de recevoir nos patients, faute de formation, faute de connaissance du trouble.
Quels sont les éléments clés de la prise en charge ?
Il y a deux éléments qui sont importants :
- Au niveau de l'explication diagnostique. C'est important que cette explication soit personnalisée en fonction du contexte du patient et qu'on lui donne des pistes sur les mécanismes qui expliquent les troubles neurologiques fonctionnels en fonction de son historique, de son vécu, etc. C'est un point important qui peut reposer plus sur le spécialiste neurologue avec ou sans expertise dans les troubles neurologiques fonctionnels.
- Un autre point qui est important : souvent, ces patients, une fois qu'on a diagnostiqué le TNF, on a considéré qu'il n'y avait rien de grave et on les lâche dans la nature. Pourtant, ce sont des patients qui ont des symptômes liés à une maladie chronique. Il est donc important qu'il y ait un suivi à la fois par le médecin traitant, mais aussi par le spécialiste, même si c'est un suivi annuel, même si c'est espacé ; qu'il y ait un suivi qu'on ne les lâche pas et qu'on puisse réfléchir avec eux chaque fois à quels éléments, quels outils thérapeutiques, on peut leur proposer pour essayer de les sortir de cette situation. C'est un élément clé dans la prise en charge.
Quel est le pronostic des TNF ?
Le pronostic aujourd'hui n'est pas très bon. Plusieurs études ont suivi des cohortes de patients qui montrent qu'à un an, il y a la moitié des patients qui ont toujours des symptômes, mais surtout à 14 ans, il n'y en a que 20 % qui sont guéris. Donc, on peut faire mieux.
Il y a plusieurs pistes. Les éléments pronostiques qui ressortent dans les études, c'est que le pronostic est meilleur si le patient est pris en charge rapidement et s'il est satisfait de cette prise en charge, c'est-à-dire si on lui a bien expliqué le diagnostic, s'il l'a bien compris et qu'on lui a proposé derrière un traitement et un suivi.
Aujourd'hui, on sait que le délai du diagnostic est à peu près de 5 ans pour des troubles moteurs et de 7 ans pour les crises fonctionnelles dissociatives. Les patients errent pendant des années avant d'arriver à un diagnostic. Et je pense que là, on peut faire mieux avec une meilleure formation, en identifiant plus vite ces patients et en les orientant rapidement vers des spécialistes et, si besoin, vers des réseaux spécialisés.
Interview : Laurence Houdouin
Caméra/montage : Robin Benatti
Remerciements : Pr Béatrice Garcin, neurologue, hôpital Avicenne (93)
Réseau de professionnels en France
- Réseau TNF France dont le Pr Béatrice Garcin est l’un des trois membres coresponsables
Podcast (sur toutes les plateformes d’écoute)
- Le Serment d’Augusta, épisode 9 : J’écouterai le corps raconter les tourments de l’esprit
- Dingue : CNEP, ceci n’est pas une crise d’épilepsie
Informations pour les patients
- Neurosymptoms.org (en anglais pour l’instant) : information sur la maladie, témoignages vidéos
- Chaîne YouTube : FND-France pour petites vidéo explicatives pour les patients
Associations de patients
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