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TDAH et troubles du langage : un biais diagnostique chez les enfants nés en fin d'année ? 

Selon une récente étude d'Epi-Phare, au sein d'un même niveau scolaire, les enfants les plus jeunes, nés en fin d'année, sont plus susceptibles de recevoir un traitement par méthylphénidate ou une prise en charge orthophonique que les enfants plus âgés, nés en début d'année.

David Paitraud 27 juin 2024 Image d'une montre8 minutes icon Ajouter un commentaire
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Trois groupes de symptômes d’intensité variable : inattention, hyperactivité, impulsivité.

Trois groupes de symptômes d’intensité variable : inattention, hyperactivité, impulsivité.Jacob Wackerhausen / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

L'étude Epi-Phare réalisée sur plus de 4 millions d'enfants français de 5 à 10 ans permet d'évaluer l'impact de la différence d’âge, à niveau scolaire équivalent, sur le diagnostic de trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et de troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA), et sur la fréquence d’initiation du méthylphénidate et de l’orthophonie pour prendre respectivement en charge ces troubles. 

Selon les résultats obtenus après analyse des données françaises, le taux d'initiation d'un traitement par méthylphénidate augmente de 55 % chez un enfant natif de la fin de l'année (décembre) par rapport à un enfant natif de janvier de la même année. 

Ce même phénomène est observé pour la prise en charge par des séances d'orthophonie : le recours à l'orthophonie augmente de 64 % pour les enfants nés en décembre en comparaison à ceux nés en janvier de la même année.

Cette étude française, la première menée sur la relation qui existe entre le mois de naissance et le recours au méthylphénidate ou à l'orthophonie, corroborent les conclusions issues d'études internationales. 

Pour les auteurs, une explication à ce phénomène serait la différence de maturité entre deux enfants nés la même année, mais qui peuvent avoir jusqu'à 12 mois de différence. Cette immaturité relative liée à l’âge réel (et non par rapport aux camarades de classe) et ses conséquences en termes d'attention, de comportement et d'apprentissage, peut être à l'origine d'un excès de diagnostic de TDAH ou de TSLA, et de leur prise en charge. A contrario, au sein d'un groupe d'enfants, la maturité des enfants plus âgés peut rendre plus difficile le repérage d'un TDAH ou de TSLA. 

En conclusion, les auteurs recommandent aux enseignants, médecins et orthophonistes d'ajuster leurs pratiques d’enseignement, de diagnostic et de prise en charge thérapeutique en conséquence. Ils recommandent également de porter une réflexion sur l'âge d'entrée à l'école, en tenant compte de la maturité, le mois de naissance et éventuellement une prématurité comme critères.

Le groupement d'intérêt scientifique Epi-Phare publie une étude [1, 2] dont les résultats permettent d'évaluer l'effet de l'âge relatif, c'est-à-dire l'influence du mois de naissance dans un groupe d'enfants nés la même année et de même niveau de scolarité, sur : 

  • le taux d'initiation de traitement par méthylphénidate (cf. Encadré) pour une prise en charge d'un trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ;
  • le taux d'initiation d'une rééducation orthophonique pour une prise en charge des troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA). 

Concernant le traitement médicamenteux du TDAH chez l'enfant, la relation âge relatif/taux d'initiation a déjà fait l'objet d'études au niveau international, mais l'étude Epi-Phare est la première à être réalisée à partir des données françaises.

À propos de la rééducation orthophonique, les auteurs n'ont trouvé aucune étude qui s'est penchée sur le lien entre la période de naissance et le recours à cette prise en charge chez l'enfant. 

Encadré - Spécialités de méthylphénidate commercialisées en France
  • RITALINE et RITALINE LP, et génériques
  • CONCERTA LP
  • QUASYM LM
  • MEDIKINET LM

Une étude sur plus de 4 millions d'enfants français de 5 à 10 ans

L'étude Epi-Phare porte sur des enfants de 5 à 10 ans nés en France entre 2010 et 2016. Les données analysées sont issues du registre EPI-MERES, lui-même réalisé à partir du système national des données de santé français (SNDS). Ce registre inclut toutes les grossesses prises en charge en France depuis janvier 2010 et tous les enfants issus de ces grossesses.

Les auteurs ont exclu de l'étude les enfants ayant déjà eu avant l’entrée dans la cohorte : 

  • divers diagnostics comme des anomalies chromosomiques, des malformations congénitales, des troubles mentaux, du comportement ou du développement ;
  • une prescription de méthylphénidate, ou d’autres psychotropes ;
  • une rééducation orthophonique.

Au total, l'étude sur l'initiation de méthylphénidate porte sur 4 769 837 enfants, dont 38 794 ayant débuté un traitement par méthylphénidate. Celle sur le recours à l'orthophonie porte sur 4 188 985 enfants dont 692 086 ont eu des séances d'orthophonie.

Au sein d'une classe, plus les enfants sont jeunes, plus le recours au méthylphénidate ou à l'orthophonie augmente

Les résultats de l'étude étayent l'hypothèse de départ, à savoir que pour un même niveau de scolarité (en excluant les redoublements), l'initiation de méthylphénidate et d'orthophonie augmente régulièrement selon le mois de naissance. « Les enfants les plus jeunes au sein d’une classe scolaire sont plus susceptibles de recourir à un traitement par méthylphénidate ou à l’orthophonie que les enfants plus âgés », résument les auteurs chiffres à l'appui.

Comparés à ceux nés en janvier, le risque supplémentaire de prescription de méthylphénidate augmente de (cf. Diagramme) :

  • 7 % pour les natifs de février ;
  • 9 % pour les natifs d'avril ;
  • 29 % pour ceux de juillet ;
  • 46 % pour ceux d'octobre ;
  • et 55 % pour ceux de décembre.

« Cet effet âge relatif/initiation de méthylphénidate est plus marqué à partir du CE1 (7 ans) », rapportent les auteurs. 

Ces résultats concordent avec les données issues des études internationales. 

Le même phénomène est observé concernant les séances d’orthophonie, avec un recours augmenté de 3 % chez les enfants nés en février, de 12 % chez les natifs d’avril, de 30 % chez ceux de juillet, de 49 % chez ceux d’octobre et de 64 % pour ceux nés en décembre, en comparaison aux enfants nés en janvier de la même année (cf. Diagramme).

Diagramme (extrait de l'étude Epi-Phare) - Pourcentage des enfants traités par méthylphénidate ou pris en charge en orthophonie selon le mois de naissance

Des facteurs supplémentaires relevés dans l'étude Epi-Phare

Outre le mois de naissance, l'étude Epi-Phare met en évidence d'autres facteurs associés à une augmentation de la prescription de méthylphénidate (cf. Tableau 2 page 32) : 

  • le sexe masculin ;
  • la prématurité ;
  • le faible poids pour l'âge gestationnel ;
  • l'exposition in utero au tabac, et à l'alcool, ou à un traitement psychotrope ou à l'acide valproïque ;
  • le fait d'être le premier de la fratrie versus le second ;
  • le lieu de résidence (le fait d'habiter dans une commune plus favorisée ou appartenant à une zone urbaine de moins de 200 000 habitants) ;
  • la région ou le département de résidence.

À noter que cet effet « d'âge relatif » était observé dans toutes les analyses de sous-groupes (sexe, âge gestationnel, rang de naissance, et niveau socio-professionnel).

L'écart de maturité serait en cause

Les auteurs évoquent la différence de maturité entre les enfants les plus jeunes et les plus âgés au sein d'un même niveau scolaire ; un écart d'âge jusqu'à 12 mois peut être observé entre le plus jeune de la classe (car natif de décembre) et le plus âgé (car natif de janvier). Cette différence peut être à l'origine : 

  • d'une non-adaptation des attentes pédagogiques à l’âge relatif et au niveau de maturité neurologique des enfants : dans ce cas, les manifestations de l'immaturité relative peuvent être perçues à tort comme des signes de TDAH ou de TSLA, avec pour conséquence un risque d'excès de diagnostic et de prise en charge de ces troubles ; 
  • d'un repérage plus précoce des troubles neurodéveloppementaux chez les plus jeunes enfants de chaque classe d’âge aux dépens des plus âgés (cf. notre article du 28 mars 2024) : au sein du groupe, les conséquences de l'immaturité des plus jeunes sont plus facilement repérables si on s'appuie sur une évaluation de leur comportement par rapport aux normes de la classe sans tenir compte de leur âge réel. À l'inverse, le repérage des signes de TDAH ou de TSLA est potentiellement plus difficile chez les plus âgés parce que « ces derniers seraient plus aptes à compenser certains symptômes du fait de leur plus grande maturité ». Ce défaut de repérage pourrait conduire à un retard ou à un sous-diagnostic du TDAH ou de TSLA. 

Vers une évolution des critères pour l'entrée à l'école ?

Cette étude française montre que, parmi les enfants d’un même niveau scolaire, une différence d’âge de quelques mois (effet d’âge relatif) a un impact sur le diagnostic de TDAH ou de TSLA, et sur la fréquence d’initiation du méthylphénidate, mais aussi de l’orthophonie. 

Dans leur conclusion, les auteurs émettent deux suggestions/évolutions possibles pour limiter le risque de surdiagnostic et d'excès de prise en charge chez les enfants de fin d'année : 

  • pour les enseignants, les médecins prescripteurs et les orthophonistes :
    • prendre conscience de la possibilité qu’une immaturité relative liée à l’âge réel (et non par rapport à ses camarades de classe) soit diagnostiquée par excès comme un TDAH ou un TSLA,
    • ajuster leurs pratiques d’enseignement, de diagnostic et de prise en charge thérapeutique en conséquence ; 
  • pour les législateurs et administrateurs scolaires :
    • réfléchir à une plus grande flexibilité pour l'entrée à l'école, en fonction de la maturité de l'enfant, de son mois de naissance et d'une éventuelle prématurité. 

Les résultats de cette étude seront intégrées aux recommandations de bonne pratique sur le diagnostic et la prise en charge des enfants et adolescents atteints de TDAH, en cours d'élaboration par la Haute Autorité de santé (HAS). 

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