La première allergie alimentaire à apparaître chez l'enfant.nicoletaionescu / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images
Dans un contexte global d’augmentation des allergies, notamment alimentaires, l’allergie aux protéines de lait de vache (APLV) serait cependant surdiagnostiquée, ce qui conduit à une prescription en excès de substituts de lait de vache et à des régimes d’éviction inutiles et potentiellement délétères, en particulier sur le plan de la croissance et de la qualité de vie de l’enfant.
Les récentes recommandations de la Société européenne de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique (ESPGHAN), qui s’est focalisée sur les formes à manifestations gastro-intestinales, préconisent, chez les nourrissons ayant des signes digestifs évocateurs d’une APLV, un régime d’éviction des protéines de lait de vache (PLV) pendant 2 à 4 semaines, suivi d'un test de réintroduction, parfois en milieu hospitalier, pour confirmer le diagnostic.
L’allergie aux protéines du lait de vache (APLV) est la première allergie alimentaire pouvant apparaître chez l’enfant. En effet, elle débute le plus souvent au cours des premiers mois de vie.
En raison de l’absence de marqueur diagnostique spécifique, de ses différentes formes (IgE médiée, non IgE médiée et mixte, voir infra) et de la diversité de son expression clinique, la prévalence réelle de l’APLV est difficile à préciser.
En France, selon les données de la cohorte Elfe, elle était de 3,4 % en 2022, un chiffre qui peut être soumis à des biais, car issu des réponses à un questionnaire. En Europe et en Amérique du Nord, elle a pendant longtemps été estimée entre 2 et 4 %, mais, selon des études en double aveugle fondées sur des tests de provocation allergénique, la prévalence serait en réalité de moins de 1 %.
Il existe en outre une grande confusion entre l’APLV et l’intolérance au lactose, laquelle n’est pas une allergie, mais un ensemble de symptômes digestifs secondaires à un déficit en lactase.
Quand faut-il évoquer une APLV ?
Le diagnostic d’APLV est en règle générale facilement évoqué face à une réaction allergique immédiate de type 1, induite par les immunoglobulines E (IgE médiée).
Les symptômes débutent rapidement suivant l’ingestion, après un délai de quelques minutes à 2 heures.
Il s’agit de symptômes variés :
- cutanés (prurit, érythème, urticaire, angio-œdème…) ;
- digestifs (nausées, vomissements en jet, douleurs abdominales intenses, diarrhée aiguë…) ;
- respiratoires (bronchospasme, crise d’asthme…) ;
- ou encore généraux (malaise, perte de connaissance, hypotension artérielle, choc anaphylactique).
Le diagnostic est en revanche plus complexe dans les formes retardées non IgE médiées, où les symptômes apparaissent de quelques heures à quelques jours après l’ingestion.
Il s’agit souvent de nourrissons « régurgiteurs », avec un reflux gastro-œsophagien (RGO) étiqueté de pathologique, une prise de poids suboptimale, des selles liquides, un eczéma ou encore un refus alimentaire, des pleurs/coliques. Autant de signes non spécifiques qui peuvent conduire à méconnaître le diagnostic ou, à l’inverse, à le poser avec excès. Toute la problématique étant de repérer les 1 à 2 % de bébés allergiques parmi les 40 % de ceux souffrant de RGO.
En pratique de ville, le recours au score CoMiSS (Cow’s Milk Related Symptom Score) (cf. Tableau) est un bon test d’orientation, mais il ne suffit pas au diagnostic, ont rappelé les experts de la Société européenne de gastro-entérologie hépatologie et nutrition pédiatrique (ESPGHAN).
Comment confirmer le diagnostic ?
Chez les nourrissons présentant des symptômes sévères, a fortiori ayant eu une réaction anaphylactique, un régime d’éviction est tout de suite mis en place et la confirmation du diagnostic s’appuie sur la réalisation de prick tests et/ou sur le dosage des IgE spécifiques aux PLV.
Si leur positivité signe le diagnostic, leur négativité ne permet toutefois pas de l’éliminer formellement et la persistance des symptômes sous régime alimentaire normal doit faire poser l’indication d’un test de provocation orale (TPO).
Chez les nourrissons ayant des symptômes non spécifiques, en particulier digestifs, l’ESPGHAN préconise, dans sa récente prise de position, une démarche diagnostique en deux temps :
- une première phase d’élimination du lait de vache de l’alimentation pour une durée de 2 à 4 semaines ;
- puis, dans un deuxième temps, la réintroduction des PLV chez les nourrissons dont les symptômes se sont nettement améliorés sous régime d’éviction.
Dans les formes digestives simples, le test de réintroduction peut être réalisé en ville.
La réapparition des symptômes lors de la réintroduction des PLV après 2 à 4semaines de régime d’exclusion fait poser le diagnostic d’APLV. L’éviction des PLV est poursuivie et l’enfant est adressé (dans un délai raisonnable, mais sans urgence) à un pédiatre allergologue ou un pédiatre gastro-entérologue.
Quels substituts au lait de vache pour le régime d’éviction ?
Chez le nourrisson allaité, l’APLV est rare. En cas de suspicion d’allergie ou même d’APLV confirmée par un test de réintroduction après 2 à 4 semaines d’exclusion, l’allaitement est poursuivi. La mère est soumise à un régime sans PLV et supplémentée en calcium et vitamine D : selon l’ESPGHAN, 1 g/j de calcium et 600 UI/j de vitamine D.
Chez les nourrissons nourris au lait infantile et ayant présenté des symptômes sévères, voire une anaphylaxie, il est recommandé de prescrire d’emblée une formule à base d’acides aminés.
Chez les nourrissons nourris au lait infantile et ayant des symptômes légers à modérés, il est recommandé de prescrire un hydrolysat poussé de PLV ou un hydrolysat de protéines de riz (les deux étant disponibles en pharmacie). Ces deux types de substituts ont fait la preuve de leur efficacité et de leur sécurité dans des études cliniques.
En revanche, les hydrolysats partiels (laits dits hypoallergénique) n’ont aucune place dans l’APLV.
NDLR : la démarche diagnostique et diététique de l’ESPGHAN est synthétisée dans la figure.
Que faire au moment de la diversification ?
Le début de la diversification se fait au même âge qu’en l’absence d’APLV, soit entre le 4e mois révolu et le 6e mois révolu, en tenant compte des possibilités de chaque enfant.
La diversification obéit également aux mêmes règles qu’en l’absence d’allergie, mais les parents doivent être bien informés de la nécessité de lire attentivement les étiquettes et de « faire la chasse » aux PLV. Le beurre est, par exemple, un piège classique.
Il est parallèlement essentiel de maintenir un apport de substitut de lait suffisant (au moins 500 mL par jour) pour s’adapter aux besoins nutritionnels de l’enfant, l’APLV et le régime d’éviction ayant un impact sur la croissance pondérale. Il peut parfois être utile de réaliser un bilan avec une diététicienne.
À noter que les jus et les desserts végétaux ne peuvent pas remplacer le lait.
Quand réintroduire les protéines de lait de vache ?
Le régime d’exclusion est poursuivi pendant au moins 6 mois, ou jusqu’au premier anniversaire de l’enfant.
En cas d’APLV IgE médiée, le moment de la réintroduction des PLV est guidé par le taux d’IgE et est effectuée en milieu hospitalier. La prudence s’impose particulièrement en cas de manifestation initiale sévère. Habituellement, la réintroduction des PLV peut avoir lieu avant l’âge de 2 ans.
Dans les formes digestives simples, la réintroduction peut le plus souvent être effectuée en ville, en suivant un protocole standardisé, et peut être débutée vers l’âge de 9 à 12 mois.
Peut-on prévenir l’APLV ?
En premier lieu, il faut souligner que l’existence d’antécédents d’atopie chez les parents du premier degré est un facteur de risque d’allergie quelle qu’elle soit.
La meilleure stratégie de prévention des allergies est l’allaitement maternel exclusif, sans restrictions alimentaires particulières chez la mère, car aucune n’a fait la preuve de son efficacité.
Il est à cet égard recommandé d’éviter l’administration de lait infantile aux nouveau-nés allaités (dangerous bottles), souvent données à la maternité lors des premiers jours de vie, en dehors d’indications médicales.
Le cas particulier du SEIPA
Le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires (SEIPA) est une allergie alimentaire non IgE médiée, dont l’un des facteurs déclenchants sont les protéines de lait de vache.
Dans sa forme aiguë (bien plus fréquente et mieux caractérisée que la forme chronique), il se manifeste par des vomissements 1 à 4 heures après l’ingestion de lait, souvent accompagnés de pâleur et de léthargie et suivis de diarrhée. Entre les épisodes, qui ne surviennent pas systématiquement après chaque ingestion de lait, les enfants n’ont en général aucun symptôme et leur croissance n’est pas altérée.
Le diagnostic est difficile et se fonde avant tout sur une analyse fine de la sémiologie, notamment de la chronologie des symptômes.
En cas de suspicion de SEIPA, la réintroduction du lait de vache après le test d’éviction, doit être réalisée en milieu hospitalier, en raison de sa gravité potentielle.
D’après un entretien avec le Dr Sandra Brancato, pédiatre libéral (Grignon, Gard), vice-présidente de l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), membre du Comité de nutrition de la Société française de pédiatrie (SFP).
Symptômes | Score | ||
Pleurs* Évalués par les parents et sans autre cause évidente ≥ 1 semaine
|
0 | ≤ 1 h/jour | |
1 | 1-1,5 h /jour | ||
2 | 1,5-2 h /jour | ||
3 | 2-3 h /jour | ||
4 | 3-4 h /jour | ||
5 | 4-5 h /jour | ||
6 | ≥ 5 h/jour | ||
Régurgitations * ≥ 1 semaine |
0 | 0-2 épisodes /jour | |
1 | ≥ 3 et ≤ 5 fois un volume < 5 mL | ||
2 | > 5 épisodes de > 5 mL | ||
3 |
> 5 épisodes d’environ la moitié des apports alimentaires au cours de moins de la moitié des repas |
||
4 |
Régurgitations continuelles de petits volumes > 30 min après chaque apport alimentaire |
||
5 | Régurgitation de la moitié à la totalité du volume des apports alimentaires au cours d’au moins la moitié des repas | ||
6 | Régurgitation de la totalité de la nourriture ingérée après chaque repas | ||
Selles * Brussels Infant and Toddlers Stool Scale (BITSS) Pas de modification ≥ 1 semaine |
4 | Selles dures | |
0 | Selles normales | ||
4 | Selles molles | ||
6 | Selles aqueuses | ||
Symptômes respiratoires* ≥ 1 semaine |
0 | Absence de symptômes respiratoires | |
1 | Symptômes légers | ||
2 | Symptômes modérés | ||
3 | Symptômes sévères | ||
Symptômes cutanés |
De 0 à 6 | Eczéma atopique ≥ 1 semaine | |
|
Tête, cou, tronc Absent Léger Modéré Sévère |
0 1 2 3 |
|
Bras, mains, jambes, pieds Absent Léger Modéré Sévère |
0 1 2 3 |
||
0 ou 6 |
Urticaire aiguë* et/ou angio-œdème* (non 0/ oui 6) |
Informations supplémentaires à prendre en compte :
- l’aggravation d’un eczéma préexistant peut être un indicateur d’APLV ;
- une urticaire/un angio-œdème qui peuvent être directement reliés au lait de vache (ex. : ingestion de lait sans autre aliment) suggèrent fortement une APLV.
* En l'absence de maladie infectieuse.
Figure - Synthèse de la démarche diagnostique et diététique de l'ESPGHAN
Vandenplas Yvan et al. An ESPGHAN position paper on the diagnosis, management and prevention of cow's milk allergy. Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, July 26, 2023.
Vandenplas Yvan et al. The Cow’s Milk Related Symptom Score : The 2022 Update. Nutrients, 2022 Jun 28; 14(13): 2682
Lemale J. Le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires : SEIPA. Journal de pédiatrie et de puériculture, 2018 ; 31 : 86-90
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