La transmission de la toxoplasmose par les légumes crus non lavés, non épluchés, plus fréquente.alicjane / iStock/Getty Images Plus / via Getty Images
Les conseils de prévention contre la toxoplasmose prodigués aux femmes enceintes ou qui envisagent une grossesse, lorsqu’elles n’ont jamais été en contact avec ce parasite, sont les mêmes depuis fort longtemps. Ils consistent essentiellement en une mise en garde contre les viandes insuffisamment cuites, les coquillages crus, la manipulation des selles de chat et les risques liés au jardinage.
Pourtant, d’autres facteurs de transmission existent dont l’importance en termes de transmission a significativement augmenté ces dernières années. En particulier, la consommation de légumes crus, non lavés, non épluchés (peut-être favorisée par l’agriculture biologique) et l’hygiène des mains et des ustensiles de cuisine.
Nous vous proposons un point sur l’épidémiologie de la toxoplasmose en Europe et sur les divers modes de contamination aujourd’hui.
La toxoplasmose est une infection due à Toxoplasma gondii, parasite intracellulaire obligatoire qui contamine tous les animaux à sang chaud, mais ne se reproduit que chez les félins.
En France, l’exposition humaine à Toxoplasma est fréquente : on estime que de 200 000 à 300 000 nouvelles infections surviennent chaque année [1]. Chez les sujets en bonne santé, la toxoplasmose est le plus souvent bénigne. Les formes graves sont avant tout observées chez les personnes immunodéprimées (VIH/sida, traitement immunodépresseur, chimiothérapie anticancéreuse) et en cas d’infection, pendant la grossesse, d'une mère n’ayant jamais été exposée au toxoplasme (séronégative) : il existe alors un risque de transmission secondaire au fœtus (toxoplasmose congénitale).
En France, depuis 2007, entre 200 et 300 cas de toxoplasmose congénitale sont notifiés chaque année au Centre national de référence [2], soit une prévalence globale estimée autour de 3 à 4 cas pour 10 000 naissances vivantes (prévalence des formes graves : 0,1 pour 10 000), entraînant des formes symptomatiques à la naissance dans 10 % des cas (dont un quart de formes sévères) et plus de 10 % d’interruptions médicales de grossesse. Compte tenu des bonnes conditions de prise en charge actuelle en France, l’installation progressive d’un retard psychomoteur, d’une hydrocéphalie et de convulsions, complications possibles de la toxoplasmose congénitale, n’est constatée que dans de rares cas.
Rappels sur le cycle des toxoplasmes
Tous les animaux à sang chaud peuvent être infectés par Toxoplasma gondii, mais seuls les félins sont les hôtes définitifs où le parasite se reproduit en formant des oocystes éliminés dans les selles. Chez les autres animaux contaminés, la forme dormante de Toxoplasma (les bradyzoïtes) persiste sous forme de microkystes où le parasite est incapable de se reproduire, mais peut contaminer un autre animal, par exemple en cas de consommation de viande insuffisamment cuite.
Lorsqu’un chat domestique est infecté pour la première fois (infection primaire), il dissémine, dans ses selles, jusqu’à 10 millions d’oocytes par jour, pendant 10 à 12 jours. Les oocystes mettent ensuite entre 1 et 5 jours pour être capables d’infecter un autre animal ou l’environnement (délai de maturation). Dans le milieu naturel, un oocyste peut rester actif pendant 1 an, sur les végétaux, dans le sol ou dans l’eau. Une autre forme, plus fragile, de toxoplasme (les tachyzoïtes) est parfois trouvée, par exemple dans le lait des mammifères infectés.
Traditionnellement, il est dit que la transmission de Toxoplasma se fait essentiellement par la manipulation de selles de chat (pas trop fraîches pour que les oocystes aient le temps de devenir contaminants), les viandes insuffisamment cuites, le sol et les fruits et légumes crus insuffisamment lavés. Mais, de plus en plus d’études mettent l’accent sur d’autres facteurs de transmission, ainsi que sur une révision du poids de chacun de ces facteurs dans l’épidémiologie actuelle (cf. ci-dessous).
Quelle est la prévalence de l’exposition à Toxoplasma en Europe ?
En décembre 2023, une analyse de la littérature [3], portant sur 136 études épidémiologiques dans 30 pays européens, a brossé un portrait de la séroprévalence des infections à Toxoplasma anciennes (via le dosage des IgG) et récentes (via le dosage des IgM, dont le taux est suivi chez les femmes enceintes et les nouveau-nés).
- Concernant les infections anciennes, la séroprévalence médiane en Europe était de 38,6 % dans la population générale testée (IC95% [33,7-43,6]) et de 28,3 % chez les femmes enceintes ou en âge de procréer ([24,2-32,4], ce qui est statistiquement moindre que dans la population générale). Chez les personnes à haut risque de toxoplasmose (professionnels de santé, vétérinaires, éleveurs, personnels des abattoirs, patients hospitalisés), la prévalence était de 31,1 % (29,0-33,1).
Cependant, tous les pays européens ne sont pas logés à la même enseigne : seuls la France, la Hongrie, la Roumanie, l’Estonie et l’Albanie ont des taux de prévalence supérieurs à 45 %. En France, le taux est globalement d'environ 50 % et de 34 % chez les femmes enceintes, ce qui représente une nette réduction par rapport aux chiffres de 1995 où 54,3 % des Françaises en âge de procréer avaient des IgG anti-Toxoplasma [4].
- Concernant les infections récentes, la prévalence médiane en Europe était de 0,1 % (0,0-0,1) chez les femmes enceintes et de 0,9 % chez les nourrissons de 3 à 6 mois (0,8-1,0). Les prévalences les plus élevées (témoignant de campagnes de prévention et de dépistage insuffisantes) sont observées en Pologne, Russie, au Royaume-Uni, en Roumanie, Serbie, Croatie, Grèce et à Chypre.
Quelles sont les modes de contamination par Toxoplasma gondii ?
Pour rappel, les modes de contamination par Toxoplasma qui sont documentés sont (sans ordre d’importance) [3, 5, 6, 7] :
- la consommation de viandes et produits carnés insuffisamment cuits, en particulier issus des bovins, porcs, agneaux, chevaux et du gibier de grande taille (cervidés, sangliers). Le risque est plus important à partir d’animaux ayant été élevés à l’extérieur. Chez les animaux infectés, les muscles non squelettiques sont les plus riches en bradyzoïtes : langue, cœur, diaphragme (onglet, hampe), par exemple, ainsi que les produits carnés faits avec ces morceaux, comme le salami ;
- le contact avec un sol contaminé, soit direct (avec les mains, lors de jardinage), soit indirect en mangeant des légumes ou des fruits crus contaminés, non lavés et non épluchés ;
- la consommation d’eau souillée ou de produits laitiers crus contaminés (non pasteurisés) ;
- la manipulation sans protection des selles de félins, sauf si celle-ci a lieu rapidement après la défécation ;
- la consommation de coquillages ayant séjourné dans des eaux souillées, crus ou insuffisamment cuits (huîtres, moules, palourdes, etc.). La présence d’oocystes dans des coquillages a notamment été constatée en France, en Italie, en Tunisie, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et au Brésil [8] ;
- pour les personnes qui vivent en milieu rural, une mauvaise hygiène générale du lieu de vie (absence de toilettes) ;
- une mauvaise hygiène des mains (et des ustensiles de cuisine) en préparant des aliments potentiellement contaminés [9], ou en rentrant du jardin.
La contamination peut également être iatrogène (transfusions sanguines mal contrôlées, par exemple).
Certains auteurs [6] suggèrent que l'origine alimentaire à partir de produits carnés représente entre 30 et 60 % des infections, celle par l’environnement entre 6 et 17 %. Rappelons que la contamination de l’environnement (sol, eau, végétaux) se fait toujours à partir de selles de félins.
Quelles sont les principales sources de contamination aujourd’hui ?
Les auteurs de la synthèse évoquée précédemment [3] ont essayé de trouver, dans les 136 études retenues, des données concernant le poids respectif de chaque mode de contamination.
Avant d’aborder leurs résultats, il est intéressant de noter que, selon certaines équipes [4], le mode principal des contaminations a varié au cours du temps. Selon leur analyse de correspondance multiple (une forme d’analyse factorielle applicable à des données qualitatives), à travers le monde :
- au cours des années 1960 et 1990, la contamination par les produits carnés a été prédominante ;
- dans les années 1980 il y a eu une augmentation des cas de toxoplasmose à partir du lait de chèvre aux États-Unis (un résultat surprenant, les tachyzoïdes étant réputés ne pas résister à l’acidité gastrique, ce qui se révèle donc inexact) ;
- les études menées dans les années 2000 ont fait ressortir les contaminations directes par l’environnement (eau, sable, sol souillés par les déjections de chats) ;
- à partir des années 2010, la transmission par les fruits et légumes crus souillés, non lavés, non épluchés, a pris son envol, peut-être en lien avec l’arrivée de l’agriculture biologique qui peut conduire à penser que ces aliments peuvent être consommés sans lavage préalable.
La revue de 2023 évoquée précédemment met en avant cinq modes majeurs de transmission en Europe dans les études les plus récentes (cf. par exemple, 5 et 6). Ce sont, par ordre d'importance décroissante :
- le contact avec des animaux d’élevage ou domestiques (mais, étonnamment, dans cette analyse, vivre avec un ou plusieurs chats ne semble pas favoriser la contamination, bien que ce mode ait été spécifiquement recherché dans 60 % des études analysées, cf. par exemple 10) ;
- la consommation de viande de bœuf, agneau ou gibier insuffisamment cuite ou, pour le porc, crue et séchée (de type saucisson ou jambon cru) ;
- la consommation de légumes crus, non lavés et non épluchés (les fruits semblent moins problématiques) ;
- une mauvaise hygiène des mains ;
- les voyages hors d'Europe et d'Amérique du Nord.
Information des femmes enceintes : à revoir
Ces données invitent à revoir les conseils donnés aux femmes enceintes ou à celles qui souhaitent le devenir et dont les analyses sanguines ne montrent pas de traces d’une infection ancienne :
- au-delà de la viande insuffisamment cuite « elle-même » (tartare, carpaccio, steaks saignants, etc.), il serait utile que les femmes concernées connaissent les produits alimentaires transformés qui contiennent de la viande crue ou peu cuite (salami, saucisses crues, jambon cru et charcuteries non cuites, etc.) ou du lait cru (produits non pasteurisés) ;
- de plus, il convient de dédramatiser le fait d’avoir un chat au domicile : nettoyer sa caisse tous les jours sans exception et se laver systématiquement les mains après avoir caressé ou manipulé un chat élimine probablement ce risque (il reste un risque résiduel de présence d’oocystes autour de la gueule du chat après sa toilette) ;
- ensuite, il semble indispensable de sensibiliser au risque lié à la consommation de légumes crus, non lavés, non épluchés, même s’ils sont bio. De même, il serait dangereux de penser qu’être végétarienne protège de Toxoplasma (une idée fausse largement répandue dans cette population) ;
- enfin, insister sur l’importance de se laver régulièrement les mains, en particulier avant et après avoir cuisiné et/ou jardiné. Les couteaux et économes devraient être systématiquement lavés après usage.
Au-delà des grands classiques de la viande crue, du jardinage et des chats (avec les réserves déculpabilisantes signalées précédemment), les conseils aux femmes enceintes qui n’ont jamais été exposées à Toxoplasma doivent évoluer en fonction des modes de transmission actuellement plus fréquents.
En particulier, il apparaît important d’insister sur le fait que la consommation des légumes crus, non lavés et non épluchés semblent être responsables de l’augmentation récente du nombre de séroconversions en Europe de l’Ouest. Avec la multiplication des associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) et l’essor du maraîchage bio, cette recommandation devient essentielle. De même, pour l’hygiène des couteaux/économes, ainsi que celle des mains en général, en cuisinant ou au retour du jardin.
[1] Toxoplasmose. Présentation de la maladie, recommandations et rôle de l’Anses. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, décembre 2012
[2] Diagnostic biologique de la toxoplasmose acquise du sujet immunocompétent (dont la femme enceinte), la toxoplasmose congénitale (diagnostic pré- et postnatal) et la toxoplasmose oculaire, Haute Autorité de santé, février 2017
[3] Calero-Bernal R, Gennari, SM, Cano S et al. Anti-Toxoplasma gondii Antibodies in European Residents: A Systematic Review and Meta-Analysis of Studies Published between 2000 and 2020. Pathogens, 2023 Dec 8;12(12):1430. doi: 10.3390/pathogens12121430
[4] Tourdjman M, Tchéandjieu C, De Valk H, Goulet V, Le Strat Y. Toxoplasmose chez les femmes enceintes en France : évolution de la séroprévalence et des facteurs associés entre 1995 et 2010, à partir des Enquêtes nationales périnatales. Bull Epidémiol Hebd., 2015;(15-16):264-72.
[5] Pinto-Ferreira F, Teles Caldart E, Kuhn Sbruzzi Pasquili A et al. Patterns of Transmission and Sources of Infection in Outbreaks of Human Toxoplasmosis. Emerg Infect Dis., 2019 Dec;25(12):2177-2182. doi: 10.3201/eid2512.181565
[6] Cook AJ, Gilbert RE, Buffolano W et al. Sources of toxoplasma infection in pregnant women: European multicentre case-control study. BMJ, 2000 Jul 15;321(7254):142-7. doi: 10.1136/bmj.321.7254.142
[7] Thebault A, Kooh P, Cadavez V et al. Risk factors for sporadic toxoplasmosis: A systematic review and meta-analysis. Microbial Risk Analysis, April 2021;100133. doi: 10.1016/j.mran.2020.100133
[8] López Ureña NM, Chaudhry U, Calero Bernal R et al. Contamination of Soil, Water, Fresh Produce, and Bivalve Mollusks with Toxoplasma gondii Oocysts: A Systematic Review. Microorganisms, 2022 Feb 27;10(3):517. doi: 10.3390/microorganisms10030517
[9] Friesema IHM, Hofhuis A, Hoek-van Deursen D et al. Risk factors for acute toxoplasmosis in the Netherlands. Epidemiol Infect., 2023;151:e95. Published online 2023 May 24. doi: 10.1017/S0950268823000808
[10] Kapperud G, Jenum PA, Stray-Pedersen B et al. Risk factors for Toxoplasma gondii infection in pregnancy. Results of a prospective case-control study in Norway. Am J Epidemiol., 1996 Aug 15;144(4):405-12. doi: 10.1093/oxfordjournals.aje.a008942
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