De 15 à 25 % de diabétiques auront une plaie du pied infectée au cours de leur vie. Zay Nyi Nyi / iStock/Getty Images Plus / via Getty Images
Les infections de plaie du pied chez le patient diabétique sont fréquentes et de prise en charge multidisciplinaire.
Dans la mise à jour de ses recommandations, la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) rappelle qu’afin d’éviter les antibiothérapies inutiles, il est important de faire la part entre une colonisation bactérienne (multiplication de germes sans signes cliniques d'infection) et une infection, dont le diagnostic répond à des critères cliniques précis et qui est classée en quatre grades de gravité.
Le diagnostic d’ostéite répond lui aussi à des critères cliniques précis.
L’antibiothérapie locale n’a pas de place, mais une antibiothérapie générale probabiliste est débutée dès que le diagnostic d’infection de la peau et des tissus mous est posé. Elle n’est en revanche pas recommandée en cas d’ostéite sans infection de la peau et des tissus mous associée.
Un suivi étroit du patient est nécessaire, à court et long terme, afin de s’assurer de l’évolution favorable de l’infection sous traitement et de la mise en place et du respect dans le temps des mesures de prévention.
Les infections de plaie du pied au cours du diabète découlent de complications chroniques liées au trouble métabolique, constituées principalement par la triade neuropathie, artériopathie et troubles de l’immunité. Au cours de leur vie, de 15 à 25 % des personnes vivant avec un diabète auront une plaie du pied infectée.
À cet égard, la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) vient de mettre à jour ses recommandations [1, 2], qui dataient de 2006, en s’appuyant sur l’actualisation récente des recommandations de l’International Working Group of the Diabetic Foot (IWGDF) [3].
Elles sont plus spécifiquement centrées sur le volet infectieux, mais les experts rappellent en préambule que l’infection de plaie du pied chez un patient diabétique nécessite une prise en charge multidisciplinaire.
Cette dernière se fonde sur le contrôle de la glycémie, la décharge, le débridement (qui élimine les débris de tissus dévitalisés), le traitement de la douleur, les mesures nutritionnelles, la revascularisation, la prévention du risque thromboembolique et la mise à jour de la vaccination antitétanique.
Quels sont les éléments cliniques en faveur d’une infection ?
Pour les cliniciens, il est souvent difficile de faire la distinction entre infection et colonisation bactérienne (mutiplication de germes sans signes cliniques d'infection), ce qui peut conduire à des antibiothérapies inutiles.
Comme explicité dans les recommandations, l’infection d’une plaie d'un pied diabétique est définie par la présence d’au moins deux signes parmi les suivants : œdème local ou induration, érythème > 0,5 cm autour des limites de la plaie, sensibilité ou douleur locale, augmentation de la chaleur locale, présence de pus.
Quels sont les facteurs évocateurs d’une infection ostéo-articulaire ?
L’extension d’une infection d’une plaie du pied diabétique aux structures ostéo-articulaires adjacentes est fréquente (de 20 à 60 % des cas) et doit être reconnue, car sa prise en charge est différente de l’infection de la peau et des tissus mous.
Plusieurs éléments cliniques orientent vers une infection ostéo-articulaire :
- plaie chronique (évoluant depuis plus de un mois malgré la décharge et les soins de la plaie et en l’absence d’ischémie du membre) d’une surface > 2 cm² et/ou d’une profondeur > 3 mm ;
- orteil « saucisse » (aspect inflammatoire) ;
- test du contact osseux « rugueux » positif (recherché au moyen d’une sonde métallique introduite dans la plaie) ;
- exposition osseuse au travers de la plaie et/ou élimination de fragments osseux.
L’absence de signes d’inflammation locale ne fait pas écarter ce diagnostic.
En cas de suspicion clinique d’infection ostéo-articulaire, les radiographies standard du pied constituent l’examen d’imagerie de première intention. Elles sont renouvelées 2 à 4 semaines plus tard en cas de résultats initiaux non concluants. Il n’est en revanche pas recommandé d’utiliser un biomarqueur sérique (protéine C réactive, vitesse de sédimentation, procalcitonine) pour le diagnostic d’infection ostéo-articulaire.
Une classification clinique de l’infection en quatre grades
Dans ses recommandations actualisées, la SPILF s’est appuyée sur la classification clinique de l’infection en quatre grades de l’IWGDF, qui guide les modalités de prise en charge.
- Le grade 1 désigne une plaie non infectée, définie par l’absence de symptômes ou de signes généraux ou locaux d’infection.
En cas de signes d’infection (cf supra), on distingue trois grades :
- grade 2 pour une infection légère, caractérisée par une infection locale sans signes généraux, touchant seulement la peau ou le tissu sous-cutané, tout érythème ne devant pas excéder 2 cm autour de la plaie.
- grade 3 pour une infection modérée, qui désigne toujours une infection locale sans signes généraux, mais touchant les structures plus profondes que la peau et les tissus sous-cutanés (tendons, muscles, articulations, os) et/ou érythème ≥ 2 cm autour de la plaie.
- grade 4 pour une infection sévère, qui correspond à toute infection avec syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS) marquée par au moins deux des éléments suivants :
- fièvre > 38 °C ou < 36 °C,
- fréquence cardiaque > 90 battements/minute,
- fréquence respiratoire > 20 cycles/minute ou PaCO2 < 4,3 kPa (32 mmHg)
- numération des leucocytes > 12 000 mm3 ou < 4 000/mm3 ou présence de plus de 10 % de formes immatures.
L’existence d’une atteinte osseuse fait ajouter la lettre « O » au grade 3 ou 4.
Quels sont les signes de gravité nécessitant une hospitalisation ?
L’infection d’une plaie du pied diabétique peut être prise en charge en ambulatoire, mais certaines situations impliquent une hospitalisation.
Il peut s’agir de facteurs liés à la plaie elle-même : extension aux tissus sous-cutanés, dermo-hypodermite rapidement progressive, collection intratissulaire, bulles dermiques, crépitation à la palpation, taches chamois ou bleuâtres d’aspect ecchymotique ou purpuriques, nécrose, apparition d’une anesthésie ou d’une douleur localisée.
Mais aussi de signes généraux (fièvre > 38 °C, évaluation rapide du Sepsis-related Organ Failure Assessment score [qSOFA*] ≥ 2), d’anomalies biologiques : leucocytes > 12 G/L ou < 4 G/L, déséquilibre glycémique, acidose métabolique, insuffisance rénale aiguë ou aggravation d’une insuffisance rénale chronique, anomalies hydro-électrolytiques.
* Le qSOFA est un score clinique qui permet d’évaluer rapidement le risque de défaillance d’organe en lien avec le sepsis à partir de trois paramètres :
- pression artérielle ≤ 100 mmHg ;
- altération mentale ;
- fréquence respiratoire ≥ 22 cycles /min.
Quelles situations font discuter une hospitalisation ?
Dans d’autres situations, une hospitalisation peut se discuter. C’est notamment le cas en présence de facteurs de risque d’évolution défavorable (présence de matériel étranger d’origine chirurgicale, macro-angiopathie des membres inférieurs, plaie perforante, lymphœdème chronique, immunodépression).
Mais aussi lorsque des explorations complémentaires sont inaccessibles en ambulatoire, ou en cas d’indication d’un geste chirurgical (drainage, débridement, revascularisation). Ou encore face à un patient ne pouvant adhérer à une prise en charge en ambulatoire et, enfin, en cas d’échec du traitement.
Les experts rappellent qu’une atteinte osseuse ne constitue pas en elle-même une indication à une hospitalisation.
Quand et comment faire un prélèvement ?
Un prélèvement pour réaliser un diagnostic microbiologique est recommandé uniquement en cas de plaie infectée (grade 2, 3 ou 4).
Il doit respecter différentes règles :
- débrider avant tout prélèvement ;
- prélever par curetage-écouvillonnage en cas d’infection superficielle ;
- réaliser une biopsie tissulaire sur le versant cutané des berges de la plaie (punch à biopsie) en cas d’infection profonde ;
- effectuer une aspiration à l’aide d’une aiguille fine ou d’un cathéter long en cas de collection cutanée ou sous-cutanée.
En cas de suspicion d’infection ostéo-articulaire, une biopsie osseuse est recommandée après une fenêtre thérapeutique de 15 jours si une antibiothérapie a été instaurée préalablement.
Parallèlement, des hémocultures et une biopsie osseuse sont préconisées dans le grade 4.
Antibiothérapie, dans quels cas et laquelle ?
Il n’est pas recommandé d’instaurer une antibiothérapie locale, ni en préventif ni en curatif. En revanche, une antibiothérapie générale probabiliste est débutée dès que le diagnostic d’infection de la peau et des tissus mous est posé, ce qui ne s’applique pas à une infection ostéo-articulaire sans infection de la peau et des tissus mous associée.
Les experts préconisent de faire systématiquement appel à une antibiothérapie active sur les staphylocoques dorés sensibles à la méticilline (SAMS) en cas d’infection de plaie récente (< 4 semaines). En effet, dans ce contexte, les cibles bactériennes prioritaires sont les SAMS et les streptocoques. En cas d’infection de plaie chronique (≥ 4 semaines), le traitement doit aussi être actif sur les Enterobacterales et les anaérobies.
Dans les formes non graves, il n’est pas recommandé d’utiliser une antibiothérapie active sur P. aeruginosa, les staphylocoques dorés résistant à la méticilline (SARM) ou les entérocoques ; en cas de doute, un avis spécialisé peut être sollicité.
En pratique, quelle attitude adopter ?
En cas d’infection de grade 2 d’une plaie récente, le choix sur porte sur un traitement per os : céfalexine ou clindamycine en première intention, pristinamycine ou linézolide en cas d’infection récente à SARM ou de colonisation connue à SARM. Cyclines, cotrimoxazole et fluoroquinolones ne sont pas recommandés.
En cas d’infection de plaie chronique de grade 2 ou grade 3 : amoxicilline/acide clavulanique. La présence d’une allergie à la pénicilline sans signes de gravité oriente vers l’association ceftriaxone + métronidazole.
Un avis infectiologique est conseillé en cas d’allergie avec signes de gravité. De même, un tel avis est de mise en cas d’infection récente à SARM ou de colonisation connue à SARM, afin de discuter de l'indication de pristinamycine, linézolide, doxycycline ou cotrimoxazole.
Le texte des recommandations détaille les posologies pour chaque situation.
Tous les patients doivent être réévalués après 48-72 heures. En cas d’évolution défavorable à 72 heures, les causes d’échec du traitement doivent être recherchées avant d’élargir le spectre de l’antibiothérapie : posologie inadaptée, défaut d’observance, intolérance, abcès profond, ischémie, absence de décharge de la plaie.
La durée de l’antibiothérapie varie en fonction du grade initial de l’infection et de l’évolution sous traitement. Elle est de 7 jours dans les infections de grade 2 d’évolution favorable, pouvant atteindre de 10 à 14 jours dans les autres situations.
En cas d’infection ostéo-articulaire, la durée totale de l’antibiothérapie est de 6 semaines en l’absence de traitement chirurgical associé.
Un geste chirurgical peut être indiqué, parfois en urgence, qu'il y ait ou non une ostéite associée.
Suivi à court terme et prévention des récidives
Un suivi étroit des patients, fondé uniquement sur la clinique en cas de bonne évolution, est nécessaire au cours de la période initiale de cicatrisation des deux mois qui suivent.
Le risque de récidive d’ulcère du pied diabétique est élevé, estimé à 40 % à 1 an, 60 % à 3 ans et 65 % à 5 ans. Il est accru en présence d’une artériopathie des membres inférieurs et/ou d’une neuropathie périphérique, d’un mauvais équilibre glycémique, d’un mauvais chaussage, en l’absence d’éducation thérapeutique et en cas de localisation plantaire de la plaie.
Le patient doit donc bénéficier d’une surveillance tous les 1 à 3 mois et d’une éducation thérapeutique, afin d’améliorer l’observance aux soins, de gérer l’autosurveillance de la température du pied et de s'assurer d'un chaussage adapté pour soulager les pressions plantaires.
[2] Diaporamas des recommandations sur Infectiologie.com
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