Une ferritinémie basse sans anémie est très fréquente chez la femme jeune.
La carence en fer sans anémie est définie par un taux d’hémoglobine normal, associé à une baisse de la ferritinémie, dont les normes sont à interpréter en fonction du sexe, de l’âge, et de l’existence de comorbidités.
Il est intéressant de la rechercher chez des femmes réglées présentant des symptômes possiblement en rapport (asthénie, troubles mnésiques ou intellectuels, chute des cheveux, syndrome des jambes sans repos, diminution des performances sportives). On peut alors proposer une supplémentation en fer par voie orale, un jour sur deux.
Chez les femmes enceintes au premier trimestre, un traitement oral par fer peut être prescrit si le taux d'hémoglobine est < à 12 g/dL, sans contrôler systématiquement la ferritinémie.
Au-delà de 50 ans, la carence en fer sans anémie peut conduire à des explorations digestives comme pour l’anémie ferriprive, en fonction du contexte.
Chez les patients ayant une insuffisance cardiaque où la carence en fer sans anémie est fréquente et la supplémentation orale inefficace, le traitement par perfusions intraveineuses de fer donne des résultats discordants dans les études les plus récentes.
La carence en fer sans anémie a été beaucoup moins étudiée que l'anémie ferriprive. Sa définition n'est pas consensuelle et les symptômes associés sont variables, non spécifiques, et ne sont pas toujours présents.
Quelles définitions ?
La carence en fer sans anémie peut être définie par une ferritinémie basse associée à un taux d’hémoglobine (Hb) normal : Hb ≥ 12 g/dL chez les femmes ou ≥ 13 g/dL chez les hommes ou ≥ 11 g/dL pendant la grossesse (10,5 g/dL au deuxième semestre). Le chiffre de 12 g/dL peut aussi être retenu chez les hommes de plus de 75 ans.
Les dosages de ferritine sérique sont fiables d’un laboratoire à l’autre et la normale basse est à interpréter suivant l’âge, le sexe, et l’existence de comorbidités. On peut retenir, comme définition de la carence en fer, un taux de ferritine :
- < 20 µg/L chez les femmes jeunes ;
- < 30 µg/L chez l’homme jeune ;
- < 60 µg/L au-delà de 65 ans ;
- < 100 µg/L s’il existe des comorbidités (insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, etc.) ;
- < 200 µg/L en cas de syndrome inflammatoire.
Il n’existe cependant pas de consensus. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) propose des valeurs plus basses (taux de ferritine < 15 µg/L chez les sujets jeunes et < 70 µg/L en cas d’inflammation [1]), et des symptômes de carence en fer sans anémie peuvent être notés jusqu’à des valeurs de ferritinémie proches de 50 µg/L chez les femmes jeunes.
Un coefficient de saturation de la transferrine (CST) inférieur à 20 % peut aider au diagnostic, mais son calcul est réalisé d’après les dosages de la transferrine et du fer sérique. Et, ce dernier, qui doit être réalisé à jeun, est soumis à des variabilités importantes.
À noter qu'il existe un piège important à connaître : la présence d’une thrombocytose (plaquettes ≥ à 400 giga/L - 400 000/mm3) ou d’une splénomégalie nécessitent un avis hématologique avant tout traitement d’une carence en fer sans anémie. En effet, l’administration de fer, particulièrement en intraveineux, peut démasquer une polyglobulie et entraîner des complications thrombotiques en cas de syndrome myéloprolifératif sous-jacent (polyglobulie de Vaquez).
Ainsi définie, la carence en fer sans anémie concerne avant tout les femmes réglées et pose le problème de sa responsabilité dans certains symptômes [2].
Au-delà de 50 ans, le problème est différent et l'on se concentre sur la recherche d’une cause de carence en fer.
La carence en fer sans anémie est à prendre en considération dans certaines populations particulières : femmes enceintes, patients ayant une insuffisance cardiaque.
Chez la femme jeune
L’existence d’un taux d'Hb normal avec une ferritinémie basse est extrêmement fréquente chez les femmes réglées : la prévalence se situe entre 10 à 25 % suivant les études pour des femmes européennes [3]. Dans cette population, les investigations endoscopiques (colonoscopie, gastroscopie) sont inutiles si la patiente n’a pas de symptomatologie digestive (troubles du transit, douleurs abdominales, etc.) ou d’antécédent familial de cancer colique précoce.
En l’absence de signe fonctionnel ou général ou de grossesse programmée, il n’est pas utile de prescrire un traitement par fer. La ferritinémie basse reflète des réserves en fer épuisées, mais si l’alimentation est équilibrée, les besoins en fer peuvent être couverts. Les régimes végétariens, qui excluent le fer héminique, favorisent les carences en fer chez les femmes réglées, mais pas de façon très significative si la diététique reste équilibrée. A contrario, recommander une alimentation riche en viande est délicate du fait du risque associé de cancers colorectaux, sans parler des émissions de CO2 liées à la production de viande. Dans tous les cas, il faut bien rechercher une prise d’anti-inflammatoire non-stéroïdien (AINS) ou d’aspirine, pouvant favoriser des saignements digestifs.
Quand prescrire une supplémentation ?
On peut proposer un traitement par fer dans les cas suivants :
- asthénie après avoir éliminé une autre cause ;
- troubles de mémoire et diminution des performances intellectuelles (particulièrement chez les adolescentes ou jeunes étudiantes) ;
- diminution des capacités physiques, particulièrement chez les femmes sportives. On peut s’aider :
- d’un chiffre d’Hb antérieur s’il existe : la normale de l’Hb pouvant être plus proche de celle des hommes [13 g/dL] dans cette population,
- et de l’existence d’une microcytose (volume globulaire moyen < 82 fl).
Il faut noter que les sports d’endurance peuvent être responsables de carence en fer, probablement par ischémie mésentérique lors de l’effort, même en cas d’aménorrhée ;
- chute des cheveux ;
- syndrome des jambes sans repos.
Quels traitements ?
On prescrit en première intention un traitement par fer oral, de préférence un jour sur deux. En effet, il a été démontré qu’une prise orale de fer augmente les taux d’hepcidine (hormone régulatrice du métabolisme du fer), inhibant pendant 48 heures l’absorption du fer qui reste dans la lumière intestinale, ce qui peut déclencher ou aggraver les effets indésirables digestifs (bénins, mais parfois gênants). La prise un jour sur deux (2 comprimés à la fois pour atteindre au moins 100 mg) peut ainsi être tout aussi efficace et mieux tolérée [4]. Bien que le fer injectable soit utilisé régulièrement dans le syndrome des jambes sans repos (avec un niveau de preuve faible), nous évitons de le prescrire dans cette indication, considérant que les risques de manifestations allergiques (très rares, mais potentiellement graves) ou d’hypophosphorémie dépassent le bénéfice attendu.
Chez une femme enceinte
Dans les pays à faible niveau de revenu, l’anémie ferriprive est présente chez plus de 50 % des femmes enceintes au troisième trimestre de leur grossesse. C’est un problème de santé publique, avec une augmentation de la morbidité, voire de la mortalité materno-fœtale, qui peut justifier une supplémentation systématique en fer orale chez toutes les femmes en début de grossesse.
Dans les pays « riches », l’anémie ferriprive est plus rare en fin de grossesse (22 % des cas dans une étude récente en France). Il est sans doute plus efficient de cibler les femmes à supplémenter en début de grossesse : la présence d’une ferritinémie basse est une indication de supplémentation en fer orale, mais ne doit pas être demandée systématiquement en raison de son coût. On pourrait se contenter d’effectuer une simple numération globulaire au premier trimestre (le plus tôt possible) et de prescrire du fer à toutes les femmes avec un taux d'Hb < à 12 g/dL, même en l'absence d'anémie (seuil de l’anémie : 11 g/dL au premier trimestre) [5]. Ce seuil est même à 12,6 g/dL dans une étude japonaise [6].
Chez les personnes de plus de 50 ans
Une anémie ferriprive chez l’homme adulte ou la femme ménopausée nécessite obligatoirement de rechercher un saignement digestif occulte par la pratique rapide (moins de 4 semaines pour ne pas risquer une perte de chance en cas de cancer colique) d’une colonoscopie et d’une fibroscopie gastrique. La question de la pratique de ces endoscopies digestives pour une carence en fer sans anémie est débattue. La décision doit être individualisée en fonction de :
- l’existence de facteur de risque de cancer colique (antécédent familial au premier degré) ;
- l’ancienneté (rassurante) ;
- la baisse de la ferritinémie ;
- l’existence d’une microcytose (un passage en 3 mois d’un VGM de 90 fl à 80 fl est suspect) ;
- la prise d’AINS ou d’aspirine qui peuvent être arrêtés afin de savoir si la carence se corrige.
Chez un(e) patient(e) insuffisant(e) cardiaque
Dans l’insuffisance cardiaque, les taux d’hepcidine (protéine « positive » de l’inflammation) sont élevés conduisant à une diminution de l’absorption intestinale du fer et à sa séquestration dans les macrophages. La carence en fer est donc très fréquente chez les patients en insuffisance cardiaque, et le traitement par voie orale inefficace.
Plusieurs études, publiées dans de très grandes revues internationales, ont démontré, sous traitement, une meilleure qualité de vie, une diminution du nombre d’hospitalisations, une amélioration de la dyspnée et du périmètre de marche chez des patients avec une ferritinémie inférieure à 100 µg/L (ou inférieure à 300 µg avec CST < 20 %). C’est surtout la diminution des hospitalisations pour insuffisance cardiaque qui était significative, mais une tendance à la baisse de la mortalité a même été notée dans certaines études récentes. La majorité des patients insuffisants cardiaques inclus dans ces études n’avaient pas d’anémie (taux d'Hb en moyenne vers 12 g/dL), mais bien une ferritinémie basse [7].
Des recommandations internationales de supplémentation en fer par perfusions intraveineuses ont été émises pour tous les patients avec fraction d’éjection du ventricule gauche diminuée et répondant aux critères de carence en fer ci-dessus [8]. Cependant, une étude très récente [9], de grande envergure, menée à long terme, ne montre aucun résultat significatif, même si la bonne tolérance à long terme du fer intraveineux est confirmée dans cette population (avec toujours de rares manifestations allergiques, parfois sévères).
La carence en fer sans anémie peut être recherchée chez des femmes réglées présentant des symptômes possiblement en rapport avec cette carence. Si la carence en fer est objectivée, on peut alors proposer un traitement oral par fer un jour sur deux.
Chez les femmes enceintes au premier trimestre, il paraît légitime de proposer un traitement oral par fer en s'appuyant sur le chiffre d’Hb sans demander systématiquement un dosage de la ferritine.
Le bénéfice d’un traitement par fer reste encore à évaluer dans de nombreuses circonstances, en particulier chez le patient avec insuffisance cardiaque.
[1] Concentrations sériques de ferritine permettant d’évaluer le statut et les carences en fer au niveau individuel et dans les populations : document technique d’information. Organisation mondiale de la Santé, 2020
Je tiens à rappeler que la viande n'est pas un aliment riche en fer héminique adapté à la prévention des déficiences ou des carences en fer. Les aliments utiles dans cette indication sont les foies, le boudin les rognons, les moules et le pigeon.De plus, mon expérience montre qu'il est utile de complémenter, au moins en augmentant la consommation de ces aliments, voire en associant au départ, un traitement court médicamenteux, dans toutes les situations où il est nécessaire d'avoir des performances physiques et / ou intellectuelles optimales. Dans ce genre de situation, l'objectif peut être d'obtenir et de maintenir un taux de Ferritine supérieur à 2 à 3 fois le taux minimum, de manière empirique.
J'ajouterai que cela peut aussi s'avérer utile en complément d'une prise en charge spécifique, dans l'anxiété et la dépression.
Ce type de situation est complexe à étudier et je ne pense pas que ce le soit beaucoup en EBM. Mais je vous livre le résultat de 35 ans d'observation clinique chez les sportives de tous niveau, y compris le plus élevé.Si cela peut être utile à vos patientes ( Attention, les hommes coureurs de fond sont aussi exposes)
Bonjour,
J'ai lu votre exposé avec la plus grande attention et je vous remercie d'avoir pris le temps de nous faire partager votre retex, retour d'expérience, d'une période de 35 ans.
La réponse du Modérateur est hélas binaire, tout est bon si c'est écrit dans un livre et tout est mauvais si cela ne l'est pas.
Les anciens nous ont transmis que le miel est un remède-aliment, pas de livre,pas d'expérience en labo,pas de conférence et pourtant leur retex basée sur des constats objectifs ce sont avérés justes.
Bref, tout ceci pour vous dire que les témoignages d'expériences même en l'absence d'appui scientifique académique restent recevables en l'absence de preuve contraires. C'est à la science de prouver que ce que vous dites n'existe pas alors que vous l'avez expérimenté in-vivo et sur des sujets humains. Quel autre banc d'essai peut surpasser des tests et observations faites sur des sportifs à la recherche de performance.
L'énoncé est pourtant simple : manque de fer = baisse de performances cognitives, perte de performances musculaires.
Scientifiques, à vous de démontrer le contraire, svp.
Respects à Alain T!
Vous venez de signaler ce commentaire. Confirmez-vous votre choix?
Bonjour
Vous commettez une erreur fréquente chez les empiriques : inverser la charge de la preuve. Dans la mesure où vous communiquez dans un lieu public sur une stratégie thérapeutique, c'est à vous qu'incombe d'apporter la preuve de vos affirmations. Sur un plan méthodologique, autant il est possible de prouver qu'un effet thérapeutique existe, autant il est très difficile, voire impossible, d'apporter la preuve qu'il n'existe pas.
Et je passe sur la loi de Brandolini !
Bonjour
Votre expérience manque malheureusement d'appui scientifique. La viande est considérée unanimement comme une source de qualité pour un apport de fer assimilable par l'organisme, même si les abats en contiennent des quantités supérieures.