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Microbiote intestinal : pour en finir avec certains mythes

Les affirmations couramment relayées par la presse sur le microbiote intestinal sont-elles fiables ? Le point sur ces mythes par deux experts du domaine.

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Un sujet qui fait souvent la une. 

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Résumé

« Le microbiote intestinal est transmis par la mère », « La plupart des maladies sont dues à des anomalies de la flore intestinale », « L’obésité, c’est une question de microbiote »… Nous sommes nombreux à avoir lu ou entendu ces affirmations dans les médias. Mais qu’en est-il vraiment ? Info ou intox ?

La recherche sur nos microbiotes, et en particulier celui du tube digestif, a explosé depuis une vingtaine d’années, en partie grâce à la généralisation des techniques de séquençage d'ADN à haut débit qui permettent une cartographie des micro-organismes hébergés dans le corps humain. En lien avec cette multiplication des études, les médias grand public se sont emparés de la question et publient régulièrement des articles sur ce sujet devenu populaire. De même, divers industriels ont mis sur le marché des compléments alimentaires contenant ces micro-organismes (probiotiques).

Récemment, des experts du domaine ont voulu remettre les pendules à l’heure et démonter quelques mythes particulièrement répandus concernant le microbiote intestinal, son importance et ses liens avec certaines maladies.

Depuis le début des années 2000, la recherche sur le microbiote intestinal (la « flore intestinale ») a explosé, avec les milliers d’études scientifiques sur ce sujet publiées chaque année. En conséquence, le nombre des articles grand public sur ce thème a, lui aussi, explosé, tout comme le marché des compléments alimentaires à base de probiotiques, qui pourraient « renforcer » le microbiote.

Dans tout ce battage médiatique, voire promotionnel, des annonces spectaculaires sont régulièrement faites sans citer pour autant de bases scientifiques : par exemple, « Les cellules du microbiote sont plus nombreuses que celles de notre corps », ou « ces micro-organismes représentent un poids de 1 à 2 kg ».

Récemment, deux spécialistes du microbiote AW Walker et L Hoyles, ont publié un article dans la revue Nature Microbiology [1] pour tordre le cou à ces mythes. Nous vous en proposons une synthèse pour remettre les choses en perspective.

« Le microbiote est un nouveau domaine de recherche »

Le rythme de la recherche sur le microbiote humain s'est considérablement accéléré au cours des quinze dernières années grâce aux techniques de séquençage d’ADN à haut débit. Mais la recherche sur le microbiote remonte en réalité… à la fin du XIXe siècle !

La bactérie Escherichia coli (E. coli), très présente dans tous les microbiotes, a été isolée pour la première fois en 1885, les bifidobactéries ont été décrites en 1899 et Elie Metchnikoff a émis des hypothèses sur l'importance des micro-organismes intestinaux bénéfiques au début des années 1900.

De même, des concepts tels que l'axe intestin-cerveau sont à l'étude depuis des siècles [2] et les effets sur la santé de substances produites par le microbiote, tels que les acides gras à chaîne courte, ont été rapportés pour la première fois il y a plus de quarante ans [3]. Par ailleurs, le terme « microbiote » est utilisé depuis la fin des années 1980.

« Le microbiote humain pèse de 1 à 2 kg »

Bien que cette affirmation soit mentionnée à de nombreuses reprises dans les publications scientifiques, elle est souvent citée sans référence et les auteurs de l’article de Nature Microbiology [1] n’ont pas été en mesure d'en trouver la source.

Dans la plupart des cas, il est peu probable qu'elle soit vraie. Les micro-organismes du microbiote intestinal représentent généralement moins de la moitié du poids des selles. Celles-ci pèsent en moyenne moins de 200 g (poids humide), le contenu total de l’intestin allant de 83 à 421 g selon une petite étude portant sur des victimes de mort subite. Par conséquent, à l'exception peut-être de rares cas de personnes gravement constipées dont l'intestin contient des selles extrêmement compactes, le poids total du microbiote humain est très probablement inférieur à 500 g, et peut-être même nettement moindre dans certains cas.

« Les cellules du microbiote sont dix fois plus nombreuses que celles de notre corps »

Ce mythe est peut-être l'un des plus répandus dans les articles sur le microbiote humain et AW Walker et L Hoyles [1] avouent l’avoir eux-mêmes repris dans leurs publications antérieures sans l’avoir passé à la moulinette critique.

Cette croyance date des années 1970 et provient vraisemblablement d’un mauvais calcul. Des analyses plus détaillées indiquent que le chiffre réel, bien que toujours impressionnant, est probablement plus proche d’une égalité numérique entre les deux types de cellules. Ce rapport est susceptible de varier d'une personne à l'autre et dépend de facteurs tels que la taille de l'hôte et la quantité de selles qu'il héberge dans son intestin. Les estimations actuelles reposent également en grande partie sur des observations d'adultes vivant dans des pays urbanisés à revenu élevé. Des analyses plus complètes nécessiteraient l'étude d'individus issus de milieux ruraux ou à faibles revenus, ainsi qu'une évaluation tout au long de la vie.

« Il y a 1 000 milliards (1012) de cellules bactériennes par gramme de selles »

Ce chiffre impressionnant est souvent mentionné dans les articles sur le microbiote, mais il est difficile d'en déterminer l'origine. Il est toutefois possible qu'il provienne d'un comptage de cellules fécales en poids sec plutôt qu'en poids humide.

Quoi qu'il en soit, selon les auteurs de l’article de Nature Microbiology [1], cette évaluation est erronée. Le chiffre réel, déterminé à l'aide de diverses méthodes telles que la numération directe des cellules, l'hybridation in situ par fluorescence, la cytométrie de flux et la PCR, se situe généralement entre 10 et 100 milliards (1010 et 1011) de cellules microbiennes par gramme de poids humide de selles.

« Notre microbiote est hérité de notre mère à la naissance »

Cette fausse affirmation se trouve plus souvent dans les articles destinés au grand public que dans la littérature scientifique. Bien que certains micro-organismes soient directement transférés de la mère au bébé à la naissance [4, 5], proportionnellement peu d'espèces du microbiote sont véritablement « héritables » et persistent de la naissance à l'âge adulte [5, 6]. En effet, la majeure partie de la diversification du microbiote intestinal se produit après la naissance, au cours des premières années de vie, et augmente de façon spectaculaire après le sevrage [7]. Chaque adulte finit par avoir une configuration de microbiote unique, même les vrais jumeaux élevés dans le même foyer [8].

Par conséquent, bien que la façon dont est construit le microbiote ne soit pas encore totalement comprise, la flore intestinale adulte semble être principalement façonnée par des expositions environnementales tout au long de la croissance, ainsi que par de multiples autres facteurs tels que l'alimentation, l'antibiothérapie ou la génétique de l'hôte, la part maternelle ne jouant qu’un tout petit rôle.

« La plupart des maladies sont caractérisées par une flore anormale »

Il est de plus en plus fréquent de lire que la plupart des maladies sont caractérisées, voire causées, par un microbiote intestinal anormal (un « pathobiote »). Il s'agit là d'une définition vague d’éventuelles interactions délétères entre les communautés microbiennes de l’intestin et leur hôte. Ce terme est malheureusement trop simpliste.

Selon les auteurs, les micro-organismes et les substances qu’ils produisent ne sont ni bons ni mauvais. Leur impact sur un hôte humain, dépend fortement du contexte. Les micro-organismes ou les substances qui sont délétères dans une situation donnée peuvent ne causer aucun dommage dans une autre. À titre d'exemple, la bactérie Clostridioides difficile (anciennement Clostridium difficile) peut être hébergée sans entraîner de symptômes tout au long de la vie et ne causer des problèmes qu'à un âge avancé, lorsque l'hôte est immunodéprimé, ou lorsque la personne est traitée avec des antibiotiques [9]. De même, une souche d'E. coli peut être relativement inoffensive dans l’intestin, mais provoquer une infection des voies urinaires si elle envahit l'urètre. Par conséquent, le terme « pathobiote » reste trop évasif pour être réellement utile dans la pratique clinique.

Il est vrai, cependant, qu'il a été démontré que certaines pathologies s’accompagnent de modifications de la composition du microbiote intestinal. On parle parfois de « dysbiose », un terme tout aussi vague que celui de pathobiote. Dans certains cas, comme les maladies inflammatoires de l’intestin, il est probable que ces modifications puissent contribuer à l’évolution de la maladie. Toutefois, ces changements sont rarement identiques d’un patient à l’autre, comme il est rare que deux personnes, malades ou en bonne santé, aient des microbiotes identiques.

En outre, dans les études qui décrivent les modifications du microbiote au cours d’une maladie, les facteurs de confusion tels que l'âge, l'indice de masse corporelle (IMC), le sexe et les traitements médicamenteux ne sont pas pris en compte, de même que les interactions entre les communautés microbiennes de l’intestin ou les changements qui résultent de modifications immunologiques, métaboliques ou autres, chez l'hôte.

Les tentatives visant à définir des « points de basculement » à partir desquels les changements dans la composition du microbiote influencent définitivement la progression d’une pathologie n'ont jusqu'à présent pas réussi à générer un consensus clair, en raison d'un manque de cohérence entre les différentes études.

« Le rapport Firmicutes / Bacteroidetes est modifié en cas d’obésité »

Les Firmicutes et les Bacteroidetes (respectivement Bacillota et Bacteroidota) sont deux grandes familles (phyla) de micro-organismes présents dans l’intestin. De nombreux articles font grand cas de modifications dans l’importance relative de ces deux populations et présentent ces changements comme essentiels dans certaines pathologies, en particulier l’obésité.

Selon AW Walker et L Hoyles [1], cette affirmation couramment citée découle principalement de la recherche sur les rongeurs et de résultats d'études humaines uniques ou insuffisamment approfondies qui, selon au moins trois méta-analyses, ne sont pas cohérents et qu'il n'existait en fait aucune « signature microbienne » reproductible dans l'obésité chez l'homme [10, 11, 12]. 

Cette idée fausse reflète également une tendance à examiner les profils de microbiotes à des niveaux de taxonomie très larges, tels que les phyla. Bien que cette approche soit intéressante du point de vue de la simplification des données, elle ne tient pas compte de l'énorme variabilité inhérente aux différents embranchements. Selon les auteurs de l’article : « pour faire une analogie grossière, les humains, les oiseaux, les poissons, les reptiles […] sont tous membres du phylum des Chordata, mais ils ont manifestement des physiologies, des modes de vie et des impacts sur leur environnement très différents ».

« Les techniques de séquençage vont révolutionner l’étude du microbiote »

Bien que les méthodes fondées sur le séquençage aient transformé la recherche sur le microbiote, elles ne sont pas parfaites. Des biais peuvent être introduits à chaque étape des études s'appuyant sur les séquences, depuis la collecte et le stockage des échantillons, en passant par les travaux de laboratoire tels que l'extraction de l'ADN, jusqu'au choix des bases de données de référence utilisées pour l'analyse des résultats.

Des comparaisons entre les études du microbiote menées sur les séquences et celles sur les cultures ont montré que les premières ne parvenaient pas à détecter certaines espèces qui n'étaient identifiées qu'à l'aide de méthodes de culture traditionnelles [13]. Pour une interprétation optimale, il est important d'être conscient des limites inhérentes à toute technique.

Conclusion

Les auteurs de l’article de Nature Microbiology concluent en disant : « Bien que certains des points ci-dessus puissent sembler insignifiants, nous soutenons que l'exactitude de ces détails est importante. Si nous répétons constamment des informations fausses sur des détails mineurs, peut-on se fier à notre exactitude lorsque nous traitons de sujets plus importants ? […]. Étant donné les nombreux impacts potentiels sur la santé, l'énorme quantité de financement et le vif intérêt du public pour les microbiotes, le rejet des affirmations non fondées est crucial si nous voulons éviter de dépenser des ressources finies à rechercher des voies improductives et à miner la confiance du public. »

Une conclusion qui pourrait être étendue à tous les domaines de la recherche biomédicale qui font l’objet d’un engouement des médias, du grand public et des promoteurs de produits de santé.

 

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