Des avancées majeures : molécules recombinantes, anticorps monoclonaux, thérapie génique...
L’hémophilie est une maladie hémorragique génétique, de transmission récessive liée à l’X. Dans 30 % des cas, elle est secondaire à une néomutation. L’absence d’antécédent familial n’exclut donc pas le diagnostic, tout comme le sexe féminin. En effet, parmi les porteuses de la mutation, anciennement appelées « conductrices », deux tiers ont un taux de facteur VIII ou IX normal, mais un tiers présente un déficit modéré en facteur VIII ou IX.
La prise en charge de l’hémophilie a connu de grands changements au cours des dix dernières années, avec le développement de nouvelles molécules permettant d’alléger le fardeau de la maladie. La thérapie génique, qui a obtenu une autorisation de mise sur le marché européenne et nord-américaine, est source d’espoir et de perspectives nouvelles pour les hémophiles atteints de formes sévères.
L’hémophilie est la plus fréquente des maladies hémorragiques constitutionnelles graves. Selon le type de facteur de la coagulation concerné par le déficit, on distingue l’hémophilie A (déficit en facteur VIII) et l’hémophilie B (déficit en facteur IX).
Épidémiologie et physiopathologie
Dans la cascade de la coagulation, le facteur VIII s’associe au facteur IX pour activer le facteur X et générer de la thrombine, l’enzyme pivot de la coagulation, capable de transformer le fibrinogène en caillot de fibrine.
On parle d’hémophilie A lorsque le taux de facteur VIII, normalement compris entre 50 et 150 %, est inférieur à 40 %. Son incidence est de 1/5 000 naissances de garçons, et en 2021, on comptait environ 8 000 personnes atteintes d’hémophilie A en France.
De même, on parle d’hémophilie B lorsque le taux de facteur IX, lui aussi normalement compris entre 50 et 150 %, est inférieur à 40 %. Avec une incidence de 1/30 000 naissances de garçons et environ 1 700 patients en France en 2021, il s’agit d’une forme plus rare que l’hémophilie A.
Une expression clinique variable
La gravité de la maladie est généralement proportionnelle à la profondeur du déficit.
Dans les formes sévères, en l’absence de traitement prophylactique, les saignements, surtout à type d’hémarthroses et d’hématomes, peuvent survenir en dehors de tout traumatisme. Il existe également un risque d’hémorragie viscérale et intracrânienne. Les symptômes débutent, le plus souvent, lors de la première année de vie, particulièrement lors de l’apprentissage de la marche à l’occasion des premières chutes.
Dans les formes modérées ou mineures de la maladie, ces mêmes symptômes surviennent plutôt dans un contexte traumatique ou à l’occasion d’un geste invasif.
Quand suspecter le diagnostic ?
Bien sûr le diagnostic d’hémophilie est suspecté en cas d’antécédents familiaux (tout cas index motive une enquête génétique), mais aussi en présence de signes hémorragiques inexpliqués :
- l’hémorragie intracrânienne chez le nouveau-né ;
- des saignements articulaires, cutanés profonds ou intramusculaires ;
- la survenue de complications hémorragiques au cours d’un acte chirurgical ou après une extraction dentaire, par exemple ;
- chez la femme (voir infra), il faut aussi savoir évoquer ce diagnostic face à des ménorragies et une anémie ferriprive.
Parfois, l’hémophilie est découverte à l’occasion d’un bilan d’hémostase devant un allongement isolé du TCA (temps de céphaline activé), avec un ratio par rapport au témoin > 1,20. La mise en évidence de cette anomalie doit conduire à doser le facteur VIII et le facteur IX et, en cas de taux bas (< 50 %), à adresser le patient à un centre spécialisé.
Y penser aussi chez les femmes
L’hémophilie, dont la transmission est récessive liée à l’X, touche essentiellement les garçons. Mais les femmes, qui sont classiquement une fois sur deux porteuses de l’anomalie génétique (quand leur mère est porteuse), peuvent aussi présenter une hémophilie A ou B, le plus souvent de sévérité modérée pouvant pendant longtemps passer inaperçue. En termes de risque hémorragique, il n’y pas d’effet protecteur du sexe : une femme ayant un déficit à 30 % a un risque de saignement identique à celui d’un homme ayant un déficit à 30 %, avec la spécificité des règles abondantes, qui ne doivent donc pas être mises trop vite sur le compte de perturbations hormonales.
Il faut être particulièrement vigilant en cas d’antécédents familiaux et demander un bilan d’hémostase (TCA, TP [taux de prothombine], fibrinogène). Du fait de la présence de deux chromosomes X, les cas sévères chez la femme sont rares et se rencontrent en cas de syndrome de Turner, en cas de père hémophile et de mère conductrice, ou en cas de phénomène de lyonisation rendant inactif l’X sain.
Un avis systématique auprès d'un centre spécialisé
Les personnes suspectes d’hémophilie doivent être adressées à un centre spécialisé, qui finalise le diagnostic, met en place le traitement et assure le suivi du patient dans un environnement multidisciplinaire (pédiatres, hématologues, infirmières, kinésithérapeutes, biologistes spécialisés, psychologues, pharmaciens spécialisés, psychomotriciens…).
Les patients doivent avoir sur eux une carte d’urgence sur laquelle figurent les coordonnées du médecin et du centre qui assure le suivi ainsi que le traitement d’urgence. Tout praticien amené à prendre en charge un patient hémophile doit, de façon systématique, contacter le centre spécialisé (joignable 24 h/24) pour avis avant tout geste invasif.
Le Centre de référence de l’hémophilie et autres déficits constitutionnels en protéines de la coagulation (CRH) est intégré, avec le Centre de référence de la maladie de Willebrand (CRMW) et celui des pathologies plaquettaires constitutionnelles (CRPP), à la filière de santé maladies rares MHEMO (Maladies hémorragiques constitutionnelles). La filière MHEMO a pour objectif de regrouper toutes les prises en charge des pathologies ayant un syndrome hémorragique de gravité variable pouvant survenir dans un contexte familial.
Les évolutions thérapeutiques
Les patients atteints d’hémophilie peuvent bénéficier :
- de traitements non spécifiques (tels que l’acide tranexamique et les hémostatiques locaux) ;
- de traitements spécifiques qui peuvent être indiqués :
- en cas d’épisode hémorragique,
- en prévention du risque hémorragique avant un geste invasif,
- ou enfin, dans un cadre prophylactique chez les patients ayant des épisodes hémorragiques spontanés impactant la qualité de vie et le pronostic fonctionnel (dégradation articulaire secondaire aux hémarthroses) ou vital.
L’arrivée des premiers concentrés de facteur VIII et IX à la fin des années 1960 a révolutionné la prise en charge de ces formes sévères et a permis d’améliorer significativement l’espérance de vie des hémophiles ayant une forme grave qui ne dépassait pas l’adolescence, au prix d’injections intraveineuses contraignantes (pouvant atteindre trois injections par semaine).
Ces dernières années ont été marquées par le développement de nouveaux traitements permettant de simplifier la prise en charge et d’améliorer son efficacité. Il s’agit :
- d’une part de molécules recombinantes à demi-vie prolongée, autorisant un espacement des injections IV ou permettant, en l’absence d’espacement des injections, d’augmenter l’efficacité du traitement prophylactique.
- d'autre part de traitements autres que des facteurs de la coagulation, qui sont administrés par voie sous-cutanée :
- anticorps monoclonaux mimant l’activité du facteur VIII,
- et traitements régulateurs modifiant l’équilibre de l’hémostase en agissant sur les inhibiteurs physiologiques de la coagulation.
- Et enfin, de la thérapie génique, qui a reçu une autorisation de mise sur le marché des autorités en Europe et aux États-Unis. Cette approche, qui vise à induire la synthèse hépatique de facteur VIII ou de facteur IX, permet, après une injection unique du transgène transporté par un vecteur viral adénovirus associé, d’obtenir des taux de facteur VIII ou de facteur IX circulant permettant de passer d’une hémophilie sévère à une hémophile modérée, voire mineure.
Selon les données des études cliniques, ces taux se maintiennent à dix ans chez 80 % des patients ayant une hémophilie B sévère (taux de facteur IX initial de moins de 1 %), un peu moins en cas d’hémophilie A. La réponse au traitement est très variable, sans facteur prédictif de réponse connu à ce jour, et peut aller jusqu’à la normalisation des taux chez certains patients. L’impact sur la qualité de vie et le pronostic est majeur. À suivre…
D’après un entretien avec le Pr Yesim Dargaud, coordinatrice du Centre de référence de l’hémophilie et autres déficits en protéines de la coagulation (CRH), CHU, Lyon.
Centre de référence hémophilie et autres déficits constitutionnels en protéines de la coagulation.
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