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Un antibiotique contre l’endométriose : vraiment ?

Que penser de l’étude récente, fortement médiatisée, qui suggère qu’un traitement antibiotique pourrait soulager les femmes qui souffrent d’endométriose ?

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Le rôle du microbiote dans l'endométriose reste à définir.

Le rôle du microbiote dans l'endométriose reste à définir.

Résumé

L’endométriose a récemment eu les honneurs de la presse grand public à la suite d’une étude qui a été interprétée comme démontrant que cette maladie avait des causes infectieuses et qu’un traitement antibiotique pourrait contribuer à la soulager. Présentée comme « une hypothèse jamais envisagée à ce jour », la piste infectieuse est pourtant évoquée depuis au moins quinze ans, sans conséquence thérapeutique pour l’instant.

Ces données récentes suggèrent qu’une bactérie de notre microbiote, Fusobacterium nucleatum, pourrait, en perturbant le système immunitaire inné, contribuer à l’apparition et à la multiplication de lésions d’endométriose, via une cascade de cytokines et de facteurs de croissance. Chez la souris, un traitement antibiotique visant à éradiquer cette bactérie a réduit la taille de ces lésions, sans les supprimer.

Cette étude s’inscrit dans un ensemble de travaux qui pointent vers un rôle perturbateur de diverses bactéries du microbiote sur les cellules immunitaires chargées d’éliminer les éventuels fragments d’endomètre échappés de l’utérus par les trompes de Fallope. Néanmoins, la part de cette perturbation dans la genèse de l’endométriose n’a pas été évaluée et, à ce jour, il n’existe aucune preuve qu’un traitement antibiotique puisse guérir (ou prévenir) l’endométriose. Un essai clinique est en cours pour évaluer s’il peut atténuer les symptômes.

Récemment, les résultats d’une étude japonaise [1] ont eu les honneurs d’un grand quotidien du soir [2]. Selon elle, l’endométriose pourrait en partie avoir une origine infectieuse et un traitement antibiotique pourrait soulager, voire guérir, les femmes qui souffrent de cette pathologie invalidante. Mais, au-delà de cette annonce, que peut-on conclure après avoir analysé les données et creusé le sujet ?

Au préalable, il convient de poser le contexte dans lequel cette étude se situe. Pourquoi des équipes scientifiques explorent-elles actuellement le rôle de certaines bactéries dans la pathogenèse de l’endométriose, et en particulier les bactéries issues de nos microbiotes ? Quels sont les liens entre celles-ci, notre système immunitaire, l’état inflammatoire propre à cette maladie et l’évolution des lésions ?

Aujourd’hui, la cause considérée comme la plus probable est celle dite « des menstruations rétrogrades » où, pendant les règles, des fragments de la muqueuse utérine passent dans la cavité abdominale par les trompes de Fallope et se fixent sur le péritoine. Mais cette hypothèse ne propose pas d’explication au fait que, si ce flux rétrograde a été observé chez de nombreuses femmes, seules certaines d’entre elles développent une endométriose par la suite.

La piste d’un dérèglement immunitaire local

De nombreux travaux semblent indiquer que la persistance et la croissance de fragments d’endomètre sur le péritoine sont en partie liées à un phénomène inflammatoire chronique en lien avec un dérèglement immunitaire local. Lors d’échappement de fragments de l’endomètre dans la cavité péritonéale, l’immunité innée s’active pour éliminer ses fragments, via l’action des macrophages. Chez les femmes qui vont développer une endométriose, cette réaction immunitaire pourrait être perturbée par divers facteurs empêchant l’élimination des fragments, mais favorisant également leur implantation (adhésion au péritoine et angiogenèse) et leur croissance (par exemple, sous l’action de facteurs de croissance issus des macrophages et/ou des fibroblastes locaux).

Concernant les éléments perturbateurs suspectés, des études mettent en avant le rôle de certaines bactéries, en particulier celles qui composent les microbiotes génital et intestinal. Selon cette hypothèse, ces bactéries joueraient un rôle dans l’implantation et la persistance des lésions d’endométriose, soit de manière temporaire (elles seraient ensuite éliminées, laissant une inflammation chronique dans leur sillage, c’est l’hypothèse dite de « l’inflammation stérile » [3]), soit en persistant dans les lésions (inflammation infectieuse classique). Dans les deux cas, ces bactéries seraient essentielles à l’apparition de l’état inflammatoire chronique (des lésions, du péritoine, voire de l’intestin) qui caractérise l’endométriose (pour une revue complète, voir Jiang et al. [4]).

L’étude de Ayako Muraoka et al. [1] qui nous intéresse s’inscrit dans ce contexte de recherche d’un facteur infectieux favorisant un dérèglement de l’immunité innée et l’installation de lésions inflammatoires. Elle s'est concentrée sur un facteur infectieux issu du microbiote, car il est désormais acquis que ce dernier, en particulier au niveau intestinal, est capable de moduler la réponse immunitaire locale.

Endométriose et microbiote génital

Le microbiote vaginal est connu depuis longtemps et il est dominé par la présence de lactobacilles. Cependant, depuis quelques années, un microbiote utérin a été identifié y compris chez les femmes en bonne santé (5, 6, 7, 8). Parmi les genres le plus souvent identifiés dans l’utérus, on peut citer Gardnerella, Escherichia, Pseudomonas, Shigella, Staphylococcus, Streptococcus, Lactobacillus, et aussi Fusobacterium, la bactérie qui est au centre de la récente étude japonaise. Mais les concentrations bactériennes intra-utérines sont considérablement plus faibles que celles observées dans le vagin.

Des équipes ont cherché à lier l’endométriose à des variations de cette flore commensale, mais elles ont obtenu des résultats contradictoires [5, 6] : par exemple, certaines études ont trouvé, dans l’utérus des femmes souffrant d’endométriose, davantage de streptocoques, de staphylocoques et de moraxelles, mais moins de lactobacilles, alors que d’autres ont identifié plus de Pseudomonas, Acinetobacter, Vagococcus, Erysipelothrix et Sphingobium.

À noter, les lésions d’endométriose semblent, elles aussi, avoir une flore commensale différente de celle de l’utérus de la même personne au même moment : davantage de lactobacilles, Enterococcus, Gardnerella, Pseudomonas, Alishewanella, Ureaplasma et Aerococcus [5, 6], mais aussi de Shigella et de mycoplasmes [9, 10]. Ces bactéries sont également présentes dans le liquide péritonéal des femmes atteintes d’endométriose [7, 8]. En 2008, l’hypothèse du rôle de Shigella dans l’apparition de l’endométriose avait été évoquée, sans suite [11].

Endométriose et microbiote intestinal

Le microbiote génital n’est pas le seul à être modifié lors d’endométriose. C’est le cas également du microbiote intestinal qui semble contenir plus de Shigella et d’E.coli que celui des femmes ne souffrant pas de cette pathologie [9, 10].

Sur ce sujet, une étude rapporte un effet intrigant du microbiote intestinal [12]. Lorsque des souris reçoivent des cellules d’endomètre en injection intrapéritonéale (et en suffisamment grande quantité), elles développent des lésions d’endométriose, ce qui constitue le modèle animal principal pour cette maladie. Curieusement, cette endométriose « induite » modifie leur microbiote intestinal, en y augmentant le rapport Firmicutes/ Bacteroidetes [9].

Lorsqu’on administre à ces souris du métronidazole, les lésions d’endométriose diminuent de taille et l’inflammation locale décroît et se stabilise (mais ne disparaît pas). Mais si ces animaux ainsi traités sont plus tard inoculés avec le microbiote intestinal d’une souris « endométriosique » non traitée par le métronidazole, les lésions et l’inflammation flambent à nouveau. Cette observation, si elle s’avère robuste, soulève des questions importantes sur le rôle de certaines bactéries commensales dans le développement, et aussi la persistance de l’endométriose.

Fusobacterium, une bactérie commensale riche en lipopolysaccharides

Pour finir ce tour d’horizon destiné à mieux cerner la publication récente, intéressons-nous à la bactérie mise en avant dans cette étude : Fusobacterium nucleatum.

Les fusobactéries font partie des microbiotes intestinal, génital et buccal (plaque dentaire). L’une d’entre elles, Fusobacterium necrophorum, est l’espèce la plus virulente [13] : elle peut causer des pharyngo-amygdalites graves chez les enfants et les jeunes adultes. Elle est couramment isolée dans des abcès péri‑amygdaliens et les parodontites. Elle est également associée au syndrome de Lemierre, une thrombophlébite septique aiguë de la veine jugulaire, souvent compliquée d’une septicémie et d’abcès métastatiques dans les poumons, le foie, les articulations et les cavités pleurales.

Fusobacterium nucleatum est moins virulent, mais il est suspecté de jouer un rôle dans l’apparition de cancers colorectaux. Cette bactérie a été mise en évidence non seulement dans la tumeur primitive, mais également dans les métastases de ces cancers. Elle est sensible au métronidazole et ce traitement a montré, sur des modèles animaux, une capacité à réduire la croissance de tumeurs colorectales [14]. Elle est aussi responsable de certaines complications de la grossesse.

Les fusobactéries sont connues pour la richesse de leurs parois en lipopolysaccharides (LPS) [15] qui sont de puissants inducteurs de la réponse immunitaire innée.

Dans ce contexte, que dit l’étude japonaise ?

Cet essai [1] est centré sur Fusobacterium nucleatum (qui n’est pourtant pas la bactérie la plus fréquemment observée dans le microbiote utérin), car ce dernier est :

  • sensible au métronidazole (utilisé dans l’étude présentée ci-dessus [12]) ;
  • connu comme un inducteur de plusieurs cytokines pro-inflammatoires comme les interleukines 6 et 8 et le Tumor Necrosis Factor (TNF) ;
  • riche en LPS capables de stimuler les macrophages M2, suspectés d’être impliqués dans le dérèglement immunitaire lié à l’installation de l’endométriose.

Dans cette étude, Fusobacterium nucleatum a été identifié de manière significativement plus fréquente dans la flore vaginale de femmes souffrant d’endométriose que dans celle de patientes indemnes (64 % versus 10 %, p=0,023). L'examen histologique a confirmé que Fusobacterium était fortement exprimé dans l'utérus des patientes atteintes de cette pathologie.

Pour tenter de comprendre le mode d’action de Fusobacterium, les auteurs se sont concentrés sur une cytokine en particulier, le Transforming Growth Factor β1 (TGF-β1) qui, dans le contexte d’une inflammation, transforme les fibroblastes quiescents en fibroblastes activés. Ceux-ci produisent alors de la transgéline, une substance qui, in vitro, favorise la prolifération, la migration et l'adhésion de cellules de l’endomètre aux cellules mésothéliales du péritoine. Le travail de Ayako Muraoka et al. montre que la production de transgéline par les fibroblastes est plus intense en cas d'endométriose.

In vivo, la présence de Fusobacterium (même tué par la chaleur) stimule la production de TGF-β1 par des macrophages M2, très probablement en réaction aux LPS de cette bactérie. Ainsi, les auteurs proposent le mode d’action suivant : Fusobacterium facilite l’installation et la croissance des lésions d’endométriose via la production de TGF-β1 par les macrophages M2, celle-ci stimulant à son tour la production de transgéline par les fibroblastes, elle-même favorisant l’adhésion et la prolifération des cellules issues de l’endomètre.

Pour tester cette hypothèse, ils ont évalué les effets d’une inoculation de Fusobacterium nucleatum chez des souris « endométriosées » par injection intrapéritonéale de cellules de l’endomètre. Cela s’est traduit par une augmentation du nombre et du poids des lésions d’endométriose (par comparaison avec des souris témoins inoculées avec Lactobacillus iners ou E. coli). Un traitement par métronidazole au moment de l’inoculation semble prévenir cette aggravation des lésions. Administré 3 semaines après l’injection de Fusobacterium (donc lorsque les lésions ont grossi) et pendant 21 jours, le métronidazole a réduit le poids des lésions à sa valeur pré-inoculation (mais ne les a pas fait disparaître).

Que penser de ces résultats ?

L’article de l’équipe japonaise [1] est dense et rapporte en fait les résultats de plusieurs études : bactériologique sur la flore utérine, immunohistochimique sur l’expression des cytokines in vivo et in vitro, histologique après inoculation de souris, etc. Mais ce travail, s’il est considérable, n’est pas sans défaut, le principal étant que, dans les travaux de Chadchan et al. publiés en 2019 [12], le métronidazole a réduit la taille des lésions, dans le même modèle animal, sans qu’il y ait eu besoin d’inoculer les souris avec Fusobacterium. Par ailleurs, aucune autre étude portant sur le microbiote de l’utérus ou celui des lésions d’endométriose ne met en avant Fusobacterium comme particulièrement présent, voire n’ont pas identifié cette bactérie lors d’endométriose.

Il se pourrait donc que les effets observés par Ayako Muraoka et al. sur la cascade TGF-β1/transgéline ne soient pas spécifiquement dus à Fusobacterium, mais à d’autres bactéries commensales capables, par le biais de leur LPS ou d’autres substances immunostimulantes, de perturber le fonctionnement des macrophages M2 et d’induire la sécrétion de TGF-β1. De fait, un effet similaire à celui constaté avec Fusobacterium peut être obtenu en traitant des souris « endométriosées » par le BCG [16], dont certains constituants (acide micolique, arabinogalactanes, peptidoglycanes) se lient aux mêmes récepteurs immunitaires (TLR-4) que les LPS.

Des études qui ouvrent la voie à la recherche clinique

Néanmoins, que Fusobacterium soit nécessaire ou pas,  il reste que, dans deux études distinctes réalisées par deux équipes différentes, le métronidazole a été capable de réduire la taille des lésions et l’inflammation dans le même modèle animal. À noter que, dans l'essai de Chadchan et al. [12], la vancomycine, l’ampicilline et, à un degré moindre, la néomycine ont également diminué la taille des lésions. De plus, plusieurs essais cliniques (cités dans [4]) ont montré l’intérêt des antibiotiques (avec ou sans dexaméthasone) dans le traitement de l’infertilité chez les femmes souffrant d’endométriose chronique.

Pour tenter de reproduire les résultats de l’étude japonaise chez la femme, un essai clinique spécifique est actuellement mené dans le département d'obstétrique et de gynécologie de l'hôpital universitaire de Nagoya pour évaluer l'efficacité du métronidazole chez des patientes atteintes d'endométriose.

Il y a donc encore beaucoup de questions autour du rôle des bactéries du microbiote dans la pathogenèse, voire le maintien, de l’endométriose. Cette piste reste intéressante et diverses équipes étudient, outre les traitements antibiotiques, les effets d’une modification du microbiote sur l’évolution de cette pathologie (par exemple, en administrant Lactobacillus gasseri OLL2809 [17]). Par ailleurs, d’autres travaux portent sur une sorte de « désensibilisation » des macrophages vis-à-vis des LPS qui, in vitro, réduit les signes d’inflammation de cellules endométriosiques [16].

Conclusion

L’étude de Ayako Muraoka et al. s’inscrit dans un ensemble de travaux qui pointent vers la possibilité que l’endométriose soit favorisée par l’action sur l’immunité innée de certaines bactéries du microbiote, soit au moment de l’implantation des premières lésions, soit tout au long de la maladie. Elle apporte également de l’eau au moulin de l’hypothèse d’un dérèglement immunitaire pro-inflammatoire qui perturberait l’élimination « naturelle » des fragments d’endomètre issus de menstruations rétrogrades.

Mais de nombreuses questions restent sans réponse quant à l’utilisation des antibiotiques dans le contexte de l’endométriose. Il sera intéressant de voir s'ils ont, et le métronidazole en particulier, une action chez la femme similaire à celle observée chez les souris. Une éventuelle diminution de la taille des lésions apportera-t-elle un bénéfice clinique supplémentaire par rapport à celui des traitements hormonaux actuels ? C’est possible, mais il est cependant hautement improbable, au vu des connaissances actuelles, qu’un traitement antibiotique puisse guérir l’endométriose.

 

Sources

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