Deux fois plus de décès par maladie respiratoire à l'âge adulte.
Une étude prospective a été menée au Royaume-Uni pour savoir si des infections respiratoires basses de la petite enfance (avant l’âge de 2 ans) pouvaient être en lien avec des décès prématurés pour cause respiratoire à l’âge adulte. Ce travail a porté sur une très longue période : 5 362 jeunes participants ont été sélectionnés en 1946 parmi lesquels 3 589, ont été inclus dans les analyses de survie à partir de 1972 (âge de 26 ans ; durée de suivi maximale de 48 ans).
Après prise en compte des facteurs de confusion, une infection des voies respiratoires inférieures (IVRI) pendant la petite enfance était associée à un risque presque deux fois plus élevé de décès prématuré par maladie respiratoire à l’âge adulte.
L’IVRI expliquerait un cinquième (20,4 %) des morts de cause respiratoire entre 26 et 73 ans (alors que le tabagisme serait en cause dans 57,7 %), et aurait induit 179 188 décès en Angleterre et au Pays de Galles entre 1972 et 2019.
Le risque de mortalité était d’autant plus élevé que l’IVRI était survenue avant 1 an, avait récidivé ou nécessité un traitement hospitalier témoignant de dommages cumulatifs causés par des infections multiples ou une infection plus grave.
Les infections des voies respiratoires inférieures (IVRI) dans la petite enfance influencent l’état pulmonaire tout au long de la vie, mais y a-t-il un lien avec une mortalité prématurée par maladie respiratoire à l’âge adulte ?
Une étude de cohorte prospective
James Peter Allinson et al. [1] se sont penchés sur la question en s’appuyant sur les données recueillies prospectivement par la Medical Research Council National Survey of Health and Development (MRCNSHD) menée en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles. Ils ont ainsi pu identifier une cohorte observationnelle, longitudinale, représentative à l’échelle nationale des enfants nés en mars 1946.
Leur objectif était d’évaluer l’association entre les infections des voies respiratoires inférieures ou IVRI (oui versus non) des enfants de moins de 2 ans et les décès « prématurés », survenus entre 26 et 73 ans par maladie respiratoire.
L’existence d’une IVRI de la petite enfance était documentée par la réponse des parents (ou tuteurs), interrogés en 1948 par des visiteurs sanitaires, à la question : « Ce bébé a-t-il déjà eu une infection des voies respiratoires inférieures (bronchite, bronchopneumonie ou pneumonie) avant 2 ans ? »
La cause (respiratoire, circulatoire, cancer, autres) et la date du décès avant 73 ans ont été obtenues à partir du registre central du Service national de santé. La mortalité au sein de la cohorte étudiée a alors été comparée avec les données détenues par l’Office for National Statistics (ONS) documentant tous les décès dont ceux dus à des maladies respiratoires chez les sujets nés en 1946 au cours de la période de suivi.
Ont été également étudiés :
- l’association entre IVRI de la petite enfance et mortalité toutes causes confondues ;
- le rôle du tabagisme chez les adultes, de la fréquence des IVRI dans la petite enfance (entre 1 et ≥ 3 infections), et de l’âge au moment de l’infection initiale (< 1 an ou 1 à 2 ans).
Les Hazard Ratios (HR) et le risque attribuable à l’IVRI de la petite enfance ont été estimés à l’aide de modèles de risques proportionnels de Cox, ajustés en fonction des covariables suivantes :
- situation socioéconomique de l’enfant (profession du père manuelle ou non manuelle) ;
- surpeuplement du logement en 1948 (≥ 1 personne par pièce) ;
- exposition à la pollution sur la base de la consommation de charbon domestique par la famille de l’enfant entre sa naissance et 2 ans (élevée ou faible) ;
- poids à la naissance ;
- tabagisme à l’âge de 20 à 25 ans.
La fraction de risque attribuable à la population et l’excès de décès prématurés d’adultes dus à des maladies respiratoires en Angleterre et au Pays de Galles entre 1972 et 2019 ont été estimés en utilisant la formule de Miettinen, en supposant que l’association avec l’IVRI était causale, que l’élimination de l’infection ne changerait pas les autres facteurs de risque et que les données étaient représentatives à l’échelle nationale.
Deux fois plus de décès par maladie respiratoire à l’âge adulte
Sur les 5 362 sujets identifiés en mars 1946, 4 032 (75 %) étaient toujours dans l’étude à l’âge de 20 à 25 ans (les causes de retrait étaient : décès [5 %], émigration [7 %], refus de participation ou absence de traçabilité [12 %]). Parmi ces derniers, 443 ont été exclus en raison de données incomplètes sur la petite enfance ou la mortalité.
Les résultats portent donc sur 3 589 participants inclus dans les analyses de survie à partir de 1972, avec une durée maximale de suivi de 48 ans. Leur profil était le suivant : sexe masculin (51 %) ; première IVRI avant l’âge de 1 an (71 %) ; métier manuel du père (58 %) ; surpeuplement du logement (45 %) ; fumeur à l’âge de 20 à 25 ans (51 %).
À la fin de l’étude, en 2019, 674 (19 %) étaient décédés, dont 52 (8 %) d’une maladie respiratoire (bronchopneumopathie obstructive [BPCO] : 60 %).
Une IVRI pendant la petite enfance était associée à un risque plus élevé de décès par maladie respiratoire avant 73 ans (HR 2,15 [1,24-3,72]). Ce résultat persistait après ajustement sur la profession du père, le surpeuplement du foyer, le sexe, le poids à la naissance et le tabagisme à 26 ans, (HR 1,93 [1,10-3,37]).
Le risque était plus élevé lorsque le nombre d’infections était ≥ 3 (HR 2,87 [1,18-7,02]), ou lorsque l’IVRI était survenue avant l’âge d’un an (2,12, [1,16-3,88]) ou avait nécessité une hospitalisation (4,35, [1,31-14,5]). En revanche, il n’y avait pas de lien entre IVRI et mortalité globale, circulatoire ou par cancer.
Le risque attribuable à l’IVRI de mort prématurée d’adultes en Angleterre et au Pays de Galles, entre 1972 et 2019, a été estimé à 20,4 % ([3,8-29,8]), ce qui correspond à 179 188 décès excédentaires.
L’association entre tabagisme et mortalité toutes causes confondues a été confirmée, mais d’ampleur la plus forte pour la mortalité d’origine respiratoire (HR 3,81 [1,96-7,4]), soit un risque attribuable de 57,7 % ([37,3-68]) correspondant à un surplus de décès liés au tabagisme chez l’adulte estimé à 507 223.
Des arguments pour limiter les infections dans l’enfance
Il s’agit de la première étude de cohorte prospective ayant quantifié la relation entre la survenue d’une IVRI de la petite enfance et les décès par maladie respiratoire chez l’adulte.
Les forces de cette étude sont :
- sa méthodologie (prospective, suivi sur une très longue durée, représentativité à l’échelle nationale) ;
- le caractère robuste de l’association après ajustement sur les circonstances sociales de l’enfance (situation socioéconomique, surpeuplement du logement et exposition à la pollution) ou le tabagisme à l’âge adulte ;
- l’identification de l’IVRI proche du moment de sa survenue dans l’enfance et non à partir des souvenirs de sujets plus âgés.
Si l’objectif de réduction de la mortalité respiratoire prématurée par la prévention du tabagisme reste déterminant, ces résultats incitent à limiter le plus tôt possible dans l’enfance les infections des voies respiratoires inférieures, leur récidive et leur gravité.
Cette prévention repose sur la réduction des contaminations par les gestes barrières tels que ceux appliqués pendant l’épidémie de Covid-19, mais aussi, s’ils existent, par des médicaments.
Aujourd’hui, on dispose de vaccins contre des bactéries, pneumocoque et Haemophilus influenzae, recommandés dès les premiers mois de vie, ainsi que du palivizumab (SYNAGIS 100 mg/ml sol inj) contre le virus respiratoire syncytial (VRS). Cet anticorps monoclonal humanisé de type IgG1K, a une autorisation de mise sur le marché (AMM) depuis plusieurs années, pour la prévention des infections respiratoires basses graves dues au VRS nécessitant une hospitalisation. Il est réservé (et pris en charge par la solidarité nationale (avis de la Commission de la transparence, HAS, novembre 2006 et décembre 2007) aux nourrissons à risque élevé d'infection à VRS répondant aux critères suivants (donc loin des nourrissons en bonne santé) : nourrissons âgés de moins de 6 mois au début de la période épidémique, nés à un terme ≤ 32 semaines ayant eu une oxygéno-dépendance pendant plus de 28 jours en période néonatale ; enfants âgés de moins de 2 ans au début de la période épidémique, nés à un terme ≤ 32 semaines ayant eu une oxygéno-dépendance pendant plus de 28 jours en période néonatale, et ayant nécessité un traitement pour dysplasie bronchopulmonaire au cours des 6 derniers mois ; enfants âgés de moins de 2 ans atteints d'une cardiopathie congénitale avec retentissement hémodynamique significatif.
L’arrivée attendue d’autres traitements préventifs contre le VRS devrait aussi contribuer à limiter les conséquences de la bronchiolite liée à ce virus. Parmi ceux dont le développement est le plus avancé : le nirsevimab, destiné aux jeunes enfants et le VRSpreF, vaccin maternel permettant aux nourrissons de bénéficier d'une protection via l'immunisation de la mère.
- Le nirsevimab (BEYFORTUS), anticorps monoclonal, administré en une seule injection, a obtenu le feu vert de l’Agence européenne des médicaments dans l’immunisation passive de l’enfant contre le VRS [2], mais pas encore de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour la France (EMA/776857/2022 EMEA/H/C/005304) 9,7 %).
- Le « vaccin maternel » VRSpreF [3], administré en dose unique à la fin du 2e trimestre de grossesse) permettrait à la mère de transmettre in utero ses anticorps à son nouveau-né et ainsi de le protéger dès la naissance jusqu'à l'âge de 6 mois.
[1] Allinson JP et al. Early childhood lower respiratory tract infection and premature adult death from respiratory disease in Great Britain: a national birth cohort study. Lancet, 2023. doi.org/10.1016/S0140-6736(23)00131-9
[3] Kampmann B et al. Bivalent Prefusion F Vaccine in Pregancy to Prevent RSV Ilness in Infants. N Engl J Med., 2023; 388: 1451-1464. doi: 10.1056/NEJMoa2216480
SUR VIDAL.FR
VIDAL CAMPUS. e-formation. Bronchiolite et infections à VRS. Date de mise à jour : 18-07-2022.
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