En excès, la réglisse peut être toxique pour toutes les personnes, même en bonne santé.
Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), la consommation excessive et durable d’aliments contenant de la réglisse est responsable de quelques cas d’intoxication grave nécessitant des soins d’urgence chaque année en France. Mais derrière ces cas, l’Agence soupçonne l’existence de nombreux autres moins sévères passant sous les radars des centres antipoison.
Si la toxicité de la réglisse est bien connue, avec ses symptômes liés à l’hypertension artérielle et l’hypokaliémie, il est néanmoins difficile pour les autorités sanitaires de donner des recommandations précises en termes de dose maximale à respecter. La grande hétérogénéité des aliments contenant de la réglisse, associée à une sensibilité individuelle éminemment variable, rendent difficile la production de conseils faciles à suivre.
De plus, l’étude des cas graves signalés ces dernières années montre clairement que l’excès de réglisse peut provoquer des symptômes d’intoxication chez des personnes sans hypertension artérielle préexistante ou ne prenant pas de diurétiques hypokaliémiants. Ainsi, selon l’Anses, les mises en garde actuelles inscrites sur les emballages des produits contenant de la réglisse, relatives aux personnes souffrant d’hypertension artérielle, devraient être élargies à tous les consommateurs, même sans risque particulier identifié.
Les professionnels de santé sont, pour la plupart, informés des effets indésirables liés à une consommation excessive de réglisse (Glycyrrhiza glabra), ou d’aliments en contenant. Cet excès, en particulier s’il est chronique, peut être à l’origine d’un pseudo-hyperaldostéronisme qui se traduit par une hypertension artérielle et une hypokaliémie.
Mais qu’en est-il dans la réalité ? Combien d’accidents sont-ils signalés chaque année ? Certaines personnes sont-elles davantage à risque ? À partir de quelle quantité de réglisse cette toxicité est-elle observée ?
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), par le biais de son groupe de travail « Vigilance des toxines naturelles », a récemment publié une analyse de dix années de signalements d’intoxications graves aux centres antipoison (CAP) et au dispositif de Nutrivigilance [1]. Elle précise ainsi la réalité de la toxicité de la réglisse et communique des informations importantes pour la prévenir.
La réglisse, présente dans de nombreux produits alimentaires… et d’autres encore
Interrogés sur les aliments qui contiennent de la réglisse, la plupart d’entre nous citeront spontanément les confiseries en contenant et les boissons anisées, alcoolisées ou non (pastis et pastis sans alcool, Antésite, tisanes « digestives »). Mais la réglisse, du fait du fort pouvoir sucrant de la glycyrrhizine qu’elle contient, se cache également dans d’autres aliments.
Elle est utilisée dans de nombreux produits sucrés (snacks, produits de boulangerie, glaces et sorbets) pour renforcer leur pouvoir sucrant, mais également dans des produits salés pour atténuer la salinité, ainsi que dans ceux à base de cacao (comme exhausteur de goût permettant de diminuer la quantité de cacao utilisée). Dans la bière, la réglisse est employée comme agent moussant, pour atténuer l’amertume, ou pour aromatiser et colorer les bières brunes. Enfin, elle se trouve également dans certains compléments alimentaires, mais aussi comme aromatisant dans des dentifrices ou des médicaments, ou comme agent de goût dans le tabac.
Comment la réglisse agit-elle sur la pression artérielle ?
Les saponines triterpéniques sont les principaux constituants de la réglisse et sont responsables de son goût sucré. Parmi ces saponines, la glycyrrhizine est le composant le plus abondant de la racine de réglisse.
Après ingestion, la glycyrrhizine est hydrolysée en acide 3β-monoglucuronyl-18β-glycyrrhétinique (A3MG) par des β-glucuronidases du microbiote intestinal. L’A3MG est rapidement absorbé au niveau de l’intestin et induit un pseudo-hyperaldostéronisme par inhibition dose-dépendante de l’enzyme qui catalyse la transformation des 11-cortico-stéroïdes (cortisol et corticostérone) en 11-oxo-stéroïdes (cortisone et 11-déhydrocorticostérone).
La concentration de cortisol sanguin augmente et conduit, au niveau des reins, à un pseudo-hyperaldostéronisme : élimination rénale de potassium, rétention hydrosodée, élévation de la pression artérielle, freination du système rénine-angiotensine-aldostérone. De plus, dans les cellules musculaires lisses vasculaires, l'activation des récepteurs des minéralocorticoïdes augmente la résistance vasculaire systémique aggravant ainsi l’élévation de la pression artérielle.
En raison d’un cycle entéro-hépatique dans le métabolisme de l’A3MG, la clairance plasmatique nécessite plusieurs jours pour être complète. Après arrêt, l’inhibition de l’activité de l’enzyme de catalyse des 11-corticostéroïdes persiste environ deux semaines et la normalisation de l'axe rénine-angiotensine-aldostérone nécessite deux à six mois ! À noter, l’activité de l’enzyme de catalyse diminue avec l’âge et le risque de pseudo-hyperaldostéronisme lié à la réglisse augmente donc avec l’âge, sans différence de profil de toxicité entre les hommes et les femmes.
À partir de quelle quantité la réglisse peut-elle être toxique ?
La dose journalière admissible de réglisse ou de glycyrrhizine est difficile à déterminer car :
- la concentration des aliments en réglisse varie fortement (cf. Tableau [1]) ;
- la concentration en glycyrrhizine des racines de réglisse est très variable ;
- la biodisponibilité orale de la glycyrrhizine varie selon la nature du microbiote intestinal de chaque personne et l’efficacité du cycle-entérohépatique d’élimination ;
- il existe une forte variation de sensibilité individuelle à l’A3MG.
Néanmoins, sur la base de travaux menés chez les rongeurs, la Commission européenne, comme le Comité d’experts Food and Agriculture Organization/Organisation mondiale de la santé, ont conclu que, pour une ingestion régulière, la limite supérieure de 100 mg/j offre un niveau de protection suffisant pour la majorité de la population. Néanmoins, certains auteurs ont suggéré qu’une ingestion journalière de 10 mg de glycyrrhizine serait préférable pour la plupart des adultes en bonne santé [2]. L’Anses, dans ses recommandations [3], penche plutôt pour cette valeur seuil plus stricte que celle des autorités internationales.
À noter, du fait de la grande variation entre individus en termes de biodisponibilité et de métabolisme, certains cas d’intoxication ont été constatés avec des doses restant dans les valeurs conseillées.
Quelle quantité de glycyrrhizine dans les confiseries, les boissons et les aliments ?
Dans l’Union européenne, la mention « contient de la réglisse » doit être ajoutée pour les confiseries ou boissons contenant de la glycyrrhizine à une concentration supérieure à 100 mg/kg ou 10 mg/L, sauf si le terme « réglisse » figure déjà dans la liste des ingrédients ou dans la dénomination de la denrée alimentaire. De plus, la mention « contient de la réglisse / les personnes souffrant d’hypertension doivent éviter toute consommation excessive » doit être ajoutée pour les confiseries à des concentrations supérieures à 4 mg/g et pour les boissons à des concentrations supérieures à 50 mg/L (ou 300 mg/L pour les boissons contenant plus de 1,2 % en volume d’alcool).
Pour les compléments alimentaires en France, la portion journalière recommandée de produits à base de réglisse ne doit pas conduire à une ingestion de glycyrrhizine supérieure à 100 mg et l'étiquetage doit comporter un avertissement « ne pas utiliser pendant plus de six semaines sans avis médical » et un autre déconseillant l'emploi chez les enfants.
Produit |
Concentration en glycyrrhizine |
Quantité maximale théorique journalière pour une dose de glycyrrhizine ingérée < 100 mg/j |
Antésite avec réglisse |
23 000 mg/L |
4,3 mL (5,7 doses de 15 gouttes) |
Pastis sans alcool |
57-1 270 mg/L |
3,9 - 57,7 doses de 2 cL |
Sirop de réglisse |
411 mg/L |
12,2 doses de 2 cL |
Pastis avec alcool |
70-200 mg/L |
25 - 71,5 doses de 2 cL |
Tisanes |
2-450 mg/L |
1 à 225 tasses |
Confiseries de réglisse pur |
18-28 mg/g |
3,6 - 5,6 g |
Confiseries avec réglisse |
0,29-7,9 mg/g |
12,7 - 344 g |
Dix années de signalements d’intoxications graves
Une revue de la littérature [4], réalisée en 2014, compilant 402 articles scientifiques a montré que la réglisse était responsable de plus de 12 % des effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires végétaux ou de produits traditionnels à base de plantes.
En 2022, l’Anses a conduit une étude rétrospective portant sur les intoxications après consommation d’au moins un aliment contenant de la réglisse, et rapportées aux CAP au cours de la période 2012-2021 [1] : 520 cas d’exposition supposée à la réglisse ont été identifiés. Après relecture de l’intégralité des dossiers, seuls 64 cas ont été inclus (symptomatiques, adultes et pédiatriques, âge médian 55 ans, 53 % d’hommes). Le nombre de cas annuel allait de 3 à 9, sans variation significative au cours de la période. Les intoxications à la réglisse dans le cadre alimentaire représentaient une circonstance très rare (0,008 % des cas symptomatiques rapportés aux CAP, toutes causes confondues).
La consommation était majoritairement chronique (67,2 % des cas) ; considérée comme aiguë dans 18,7 % des cas et subaiguë dans 14,1 % des cas. Un mésusage était rapporté dans la majorité des cas (70,3 %). Les symptômes des toxicités chroniques étaient similaires pour l’ensemble des cas, avec un tableau de pseudo-hyperaldostéronisme dont la gravité semblait corrélée à la quantité de glycyrrhizine ingérée. En cas de toxicité aiguë, de rares cas de réactions d’allure allergique ont été signalés.
Dans 42,2 % des cas, les intoxications étaient particulièrement graves et un décès a été rapporté (un patient consommant du pastis avec alcool et ayant fait un trouble du rythme compliqué d’un arrêt cardiorespiratoire en contexte de cirrhose éthylique, avec hypokaliémie ayant pu favoriser l’arythmie).
Les cas graves ont été observés avec tous les types de produits, à l’exception du sirop de réglisse et des compléments alimentaires, et plus fréquemment avec les boissons (pastis avec ou sans alcool et Antésite). Lorsque l’évolution était précisée (57,8 %), elle était favorable dans la quasi-totalité des cas (91,9 %), souvent après prise en charge hospitalière, et notamment en réanimation. Un seul patient a eu des séquelles, des suites d’un accident vasculaire cérébral compliquant une crise hypertensive.
Parce que le pseudo-hyperaldostéronisme induit par la réglisse est une situation clinique a priori connue des praticiens, et notamment de ceux spécialisés en hypertension artérielle, il est vraisemblable que le signalement à la toxicovigilance ne soit pas fréquemment jugé comme nécessaire. La sous-déclaration des cas dans cette étude a donc très probablement été majeure.
Quels sont les aliments ou boissons les plus fréquemment en cause ?
Dans les 64 cas analysés par l’Anses, les produits consommés étaient :
- des boissons non alcoolisées (pastis sans alcool – 25 %, Antésite avec réglisse – 23,4 %, sirop de réglisse – 1,6 %) ;
- des boissons alcoolisées de type pastis (10,9 %) ;
- des confiseries contenant de la réglisse (12,5 %) ou composées d’extrait de réglisse pur (9,4 %) ;
- des tisanes (12,5 %) ;
- des compléments alimentaires (4,7 %).
Le tableau clinique semblait plus grave avec le pastis sans alcool, notamment pour l’hypertension artérielle et l’hypokaliémie, qui était souvent compliquée de troubles musculaires. Le pastis sans alcool est souvent consommé en contexte de sevrage alcoolique, et la dose journalière est donc probablement plus importante qu’avec le pastis avec alcool, l’ivresse pouvant limiter la dose ingérée de pastis avec alcool.
Des symptômes parfois atypiques
Les deux cas pédiatriques rapportés dans la série (10 et 12 ans) ont été causés par la consommation d’Antésite et ont présenté un tableau atypique :
- un cas de réaction allergique (malaise avec éruption cutanée) dans les 2 heures ayant suivi la consommation de 3 verres fortement dilués ;
- un épisode de myalgies dans les 2 semaines suivant le début d’une consommation répétée.
Par ailleurs, chez les adultes, au-delà du tableau classique du pseudo-hyperaldostéronisme, ont été rapportés :
- des douleurs musculaires, une rhabdomyolyse (dont certains chez des patients prenant une statine) ;
- des réactions allergiques aiguës (urticaire) ;
- des vomissements ;
- des troubles du rythme (fibrillation atriale, extrasystoles ventriculaires, voire arrêt cardiorespiratoire) ;
- des maux de tête et une sécheresse buccale.
Une coexposition à un médicament hypokaliémiant (diurétique thiazidique) a été rapportée dans cinq cas, dont un avec une association de diurétiques hypokaliémiants (hydrochlorothiazide et furosémide).
Les conclusions et les recommandations de l’Anses
Étant donné la présence de réglisse dans de très nombreux produits de consommation courante, l’Anses s’est autosaisie afin d’essayer d’établir une valeur toxique de référence (VTR) de la glycyrrhizine. Ce processus s’annonce complexe en raison des différentes formes commercialisées (réglisse naturelle ou glycyrrhizine, par exemple), de la variabilité de concentration en glycyrrhizine de la réglisse naturelle et de la variabilité individuelle de biodisponibilité et de métabolisme de la glycyrrhizine.
Selon l’Anses [1], à l’issue de cette évaluation et en vue d’une amélioration de l’information des consommateurs, l’étiquetage des produits contenant de la réglisse ou ses dérivés pourrait être modifié comme suit :
- en ajoutant la mention « contient de la réglisse » sur tous les produits, quelle que soit la concentration ;
- en supprimant la mention « les personnes souffrant d’hypertension doivent éviter toute consommation excessive », car il existe un risque d’hypertension artérielle en cas de consommation excessive y compris chez les personnes en bonne santé ;
- en remplaçant cette dernière mention par « une consommation excessive et/ou régulière expose à un risque d’hypertension artérielle et d’autres effets indésirables pouvant être graves, à consommer avec modération ».
Elle précise également que : « En l’état actuel des connaissances, il paraît raisonnable de proposer une consommation quotidienne ne dépassant pas 10 mg/j de glycyrrhizine en cas de consommation chronique, en veillant à ne pas multiplier les sources d’apport par les aliments, les médicaments ou les produits issus du tabac. Enfin, il est conseillé d’éviter de consommer de façon continue des produits contenant de la réglisse. » [3]
[1] Effets indésirables induits par la réglisse consommée dans le cadre alimentaire. Étude des cas enregistrés par les centres antipoison (de janvier 2012 à décembre 2021) - Rapport d’étude de toxicovigilance. Anses, octobre 2022
[2] Størmer FC, Reistad R & Alexander J. Glycyrrhizic acid in liquorice - Evaluation of health hazard. Food Chem Toxicol., 1993; 31: 303-312. doi: 10.1016/0278-6915(93)90080-i
[3] Boissons, bonbons et autres aliments à base de réglisse : à consommer avec modération. Vigil’Anses n° 18, novembre 2022
[4] Di Lorenzo C, Ceschi A, Kupferschmidt H et al. Adverse effects of plant food supplements and botanical preparations: a systematic review with critical evaluation of causality. Br J Clin Pharmacol., 2015; (79)4: 578-92. doi: 10.1111/bcp.12519
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.