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Étude ANRS DOXYVAC : vers une prophylaxie pré/postexposition des IST ?

La vaccination contre les méningocoques et la prise unique de doxycycline après un rapport sexuel non protégé réduisent le risque de syphilis, de gonorrhée et d’infection à Chlamydia.

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Une dose unique de doxycycline après un rapport sexuel réduit le risque de gonorrhée.

Une dose unique de doxycycline après un rapport sexuel réduit le risque de gonorrhée.

Résumé

Après la mise à disposition d’une prophylaxie préexposition contre l’infection par le VIH/Sida (PrEP), il se pourrait que, dans les prochains mois, soient publiées des recommandations destinées à réduire l’incidence des infections sexuellement transmissibles (IST) chez les personnes qui y sont particulièrement exposées, notamment les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH).

En effet, une nouvelle étude vient de confirmer l’intérêt de l’administration postexposition d’une dose de doxycycline associée à une prophylaxie préexposition reposant sur la vaccination contre les méningocoques, pour réduire le risque de syphilis, de gonorrhée et d’infection par Chlamydia.

Si l’intérêt de cette prophylaxie postexposition avait déjà été mis en évidence dans deux études cliniques, celui de la vaccination dans la prévention de la gonorrhée est une nouvelle donnée issue de cet essai. Cette stratégie de prévention s’inscrit dans le cadre d’une prévention globale des IST : PrEP, dépistages répétés du VIH et des IST, vaccination contre les hépatites A et B, vaccination contre la variole, usage du préservatif, etc.

Au cours des dernières années, une augmentation des infections sexuellement transmissibles (IST) a été constatée en France – notamment des infections bactériennes comme la syphilis, les infections à Chlamydia et les infections à gonocoque (gonorrhée) – qui touchent particulièrement les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH).

Dans le même esprit que celui qui anime la prophylaxie préexposition de l’infection par le VIH/sida (PrEP), et à la suite de travaux anciens et d’observations anecdotiques, diverses équipes d’infectiologie se sont penchées sur la possibilité de réduire l’incidence de ces IST via une prophylaxie postexposition (prise de 200 mg de doxycycline dans les 72 heures suivant un rapport sexuel non protégé), récemment enrichie d’une prophylaxie préexposition (vaccination contre les méningocoques).

Les résultats d’une étude de l’Agence nationale de recherche sur le sida, les hépatites et les maladies infectieuses émergentes (ANRS), ANRS 174 DOXYVAC, ont été présentés lors de la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) qui s’est tenue à Seattle en février 2023. Ces données confirment celles de deux essais précédents sur l’usage de la doxycycline en postexposition (DoxyPEP et une sous-étude d’IPERGAY) et apportent des éléments nouveaux sur l’efficacité de la vaccination contre les méningocoques dans ce contexte.

Les enseignements de la sous-étude d’IPERGAY et de DoxyPEP

IPERGAY était destinée à évaluer l’efficacité de la PrEP dans la prévention de l’infection par le VIH/sida. Au sein de cette étude, une sous-étude [1] a évalué l’efficacité de la prise de 200 mg de doxycycline dans les 72 heures suivant un rapport sexuel non protégé.

Entre juillet 2015 et janvier 2016, 232 participants ont été inclus et ont été suivis pendant une durée médiane de 8,7 mois (environ 3 prises de doxycycline par mois). Soixante-treize ont eu une nouvelle IST au cours du suivi, 28 dans le groupe doxycycline (probabilité à 9 mois de 22 %, (IC95% : 15-32) et 45 dans le groupe témoin (42 %, 33-53, p=0,007). Le risque de survenue d’une première IST chez les participants qui prenaient de la doxycycline a été plus faible que chez ceux qui n’en prenaient pas (HR : 0,53 [0,33-0,85], p=0,008). Ces résultats ont été observés en cas de premier épisode d’infection à Chlamydia (HR : 0,30 [0,13-0,70], p=0,006) ou de syphilis (HR : 0,27 [0,07-0,98], p=0,047), mais pas pour la survenue d’un premier épisode de gonorrhée (HR : 0,83 [0,47-1,47], p=0,52). Des effets indésirables gastro-intestinaux ont été rapportés chez 62 (53 %) des participants du groupe doxycycline et 47 (41 %) du groupe contrôle (p=0,05).

DoxyPEP [2, 3] est une étude randomisée ouverte qui a été menée à San Francisco et Seattle chez des HSH (sous PrEP ou séropositifs au VIH) ayant eu une IST dans l’année précédant l’inclusion. Le protocole de prise de la doxycycline était le même que dans IPERGAY. Parmi les 360 participants recevant la PrEP, 47 IST (9,6 %) ont été diagnostiquées dans le groupe doxycycline et 65 (29,5 %) dans le groupe contrôle (RR : 0,33 [0,23-0,47],  p<0,0001). Parmi les 194 personnes séropositives, 31 IST (11,7 %) sont survenues chez celles traitées par doxycycline et 30 (27,8 %) dans le groupe témoin (RR : 0,42 [0,25-0,75], p=0,0014). Les épisodes de gonorrhée, d’infections à Chlamydia et de syphilis ont tous été significativement réduits.

Le protocole de l’étude ANRS 174 DOXYVAC

DOXYVAC [4, 5] a été conçue pour confirmer ces résultats et évaluer la valeur ajoutée de la vaccination contre les méningocoques dans la prévention de la gonorrhée.

Pourquoi les investigateurs de l’étude DOXYVAC ont-ils envisagé qu’un vaccin contre Neisseria meningitidis du groupe B (méningite) puisse être partiellement efficace contre Neisseria gonorrhœæ (gonorrhée) ? Il existe une parenté antigénique entre les deux espèces de Neisseria. De plus, des données anecdotiques chez des HSH ayant reçu le vaccin 4CmenB (BEXSERO) ont suggéré une réduction de l’ordre de 30 % du risque de gonorrhée.

L’étude DOXYVAC [4, 5], randomisée et ouverte, a inclus 502 HSH prenant une PrEP et ayant présenté au moins une IST dans l’année précédant l’inclusion. Ces sujets (âge médian 39 ans) ont été répartis dans 4 groupes :

  • doxycycline seule ;
  • vaccin seul ;
  • doxycycline et vaccin ;
  • groupe témoin.

Chaque patient était testé tous les 3 mois pour la syphilis, les infections à Chlamydia et la gonorrhée. Le suivi médian a été de 9 mois, l’étude ayant été arrêtée prématurément au vu des résultats intermédiaires positifs (tous les participants ont alors bénéficié de la double prophylaxie). Le suivi durera jusqu’à la fin de 2023.

Les résultats de l’étude DOXYVAC

Concernant les infections à Chlamydia et la syphilis, une diminution de 84 % du risque d’IST a été constatée chez les participants recevant la doxycycline (5,6 versus 35,4 cas pour 100 personnes-années, soit une baisse de 79 % pour la syphilis et de 89 % pour les infections à Chlamydia). De plus, l’incidence d’un premier épisode de gonorrhée a été de 20,5 et de 41,3 pour 100 personnes-années (réduction de 51 %) au sein, respectivement, des groupes doxycycline et contrôle.

En ce qui concerne les effets de la vaccination contre les méningocoques, l’incidence des gonorrhées (au moins 3 mois après la primo-vaccination) était respectivement de 9,8 et 19,7 personnes-années dans les groupes vaccinés / non vaccinés, soit une diminution de 51 % du risque d’infection, supérieure à celle estimée dans les observations anecdotiques antérieures.

À noter, l’administration de doxycycline en postexposition semble avoir été efficace pour prévenir les gonorrhées anales et urétrales mais pas les formes pharyngées, alors que la vaccination semble avoir été capable de prévenir également ces dernières (N.B. : en pratique, la doxycycline n’est pas recommandée dans le traitement de la gonorrhée du fait de la fréquence assez élevée de souches résistantes ; l’azithromycine est le traitement de première intention recommandé).

DOXYVAC semble donc confirmer, après IPERGAY et DoxyPEP, l’intérêt de la doxycycline en prophylaxie postexposition dans cette population particulière (hommes, HSH, utilisateurs de la PrEP). Elle apporte aussi des informations positives sur l’intérêt du vaccin 4CmenB dans cette population, dans le but de renforcer la protection contre les gonorrhées.

La prise postexposition unique de doxycycline favorise-t-elle l’apparition de souches résistantes ?

La question de l’apparition de souches antibiorésistantes à la suite de l’administration unique de 200 mg de doxycycline (et ce de manière répétée) se pose. Par exemple, l’utilisation de cette prophylaxie pourrait augmenter la probabilité d'infection par des souches de gonorrhée résistant à cet antibiotique.

De fait, dans DoxyPEP [2, 3], si, au début de l’étude, 20 % des cas de gonorrhée étaient résistants à la doxycycline, ce chiffre a doublé pour atteindre 40 % des cas de gonorrhée diagnostiqués au cours du suivi. Globalement, chez les personnes recevant la prophylaxie, 38,5 % des cas de gonorrhée étaient résistants à la doxycycline contre 12,5 % chez les participants ne recevant pas de doxycycline. Il est néanmoins difficile de distinguer s'il s'agissait d'infections provoquées préférentiellement par des souches résistantes ou d'une induction de mutations de résistance par la prophylaxie. En pratique, puisque la doxycycline n’est pas le traitement de choix de la gonorrhée, cette éventuelle augmentation du risque de résistance ne devrait pas avoir d’impact clinique sur la capacité à traiter cette infection.

Il sera intéressant d’avoir des données autour des résistances au sein de DOXYVAC (analyses en cours). En particulier de voir si la vaccination contre les méningocoques abaisse cette augmentation des infections à souches résistantes (par exemple, en réduisant la charge infectieuse, donc le nombre de méningocoques exposés à la doxycycline).

Concernant la syphilis ou les chlamydioses, aucune résistance à la doxycycline n’a été signalée [2, 3]. Une telle éventualité, considérée comme peu probable, serait un souci dans le traitement des infections à Chlamydia (où la doxycycline est le traitement de première intention), mais moins dans celui de la syphilis où elle n’est prescrite que chez les personnes allergiques à la pénicilline.

Certains auteurs [6] ont mis en garde contre l’apparition éventuelle d'une résistance à la doxycycline chez Mycoplasma genitalium, germe assez fréquent chez les HSH et connu pour sa capacité à rapidement acquérir des mutations de résistance. Si la doxycycline n’est pas suffisante pour traiter les infections à Mycoplasma, elle est utilisée pour réduire la charge infectieuse avant un traitement curatif fondé sur la prescription d’azithromycine, de moxifloxacine ou de pristinamycine. La survenue d'une résistance pourrait nécessiter de changer de stratégie thérapeutique.

Quels effets de la doxycycline en postexposition sur les autres micro-organismes commensaux ?

L'étude DoxyPEP [2, 3] a évalué l’apparition de souches résistantes de Staphylococcus aureus nasales et oropharyngées, et de Neisseria non gonococciques pharyngées chez 501 patients. Après 1 an, les participants sous doxycycline présentaient un portage plus faible de S. aureus par rapport à ceux n'ayant pas eu cette prophylaxie (29,2 % contre 45,2 %, p=0,036), mais une plus grande proportion de S. aureus résistant à la doxycycline dans le groupe doxycycline (11,7 % contre 4,8 %, p=0,19). Il n’a pas été constaté d'augmentation du nombre de S. aureus résistant à la méticilline (SARM) dans l'ensemble, ni du nombre de SARM résistant à la doxycycline.

De plus, les sujets du groupe doxycycline étaient plus susceptibles d'être porteurs d'espèces de Neisseria non gonococciques résistant à la doxycycline (69,7 % contre 44,6 %, p=0,017).

Ces données et les craintes d’apparition de souches (multi)résistantes doivent être relativisées : la doxycycline est prescrite depuis longtemps (et largement) pour la prophylaxie primaire du paludisme (mais aussi de la leptospirose et de la maladie de Lyme), ainsi que dans le traitement de l’acné (pour de longues durées) sans que cela ait nui à son efficacité.

En outre, il est également important de tenir compte du fait que les HSH qui pourraient bénéficier de cette stratégie prophylactique se voient actuellement prescrire de grandes quantités d'antibiotiques pour traiter les IST. Par exemple, il a été constaté que les HSH d'une cohorte PrEP en Belgique consommaient annuellement jusqu'à 52 fois la quantité moyenne de macrolides prise par les résidents de 30 pays européens [7]. Si la prophylaxie pré/postexposition permet de réduire la transmission des IST, la consommation d'antibiotiques utilisés pour traiter ces infections (doxycycline, pénicilline, ceftriaxone et azithromycine, par exemple) pourrait diminuer au niveau de la population.

Les questions qui demeurent sur ces modalités de prophylaxie des IST

D’autres questions persistent après ces trois études sur ces modalités de prévention des IST.

Sont-elles efficaces chez les femmes ? Une étude a évalué l’efficacité de la doxycycline postexposition chez 449 femmes kenyanes très exposées aux IST et recevant la PrEP [8]. Les résultats ont été négatifs, la prophylaxie ne parvenant pas réduire le nombre de cas d’IST. Une analyse est en cours pour essayer de comprendre les raisons de cet échec : concentrations de l’antibiotique dans les tissus génitaux, prévalence des souches résistantes, difficultés d’observance, etc.

Quels sont leurs effets sur le microbiote intestinal ? Le recours à la doxycycline a été associé à une perte de diversité du microbiome intestinal humain [9], ce qui pourrait avoir des conséquences sur la santé. Les études américaines DoxyPEP, IPERGAY et australienne Syphylaxis étudient les effets de cette prophylaxie sur la composition du microbiote des participants.

Quel rythme de rappel pour la vaccination contre les méningocoques ? La primo-vaccination avec le vaccin 4CmenB chez les adultes repose sur deux injections à 1 mois d’intervalle minimum. Si la date d’une vaccination de rappel a été définie chez les petits enfants, il n’existe pas de données sur le rythme de rappel chez les adultes même si, selon les recommandations officielles [10], une dose de rappel peut être envisagée chez les sujets présentant un risque continu d'exposition à une infection méningococcique.

En conclusion, il est probable que la double prophylaxie vaccination + doxycycline intègre rapidement les recommandations relatives à la santé sexuelle des HSH, dans le cadre d’une prévention globale : PrEP, dépistages répétés du VIH et des IST, vaccination contre les hépatites A et B, vaccination contre la variole (efficace pour prévenir la variole du singe, 8), usage du préservatif, etc. En attendant ces recommandations officielles, il appartient à chaque praticien de discuter de cette nouvelle option avec les personnes qui pourraient en bénéficier, à la lumière des données disponibles.

 

Sources

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