#Santé #Nutrition et équilibre alimentaire

Quelle place pour la vitaminothérapie préventive ?

Si la vitaminothérapie préventive n’a pas fait ses preuves en matière de réduction des risques de pathologie cardiovasculaire, de cancer ou de diabète, il existe certaines situations socio-économiques ou médicales qui peuvent réclamer une supplémentation plus ou moins large.

Jean-Louis Schlienger 13 décembre 2022 Image d'une montre12 minutes icon Ajouter un commentaire
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Une alimentation diversifiée pour minimiser le risque de déficit.

Une alimentation diversifiée pour minimiser le risque de déficit.

Résumé

Plusieurs essais contrôlés n’ont pas mis en évidence de bénéfices en termes de réduction des risques de maladie cardiovasculaire, de cancer ou de diabète de type 2, chez les personnes en bonne santé sans carences nutritionnelles cliniques.

Il existe cependant des situations à risque de déficits en vitamines qui peuvent demander une vitaminothérapie préventive. Il peut s’agir :

  • d’un mode de vie particulier (précarité socio-économique, végétalisme, etc.) ;
  • de certaines pathologies digestives ;
  • de l’alcoolisation chronique ;
  • de la chirurgie bariatrique ;
  • de la grossesse ;
  • de médicaments (metformine, antiépileptiques, méthotrexate, cortisone, etc.).

Cette actualité fait suite à un premier article abordant les vitamines en général. Une troisième publication concernera la vitaminothérapie curative. La vitamine D fera l’objet d’un article dédié. 

Un déficit vitaminique biologique asymptomatique correspond à un état subcarentiel ou infraclinique aux conséquences fonctionnelles incertaines. Son identification repose sur des dosages souvent coûteux et peu accessibles en routine qui ne reflètent que très imparfaitement le véritable statut vitaminique. Des tests fonctionnels existent, mais sont difficiles à mettre en œuvre et d’interprétation délicate. En pratique, il y a peu d’indications de dosages vitaminiques sinon pour rattacher un état clinique à une carence spécifique.

De fait, seule la carence avérée est une indication indiscutable de supplémentation alors que les professionnels et les médias du « bien-être »  ̶  holisme, détox, renforcement du système immunitaire…  ̶  se sont engouffrés dans le créneau de la supplémentation vitaminique sans disposer de données scientifiques convaincantes. Toutefois, chez les sujets à risque nutritionnel élevé, les déficits vitaminiques sont très fréquents et une supplémentation préventive peut être souhaitable pour éviter la survenue de manifestations clinico-biologiques.

Compléments alimentaires vitaminiques et maladies non transmissibles : des résultats décevants

L’utilisation des compléments alimentaires en vente libre est fréquente dans les pays développés. Ils sont majoritairement consommés par des personnes :

  • en bonne santé ;
  • appartenant aux classes sociales favorisées ;
  • ne fumant pas ;
  • ayant tendance à avoir une alimentation de meilleure qualité que les non-consommateurs ;
  • et ne présentant aucun signe de carence.

Or, si l’objectif de ces produits est de corriger une carence ou de maintenir un apport adéquat, l’utilité des compléments alimentaires vitaminiques est contestable pour la population générale. Contrairement aux données des études observationnelles, les résultats des essais contrôlés randomisés ne confirment pas les avantages des suppléments dans la réduction des risques de maladies cardiovasculaires, de cancer ou de diabète de type 2 chez les personnes en bonne santé sans carences nutritionnelles cliniques [1].

Une revue systématique n’a pas montré de bénéfices des suppléments sur les événements cardiovasculaires, même chez les patients présentant des facteurs de risques cardiovasculaires, bien que l’administration d'acide folique, seule ou en association avec des vitamines B 12 ou B 6, ait entraîné une réduction significative des taux plasmatiques d'homocystéine, marqueur de risque cardiovasculaire. Ni les vitamines antioxydantes ni la vitamine D n’ont d’effets bénéfiques mesurables sur l’incidence des incidents cardiovasculaires [2, 3].

Il n’existe pas davantage de preuves d’un effet bénéfique des suppléments vitaminiques en termes de réduction du risque de cancer, bien au contraire, puisqu’une augmentation de l’incidence du cancer du poumon a été mise en évidence chez des sujets à risque (tabac, amiante) après une supplémentation en β-carotène ou en vitamine E [1].

Le risque de diabète n’est pas modifié par l’administration de suppléments contenant de la vitamine C, E ou du β-carotène ou encore de la vitamine D [1].

En l’absence de supplémentation calcique combinée, l’apport de vitamine D a des effets controversés sur la prévention des fractures ostéoporotiques. Un essai récent a même suggéré que des doses élevées de vitamine D (10 000 UI/jour) réduisaient la densité osseuse volumétrique [1].

Cette discordance peut s’expliquer par le fait que les vitamines apportées par les aliments ont des effets différents des suppléments résultant d’interactions synergiques complexes avec d’autres substances bioactives présentes dans les aliments. Une supplémentation vitaminique ne devrait être envisagée que dans les situations à haut risque de déficit ou dans le cadre d’une action de santé publique.

Les situations à risque de déficit vitaminique

Mode de vie

L‘insuffisance d’apport alimentaire et les exclusions alimentaires volontaires ou subies peuvent être à l’origine d’un déficit vitaminique. En premier lieu, figurent la précarité socio-économique et la détresse sociale. Les enquêtes ont souligné la fréquence des déficits multivitaminiques dans la population des sujets sans domicile fixe chez lesquels ont même été décrits d’authentiques cas de scorbut.

Le tabagisme réduit la biodisponibilité de la vitamine C.

Les conduites alimentaires particulières exposent à un risque de déficit partiel. Le végétarisme (cf. notre article du 5 octobre 2021) n’assure pas un apport vitaminique optimal, et le végétalisme nécessite impérativement une complémentation en vitamine B12. Il en est ainsi de toute restriction alimentaire sévère. En réduisant les apports exogènes, l’anorexie, quelle qu’en soit la cause, réduit l’allocation en vitamines ce qui peut avoir des conséquences importantes lors de pathologies aiguës ou chroniques comportant un hypermétabolisme avec hyperconsommation de vitamines comme B1 et B6.

Pathologies

Les affections digestives avec maldigestion et malabsorption peuvent être compliquées de déficits vitaminiques. Une supplémentation polyvitaminique peut ainsi être utile en cas de pancréatite chronique avec stéatorrhée, de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ou d’un syndrome du grêle court.

La nutrition parentérale nécessite systématiquement une complémentation vitaminique, par exemple par une ampoule quotidienne de CERNEVIT (association équilibrée de vitamines hydrosolubles et liposolubles), complétée par de la vitamine D et de la vitamine K.

En pathologie infectieuse, l’allégation du potentiel de stimulation des défenses immunitaires par une supplémentation vitaminique ne repose sur aucune donnée scientifique. 

Alcoolisation chronique

La consommation chronique excessive d’alcool est l’une des causes principales de carence vitaminique dans les pays développés. En lien avec la quantité d’alcool consommée et la précarité [4], elle est due à un déficit d’apport en micronutriments et à une altération de l’absorption.

L’alcool inhibe l’absorption des vitamines B1, B2, B8 et B9 ; la carence en B6 est la conséquence d’une inhibition de l’hydrolyse intestinale du pyridoxal-5’-phosphate.

L’éthylisme chronique représente la cause la plus fréquente de déficit en acide folique (vitamine B9) en interférant à différents niveaux du métabolisme des folates, ce qui se manifeste par une anémie macrocytaire fréquente.

Le déficit en thiamine (vitamine B1) est également commun. En pratique, il est nécessaire d’administrer systématiquement de la vitamine B1 en cas de perfusion de sérum glucosé chez un éthylique chronique dénutri, car le glucose qui utilise la thiamine comme cofacteur pour son métabolisme cellulaire peut démasquer une carence dont les manifestations cliniques sont principalement neurologiques à type d’altération de la conscience (encéphalopathie de Gayet-Wernicke, réversible avec de fortes doses de vitamine B1 par voie intraveineuse) et de cardiomyopathie. Un déficit en vitamine B6 est également fréquent dans ce contexte [5].

La supplémentation en vitamine B1 est souhaitable chez tout sujet éthylique chronique dénutri. En revanche, son dosage n’a d’intérêt que dans le cadre du diagnostic différentiel de troubles de la conscience et non pour la prévention et le traitement de complications neurologiques dans la population d’alcooliques chroniques.

Chirurgie bariatrique

La chirurgie bariatrique est un traitement de l’obésité de plus en plus répandu. Les techniques de chirurgie bariatrique malabsorptive – by-pass gastrique, dérivation bilio-pancréatique et même gastrectomie en manchon – sont responsables de carences vitaminiques dont les manifestations cliniques sont rares, mais potentiellement redoutables (encéphalopathie de Gayet-Wernicke) [6].

Les causes sont plurifactorielles : carences préopératoires, restriction majeure de la prise alimentaire, défaut d’assimilation ou d’absorption créés par le montage chirurgical, inadéquation et/ou mauvaise observance de la supplémentation.

Le niveau de risque justifie la prescription systématique d’une supplémentation multivitaminique tout en veillant à rétablir le plus rapidement possible une alimentation diversifiée pour minimiser le risque de déficit.

Un bilan vitaminique spécifique (dosages de la thiamine, de l’acide folique, de la vitamine B12 et de la vitamine D) peut être orienté par la clinique : vomissements, asthénie, cinétique de la perte de poids, signes neurologiques.

La prévalence d’une vitaminémie B1 basse après chirurgie bariatrique varie selon le type d’intervention et la durée de suivi. La supplémentation se fait dans le cadre d’un traitement polyvitaminique (cf. Tableau I).

Le déficit en vitamine B12 est fréquent après une chirurgie entraînant une malabsorption. Une supplémentation préventive, avant épuisement des réserves hépatiques, est souhaitable pour éviter la survenue de complications neurologiques, le déclin cognitif et l’anémie mégaloblastique. L’administration per os de 1 000 à 2 000 µg/j pendant les premières semaines, puis de façon hebdomadaire et mensuelle, est recommandée. La voie parentérale peut être justifiée en cas d’inobservance ou d’inefficacité de la voie orale du fait d’une pullulation microbienne.

La supplémentation préventive en acide folique (400 à 800 µg/j) doit être systématique chez toute femme ayant un désir de grossesse.  

Le déficit en vitamine D, qui peut préexister à l’intervention, s’aggrave le plus souvent en postchirurgie et expose au risque d’ostéopathie. Une supplémentation systématique est proposée en association avec le calcium.

Un déficit en vitamines liposolubles a été décrit en cas de stéatorrhée favorisée par une chirurgie à type de dérivation bilio-pancréatique. En l’absence de grossesse, il peut être corrigé par :

  • une supplémentation en vitamine A (1 capsule de 50 000 UI par semaine ou 1 ampoule de 200 000 UI par mois), en évitant tout excès d’apport ;
  • l’administration de vitamine K (2 à 10 mg/semaine per os à adapter aux taux de prothrombine) ;
  • un supplément en vitamine E documenté par la biologie (400 à 500 UI/j par jour).

En pratique, il est recommandé de recourir à une supplémentation systématique en vitamines, minéraux et oligo-éléments après un geste de chirurgie malabsorptive et de renforcer la supplémentation en cas de situation particulières (vomissements, complication chirurgicale avec nutrition parentérale ou amaigrissement rapide pour la vitamine B1) [7] et [8].

Grossesse

Les besoins nutritionnels sont modifiés par la grossesse, mais couverts, en théorie, par une alimentation correcte. En dehors de l’acide folique, il n’y pas lieu d’entreprendre de supplémentation vitaminique préventive systématique au cours de la grossesse. Les nombreux compléments alimentaires de supplémentation sur le marché qui peuvent comporter de dix à dix-huit constituants sont inutiles en regard des recommandations.

Folates 

La supplémentation préventive en folates (vitamine B9 ou acide folique) est cruciale (cf. VIDAL Reco « Grossesse (suivi de) ». Les études observationnelles et d’intervention ont clairement établi une relation entre le déficit en folates et les anomalies de la fermeture du tube neural (AFTN).

Les folates interviennent directement et par le contrôle de l’expression des gènes responsables de la fermeture du tube neural [9].

La supplémentation systématique par la fortification des farines en folates (Canada, Union européenne) a entraîné une réduction de 50 % de l’incidence des AFTN (bec de lièvre, spina bifida, anencéphalie).

En France, la prévention médicamenteuse, grande cause de santé publique, devrait débuter un mois avant la conception et se poursuivre durant le premier trimestre de la grossesse puisque le tube neural se développe et se ferme dans les premières semaines de la vie embryonnaire. La dose recommandée est de 0,4 mg/j dans la population générale, et de 5 mg/j en cas d’antécédents d’AFTN lors d’une précédente grossesse. Cette politique de prévention permet de réduire de plus de 70 % l’incidence des AFTN.

Vitamine D 

Le statut vitaminique D de la mère, qui dépend majoritairement de l’apport endogène (exposition aux UV), conditionne en partie la formation osseuse fœtale. Dans de nombreuses circonstances, l’apport en vitamine D de la future mère est insuffisant : grossesses se déroulant pendant l’automne, l’hiver ou le printemps dans les régions septentrionales, grossesses rapprochées, non-exposition au soleil pour des raisons religieuses, etc.

Il est préconisé de prescrire à toutes les femmes 100 000 UI de vitamine D3 au début du 3e trimestre de la grossesse (7e mois) pour réduire le risque d’hypocalcémie néonatale. Les résultats d’études récentes rendent souhaitable une révision de cette pratique. Une revue systématique de la Cochrane Library a en effet conclu qu’une supplémentation en vitamine D tout au long de la grossesse diminuait probablement le risque de prééclampsie, de diabète gestationnel et d’hypotrophie fœtale. Un apport quotidien oral de 1 200 UI/ jour ou plus simplement de 50 000 UI par mois dès le début de la grossesse pourrait être utile et dispenserait de la dose de charge au 7e mois [10].

Médicaments

Diverses molécules interagissent avec l’absorption et le métabolisme des vitamines [11].

La metformine diminue l’absorption iléale de la vitamine B12 en altérant l’endocytose du complexe cobalamine-facteur intrinsèque, mais n’est qu’exceptionnellement responsable d’une anémie macrocytaire. Les inhibiteurs de la pompe à proton (IPP) au long cours réduisent la dissociation de la vitamine B12 des protéines [12].

La plupart des antiépileptiques inhibent l’absorption de la vitamine B8 par compétition. Le valproate et la carbamazépine diminuent l’absorption de l’acide folique. La phénytoïne altère le métabolisme hépatique des folates, mais la supplémentation périconceptionnelle en acide folique est inefficace pour prévenir l'apparition de malformations liées aux anticonvulsivants tératogènes.

Le méthotrexate entre en compétition avec les récepteurs de l’acide folique. Une supplémentation en acide folique, à une dose ≥ 5 mg/semaine, est recommandée lors d'un traitement par ce médicament.

L’effet ostéopéniant de la corticothérapie prolongée doit être prévenu par l’administration de calcium et de vitamine D (par exemple, une association de carbonate de calcium 500 mg et de cholécalciférol 440 UI/ j).

Conclusions    

Une supplémentation vitaminique préventive peut s’envisager dans différentes situations cliniques bien répertoriées. Son indication repose davantage sur une bonne connaissance des populations et des individus et sur les recommandations que sur le recours à des dosages dispendieux aux normes encore discutées (cf. Tableau).

Tableau - Indications d’une vitaminothérapie préventive

Indications

Supplémentation

Déshérence sociale
Malnutrition

Alimentation diversifiée
Polyvitamines

Végétarisme
Végétalisme, végan

Vitamine B12 (non indispensable)
Vitamine B12 cp : 250 µg/j

Institutionnalisation

Vitamine D : 800 UI/j ou 50 000 UI/ mois

Nutrition parentérale

Cernévit 1 amp IV/j, vitamine K, vitamine D

Grossesse

Acide folique : 0,4 mg/ j 1 mois avant et durant le 1er trimestre
Vitamine D : 100 000 UI début du 3e trimestre ou 50 000 UI/ mois

Médicaments : méthotrexate
corticoïdes

Acide folique : 5 mg/semaine
Vitamine D : 50 000 UI/ mois

Chirurgie bariatrique

Polyvitamines
Vitamine B12 : 1 000 µg/ toutes les 2 semaines, per os
Vitamine D : 100 000 UI/ mois

Risque osseux

Vitamine D : 800 UI/j ou 100 000 UI/trimestre

Pathologie transmissible

?

Pathologie chronique

?

 

N.B. : L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts avec la teneur de ce texte.

 

Sources

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