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Grippe saisonnière : faut-il vacciner les enfants en bonne santé ?

Que répondre aux parents qui s’interrogent sur l’intérêt de faire vacciner leurs enfants en bonne santé contre la grippe ? Retour sur les données d’efficacité, de sécurité et d’intérêt pour les enfants et leur entourage.

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Une décision au cas par cas.

Une décision au cas par cas.

Résumé

En cette saison de grippe saisonnière, une question est régulièrement posée dans les cabinets médicaux et devant les comptoirs officinaux : dois-je faire vacciner mon enfant contre la grippe même s’il est en bonne santé ?

Si les recommandations vaccinales sont claires concernant ceux qui sont à risque de forme grave de grippe (ou d’aggravation d’une maladie préexistante en cas de grippe), la France a fait le choix de ne pas recommander la vaccination systématique des enfants en bonne santé, à la différence d’autres pays européens.

Si l’une des raisons autrefois évoquées était la faiblesse des données d’efficacité clinique, cela n’est plus le cas avec la publication de méta-analyses solides et de données de vie réelle dans les pays qui vaccinent systématiquement les enfants. Ces éléments nouveaux confirment l’efficacité et la sécurité des vaccins antigrippaux, au bénéfice des vaccinés et aussi, et peut-être surtout, de leur entourage et de la communauté en général.

Même si elle reste bénigne dans la plupart des cas, la grippe saisonnière est à l’origine d’environ 900 000 hospitalisations pédiatriques chaque année dans le monde (environ 35 000 en France), en particulier chez les moins de 2 ans et chez ceux résidant dans un pays en voie de développement [1]. De plus, plusieurs études épidémiologiques ont mis en avant le rôle essentiel des enfants dans la transmission communautaire de cette infection respiratoire, avec une forte excrétion virale pendant 10 à 15 jours [2] significativement supérieure à celle des adultes.

Pour ces raisons, la question de la vaccination systématique des enfants en bonne santé contre la grippe se pose régulièrement en termes de santé publique, mais aussi au sein des familles.

Les recommandations en France

Les nourrissons de moins de 6 mois ne peuvent pas être vaccinés contre la grippe (absence de données cliniques), mais ils sont indirectement protégés par la vaccination de leur mère (au dernier trimestre de grossesse avec une durée de protection d’au moins 4 mois chez le nourrisson) [3], et aussi par la vaccination des adultes et des enfants de leur entourage.

Aujourd’hui, en France, la vaccination antigrippale n’est recommandée que pour les enfants âgés de 6 mois et plus à risque de forme grave de grippe ou présentant une maladie qui pourrait s’aggraver lors d’une grippe [4]. Concrètement, cela concerne ceux qui souffrent :

  • de maladies respiratoires chroniques (asthme, dysplasie bronchopulmonaire, mucoviscidose, par exemple) ;
  • de maladies cardiaques (par exemple, une cardiopathie congénitale) ;
  • d'hépatopathies ;
  • d’insuffisance rénale ou de syndrome néphrotique ;
  • de drépanocytose ou autre affection hématologique, ou ayant subi une splénectomie ;
  • d’immunodépression ;
  • d’une maladie justifiant un traitement chronique par aspirine (syndrome de Kawasaki, arthrite chronique juvénile, par exemple) ;
  • d’une affection de longue durée (ALD) quelle qu’elle soit (par exemple diabète de type 1, maladie cœliaque).

Par ailleurs, les adultes et les enfants qui font partie de l’entourage proche des jeunes patients cités ci-dessus sont également invités à se faire vacciner, comme le sont les professionnels de la petite enfance (« effet cocon »).

En France, pour la campagne 2022-2023, la vaccination antigrippale des enfants peut s'effectuer avec l’un de trois vaccins tétravalents inactivés sans adjuvant injectables (FLUARIXTETRA, INFLUVAC TETRA, VAXIGRIPTETRA). Chez les moins de 8 ans, la première année, deux injections à un mois d’intervalle sont nécessaires. Les années suivantes, une seule injection suffit, comme lors de la primo-vaccination chez les 8 ans et plus.

Le vaccin intranasal vivant atténué FLUENZ TETRA (cf. ci-dessous), disponible lors de la campagne précédente, ne l’est plus en 2022-2023 [3].

La vaccination antigrippale des enfants est remboursée pour ceux qui sont à risque de forme sévère, mais aussi pour ceux, en bonne santé, qui côtoient un nourrisson de moins de 6 mois ou une personne à risque de forme grave (sujet âgé, immunodépression, pathologie cardio-respiratoire, diabète, obésité, grossesse, etc.).

Les recommandations dans les autres pays

Depuis 2012, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande la vaccination systématique contre la grippe de tous les enfants de 6 mois à 5 ans [5]. Aujourd’hui, les pays qui suivent cette recommandation sont la Finlande (de 6 mois à 6 ans), l’Autriche (de 6 à 17 ans), le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis (de 6 mois jusqu’à l’âge de 17 ans pour ces trois pays). La vaccination des anciens prématurés en bonne santé est systématique en Suisse. En France, elle n’est pas spécifiquement recommandée, ni remboursée. Idem pour la vaccination des enfants dont l’indice de masse corporelle (IMC) est supérieur à 40.

Dans ces pays, la vaccination est essentiellement effectuée par voie intranasale (FLUENZ TETRA en Europe, FLUMIST aux États-Unis), les formes injectables étant réservées aux sujets âgés de 6 mois à 2 ans ou présentant des contre-indications à la vaccination intranasale (cf. ci-dessous).

Au Royaume-Uni, plus de 3 millions d’enfants sont vaccinés chaque année par voie intranasale, dans les établissements scolaires ou par les médecins généralistes [6]. Aux États-Unis, selon les années, entre 38 et 62 % de la population pédiatrique (moins de 18 ans) est vaccinée [7].

En France, la vaccination antigrippale systématique des enfants a été écartée pour manque de données cliniques (mais nous verrons que ce n'est plus le cas), et aussi parce que le « calendrier vaccinal est déjà chargé dans les deux premières années de vie, période pourtant à plus haut risque de grippe chez l’enfant » [4].

Vaccin intranasal FLUENZ TETRA/FLUMIST : les données de l'étranger

Comme indiqué précédemment, en 2022-2023, le vaccin vivant atténué intranasal FLUENZ TETRA n'est plus disponible pour les enfants français. Mais comme certains parents s’en procurent légalement dans les pays limitrophes et que le médicament pourrait être de nouveau disponible l’an prochain, nous rappelons ici ses contre-indications :

  • âge < 2 ans ;
  • leucémies aiguës et chroniques traitées par chimiothérapie ;
  • lymphomes traités par chimiothérapie ;
  • immunodépression congénitale, acquise ou iatrogénique (biothérapies, médicaments antirejet de greffe) ;
  • traitement corticoïde à dose élevée (les corticoïdes inhalés de l’asthme ne sont pas une contre-indication, mais ceux pris par voie orale le sont) ;
  • présence de personnes immunodéprimées dans l’entourage de l’enfant (le virus atténué est excrété pendant 2 semaines).

Lors de contre-indication, la vaccination par voie injectable est préférée, ainsi que chez les enfants ayant souffert d’une crise d’asthme dans les 72 h précédant la vaccination ou ayant déjà été admis en soins intensifs pédiatriques du fait de leur asthme, chez ceux traités par aspirine, ou ceux qui souffrent de congestion nasale [8].

En 2016, aux États-Unis, il a été noté une perte d’efficacité de ce vaccin vis-à-vis de la souche contemporaine de virus Influenza A(H1N1), ce qui a entraîné son abandon pendant les campagnes 2016-2017 et 2017-2018 [6]. Étrangement, cette perte d’efficacité n’a été constatée ni au Royaume-Uni ni en Finlande. FLUMIST est de nouveau administré aux États-Unis depuis la campagne 2018-2019, avec une nouvelle souche vaccinale de A(H1N1).

Quelle efficacité pour la vaccination antigrippale chez les enfants en bonne santé ?

Des données cliniques récentes issues d’essais cliniques ou de données de vie réelle dressent un portrait cohérent de l’efficacité de la vaccination antigrippale chez les enfants en bonne santé.

En 2015, une étude en vie réelle menée au Royaume-Uni (campagne de vaccination 2014-2015) [9] a montré que la vaccination des enfants de 5 à 11 ans se traduisait par une réduction de 94 % des consultations pour syndrome grippal (p=0,018), de 74 % des recours aux urgences pour la même raison (p=0,035), de 93 % des hospitalisations (p=0,012), mais pas des admissions en soins intensifs pédiatriques (76 %, p=0,271). Ces bénéfices n’étaient pas significatifs chez les moins de 5 ans (par exemple : consultations, réduction de 92 % mais p=0,052). De manière intéressante, les non-vaccinés des mêmes établissements scolaires semblaient avoir bénéficié de la vaccination de leurs pairs (taux de vaccination de 57 % dans les écoles primaires étudiées). Selon cette étude, il fallait 16 enfants vaccinés pour prévenir une consultation en ville, 317 pour prévenir une hospitalisation et 2 205 pour prévenir une admission en soins intensifs.

En 2017, une étude des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) [10] a montré que la vaccination des enfants a baissé de 65 % (IC95 47-78) la mortalité due à la grippe (étude sur 358 décès entre 2010 et 2014) chez ceux qui étaient en bonne santé (51 %, IC95 31-67, pour les enfants à risque de forme grave).

Lors de l’hiver 2018-2019 aux États-Unis (souches circulantes A(H1N1), A(H3N2) et B), un travail [11] a montré que la vaccination antigrippale avait réduit de 51 % (IC95 38-62) les visites aux urgences pédiatriques pour syndrome grippal et de 41 % (IC95 20-56) les hospitalisations (n=3 736).

En 2018, une équipe du Cochrane Institute a analysé les données de 41 études cliniques de bonne qualité méthodologique (plus de 200 000 enfants en bonne santé de 2 à 16 ans vaccinés, aux États-Unis, en Europe, en Russie et au Bangladesh). Selon cette méta-analyse [12], la vaccination contre la grippe est efficace contre les grippes virologiquement confirmées avec une certitude modérée à élevée (certitude faible contre les syndromes grippaux virologiquement non caractérisés).

Toujours selon cette méta-analyse, chez les 3-16 ans, avec un vaccin vivant atténué, 7 vaccinations étaient nécessaires pour éviter un cas de grippe confirmée (RR=0,22, IC95 0,11-0,41) et 20 pour éviter un cas de syndrome grippal (RR=0,69, IC95 0,60-0,80). Avec un vaccin inactivé, 5 vaccinations suffisaient pour éviter un cas confirmé (RR=0,36, IC96 0,28-0,48) et 12 pour éviter un syndrome grippal (RR=0,72, IC95 0,65-0,79). Selon ces données, la vaccination systématique des enfants au Royaume-Uni préviendrait, chaque année, 285 000 cas de grippe confirmée et 99 000 cas de syndrome grippal. À noter, les données observationnelles collectées au Royaume-Uni (6) ont montré un taux de protection variable selon les années : 58 % en 2015-2016, 66 % en 2016-2017, 27 % en 2017-2018, 49 % en 2018-2019 et 45 % en 2019-2020.

En 2022, un travail des CDC [13] portant sur l’épidémie 2019-2020 (exceptionnellement forte, avec un record de 199 décès pédiatriques) a montré que, chez les enfants, la vaccination antigrippale protège des formes graves même quand les souches circulantes ne sont pas celles contenues dans le vaccin : protection de 78 % (IC95 41-92) contre les virus Influenza A similaires à ceux du vaccin et de 47 % contre des virus Influenza A différents (IC95 -21-77). La protection contre les formes sévères était de 75 % (IC95 49-88) quel que soit le virus considéré.

Enfin, toujours en 2022, une méta-analyse [1] de 41 études (en partie différentes de celles de la méta-analyse du Cochrane Institute) menées entre 2010 et 2020 a montré que, selon les années, l’efficacité de la vaccination antigrippale chez les moins de 18 ans variait de 25,6 à 74,2 % (essais cliniques) ou de 26 à 78 % (études observationnelles). Celle des vaccins tétravalents semble varier de 30,3 % (IC95 5,5-48,8) à 73,4 % (IC95 61,7-82). Chez les moins de 5 ans, l’efficacité variait de 25,6 % (IC95 6,8-40,6) à 87 % (IC95 0-98).

Par ailleurs, tous les essais attestent la sécurité des vaccins antigrippaux, injectables ou administrables par voie intranasale, chez les enfants, avec un profil d’effets indésirables classiques des vaccins, sans particularité notable.
 

En conclusion, une fois établie l’efficacité et la sécurité des vaccins antigrippaux chez les enfants, il convient de se poser la question de l’intérêt de vacciner ceux qui sont en bonne santé, hors cas particulier où la présence, dans leur entourage, d’un nourrisson ou d’une personne à risque de forme grave de grippe rend cette vaccination essentielle.

À la lecture des différentes études et des données épidémiologiques pédiatriques dans les pays industrialisés (hospitalisations et mortalité), il apparaît que cette vaccination bénéficie, certes, à l’enfant lui-même, mais également, et peut-être davantage, à la communauté dans son ensemble : protection indirecte des écoliers non-vaccinés, diminution des absences scolaires préservant ainsi la vie professionnelle des parents, réduction de la transmission dans le cercle familial (les enfants y jouant un rôle central) et protection générale des personnes fragiles.

Il semble ainsi revenir aux parents et à leur médecin traitant de décider, au cas par cas, dans le contexte particulier de chaque famille (présence de membres vulnérables, par exemple, un nourrisson de moins de 6 mois), de décider de la pertinence de cette vaccination. En attendant que la France rejoigne peut-être le groupe des pays qui ont rendu systématique cette vaccination.

Sources

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