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Estimation du débit de filtration glomérulaire : les marqueurs endogènes

Meilleur marqueur de la fonction rénale, le débit de filtration glomérulaire est estimé à partir de formules qui utilisent le taux plasmatique de créatinine et, dans une moindre mesure, celui de la cystatine C.

Martin Flamant 13 octobre 2022 Image d'une montre8 minutes icon Ajouter un commentaire
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Le DFG, le plus souvent estimé, rarement mesuré.

Le DFG, le plus souvent estimé, rarement mesuré.

Résumé

Le débit de filtration glomérulaire (DFG) est le meilleur marqueur de la fonction rénale, sa baisse définissant l’insuffisance rénale.

L’évaluation du DFG est indiquée en pratique clinique courante pour le diagnostic et la prise en charge de la maladie rénale chronique (MRC), mais aussi pour prendre un certain nombre de décisions, lorsque celles-ci sont suspendues au niveau de la fonction rénale, telle l’adaptation posologique ou la contre-indication d’un médicament.

Il existe de nombreuses façons d’évaluer le DFG à disposition du clinicien, allant de méthodes simples, mais peu précises, à des méthodes complexes, mais coûteuses.

Dans la plupart des cas, le DFG est estimé à partir d’équations dérivées de la créatininémie.

La cystatine C est un marqueur de filtration glomérulaire alternatif, qui trouve essentiellement son intérêt dans des formules l’utilisant en association avec le marqueur créatinine, ou lorsque ce dernier est mis en défaut.

Une mesure du DFG par clairance urinaire ou plasmatique de traceurs exogènes est indiquée lorsque la précision des équations attendue est inférieure à celle nécessaire à la prise en charge clinique du malade. Cela correspond schématiquement soit à la situation où le patient a des caractéristiques suggérant que les estimateurs seront mis en défaut, soit lorsque le contexte clinique nécessite per se une valeur très précise du DFG.

À la suite de ce premier article ayant trait à deux marqueurs endogènes permettant une estimation du DFG, avant tout la créatinine, deux autres articles ont été publiés sur, respectivement, les différentes formules et leur utilisation en pratique.

La filtration glomérulaire est le processus initiateur de la formation de l’urine à partir du plasma. Quantitativement, le débit de plasma filtré par les glomérules, ou débit de filtration glomérulaire (DFG), est directement corrélé à la quantité de néphrons fonctionnels. Le DFG est ainsi le meilleur marqueur de fonction rénale, la baisse du DFG définissant l’insuffisance rénale.

Son évaluation est d’un intérêt clinique majeur pour le diagnostic et l’évaluation de la gravité de la maladie rénale chronique (MRC). Une valeur de DFG inférieure à 60 mL/min/1,73 m² permet d’affirmer l’existence d’une MRC, qu’il y ait ou non d’autres éléments en faveur d’une atteinte rénale. A contrario, une valeur de DFG comprise entre 60 et 90 mL/min/1,73 m² n’est anormale que s’il existe d’autres arguments pour une MRC (anomalie morphologique, hématurie, protéinurie, etc.).

S’il existe un lien continu entre la valeur du DFG et les complications de l’insuffisance rénale chronique, en pratique courante, le DFG est considéré par stades, auquel s’ajoute la notion ou non d’une albuminurie associée (cf. Tableau I).

Tableau I - Stades de la maladie rénale chronique

Le DFG peut être mesuré à partir du calcul de la clairance de traceurs exogènes (méthode de référence) ou approché à partir de formules dérivées de la concentration plasmatique de substances endogènes éliminées par filtration glomérulaire, la principale utilisée étant la créatinine.

La mesure du DFG : les marqueurs exogènes

Obtenir une mesure exacte du DFG nécessite le calcul de la clairance urinaire de substances dont la filtration glomérulaire est libre et qui ne subissent ni réabsorption, ni sécrétion dans leur transit tubulaire. Or il n’y a pas de substance endogène possédant ces caractéristiques : la mesure du DFG nécessite donc l’injection de traceurs exogènes dans des structures spécialisées.

Historiquement, la première substance utilisée a été l’inuline, mais le risque allergique a conduit à son retrait commercial depuis quelques années. Les traceurs actuels sont soit des radiopharmaceutiques (99TmDTPA, Iothalamate), soit des produits de contraste iodés hydrosolubles (iohexol).

La mesure du DFG est une procédure longue et coûteuse et n’est effectuée que dans des indications particulières (avant un don de rein, par exemple).

L’estimation du DFG : les marqueurs endogènes

En pratique clinique courante, l’évaluation du DFG repose sur des marqueurs endogènes, dont la concentration plasmatique est inversement liée au DFG.

Il existe deux principaux marqueurs utilisés : la créatinine et, dans une moindre mesure, la cystatine C.

La créatinine

La créatinine est le produit du métabolisme de la créatine musculaire, la production quotidienne de créatinine étant fortement liée à la masse musculaire [1].

Elle est librement filtrée par le glomérule et excrétée dans l’urine sous forme non modifiée. Il existe malgré tout une sécrétion de créatinine par le tubule rénal expliquant que la clairance urinaire de la créatinine surestime le DFG réel d’environ 20 à 30 %.

Un certain nombre de médicaments peuvent bloquer la sécrétion de créatinine. C’est le cas notamment de la cimétidine, du cotrimoxazole ou de certains antirétroviraux [2, 3, 4]. La liste complète des médicaments pour lesquels il a été démontré une inhibition de la sécrétion tubulaire rénale de créatinine est indiquée dans le tableau II ci-dessous. Cela conduit à devoir interpréter avec prudence la créatininémie chez les patients recevant ce type de traitement, l’augmentation de la créatininémie qui suit leur mise en route ne devant pas être interprétée comme liée à une baisse du DFG.

Tableau II - Liste des principaux médicaments inhibant la sécrétion tubulaire rénale de créatinine
Médicaments
DCI Nom commercial (principales dénominations)
Triméthoprime BACTRIM, DELPRIM 
Cimétidine CIMETIDINE
Imatinib GLIVEC
Pyriméthamine MALOCIDE, FANSIDAR
Rilpivirine EDURANT, EVIPLERA, JULUCA, ODEFSEY, REKAMBYS, TMC278
Ritonavir KALETRA, NORVIR, PAXLOVID
Cobicistat GENVOYA, STRIBILD
Dolutégravir JULUCA, TIVICAY, TRIUMEQ, DOVATO

Le dosage de la créatinine plasmatique a fait l’objet, il y a quelques années, de recommandations par la Haute Autorité de Santé (HAS) [5].

La méthode colorimétrique, dite de Jaffé, reste la plus utilisée du fait de son faible coût, mais pose le problème d’un manque de spécificité par réaction croisée avec d’autres chromogènes, et notamment la bilirubine.

La méthode de dosage actuellement recommandée par la HAS est celle reposant sur une dégradation enzymatique de la créatinine par une créatininase. Cette méthode, dite « enzymatique » est beaucoup plus spécifique que la méthode colorimétrique. Son intérêt est majeur dans les situations où la créatinémie est basse, c’est-à-dire en contexte pédiatrique, chez les patients normofiltrants, voire hyperfiltrants et chez les personnes à faible masse musculaire.

Une autre avancée importante dans le domaine analytique a été celui de la standardisation du dosage de la créatinine. Quelle que soit la méthode (enzymatique ou colorimétrique) et l’automate utilisés, il est désormais attendu des laboratoires une calibration sur ces standards IDMS (HAS 2012).

Le DFG et la créatinine plasmatique sont inversement liés, à trois facteurs près :

  1. la production musculaire de créatinine ;
  2. la clairance extra-rénale de créatinine (d’origine digestive) ;
  3. la sécrétion tubulaire rénale.

Parmi ces facteurs, la production musculaire est de loin celui qui est quantitativement le plus important. La créatininémie est donc un marqueur imparfait de la fonction rénale, son augmentation pouvant diversement traduire une baisse de la filtration, une masse musculaire plus importante ou une baisse de la sécrétion tubulaire.

Par ailleurs, le lien inversement proportionnel (cf. Figure ci-dessous) entre DFG et créatininémie a pour conséquence le fait que la créatininémie est un marqueur peu sensible de l’insuffisance rénale débutante, mais très sensible en cas d’insuffisance rénale avancée. Par exemple, une augmentation de la valeur de créatininémie de 50 à 75 µM, difficilement détectable car au sein des valeurs normales, traduit une baisse du DFG de 33 % de la même façon qu’une augmentation de 400 à 600 µM. La valeur de créatininémie ne doit donc plus être employée pour estimer quantitativement la fonction rénale au cours de la maladie rénale chronique.

En revanche, il s’agit de l’outil de référence en population générale pour détecter une insuffisance rénale aiguë (IRA), les variations de créatininémie sur une courte période et pour un même individu ne pouvant être le fait que d’une variation antiparallèle du DFG.

Figure - Lien entre la créatininémie et le DFG

La cystatine C

Compte tenu de l’influence de la masse musculaire sur la créatininémie indépendamment du DFG, il a été recherché, ces dernières années, des marqueurs de filtration alternatifs à la créatinine. Parmi ces substances, la cystatine C est celle qui mérite le plus d’attention.

La cystatine est produite par l’ensemble des cellules de l’organisme, de façon indépendante de l’âge et de la masse musculaire. Elle est librement filtrée au niveau du glomérule puis dégradée dans le tubule. Ainsi, sa concentration plasmatique est inversement proportionnelle au DFG.

Elle présente un certain nombre d’avantages théoriques sur la créatininémie : une production constante dans le temps, indépendante de l’âge (après 3 mois), du sexe et de la masse musculaire. Malgré cela, il est apparu qu’il existe des facteurs de variation individuels de la cystatinémie indépendants du DFG :

  • en particulier, l’état thyroïdien : l’hyperthyroïdie s’accompagne d’une augmentation de la cystatinémie indépendante d’une baisse du DFG et l’hypothyroïdie d’une baisse de la cystatinémie indépendante d’une augmentation du DFG [6] ;
  • l’obésité, le tabagisme, le diabète, la prise de stéroïdes ou une inflammation chronique [7].

La cystatinémie est donc surtout employée au sein de formules d’estimation, de manière isolée ou associée à la créatininémie.
 

Sources

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