Les douleurs nociplastiques : un facteur de risque qui semble indépendant.
La sensibilisation centrale est un trouble de la modulation de la douleur par le système nerveux central aboutissant à une augmentation de la perception douloureuse.
Ce mécanisme est impliqué dans les douleurs nociplastiques, celles qui caractérisent la fibromyalgie.
Une équipe américaine a testé l’hypothèse selon laquelle l’existence d’une sensibilisation centrale pourrait aussi jouer un rôle dans la survenue d’un trouble de l’usage des opioïdes. Ils ont pour ce faire eu recours à un questionnaire utilisé pour dépister la fibromyalgie.
Les résultats obtenus dans un petit groupe de patients (n=141) sont en faveur de ce lien, soit une forte implication de la sensibilisation centrale dans la douleur ainsi que dans le mésusage des opioïdes.
Si la crise sanitaire dite des opioïdes a fortement ébranlé les États-Unis, la situation est beaucoup moins catastrophique en France. Il n’empêche que la vigilance reste de mise et que la Haute Autorité de santé (HAS) a publié, en mars dernier, un guide de bon usage des médicaments opioïdes [1] dont le mésusage peut avoir des conséquences parfois dramatiques. De plus, ce trouble de l’usage des opioïdes (TUO) peut aussi être à l’origine d’une hyperalgésie.
Beaucoup d’articles ont évidemment été publiés sur le sujet explorant les différentes facettes du problème. Une équipe multidisciplinaire américaine a récemment examiné le TUO (en anglais Opioid Use Disorder ou OUD) sous un angle original, faisant l’hypothèse qu’une sensibilisation centrale, soit un dysfonctionnement de la modulation de la douleur dans le système nerveux central aboutissant à une augmentation de la perception de la douleur, qui pourrait jouer un rôle clé dans cette pathologie. Or il existe un certain type de douleurs dans lesquelles interviendrait le même phénomène : les douleurs nociplastiques dont le représentant le plus connu est la fibromyalgie.
Trois types de douleurs
Rappelons que l’Association internationale d'étude de la douleur (International Association for the Study of Pain [IASP]) individualise aujourd’hui trois types différents de douleurs :
- les douleurs nociceptives, les plus courantes, dues à la stimulation des fibres sensitives périphériques (fracture, contusion, etc.) ;
- les douleurs neuropathiques (cf. notre article du 21 novembre 2019), dues à une atteinte du système nerveux périphérique ou central (diabète, sciatique, etc.) ;
- les douleurs nociplastiques (cf. notre article du 21 juillet 2022), dont le chef de file est la fibromyalgie.
Un marqueur indirect de sensibilisation centrale
O Trent Hall et al. [2] ont donc mis en place une étude dans laquelle 141 participants souffrant d’un TUO, recrutés dans un centre de prise en charge des addictions, ont répondu à plusieurs questions concernant la douleur (Brief Pain Inventory), la qualité de vie (RAND-36), en faisant également part de leurs croyances à propos de la douleur et de leurs attentes d’un traitement antalgique ou de leur addiction.
Mais, surtout, ils ont rempli un questionnaire mis au point par le Collège américain de rhumatologie destiné à repérer la fibromyalgie : l’American College of Rheumatology 2011 Fibromyalgia Survey Criteria (ACR-FMS). L’idée était d’utiliser cet outil comme marqueur indirect d’une sensibilisation centrale.
Les résultats obtenus apparaissent confirmer l’hypothèse de départ puisqu’un lien entre l’existence d’une sensibilisation centrale, la douleur et la qualité de vie a été mis en évidence. L’importance de la sensibilisation centrale était également corrélée au poids de la douleur dans le début, le maintien et l’accroissement du TUO, le délai dans la prise en charge thérapeutique et la rechute.
Les individus souffrant de douleur chronique avaient trois à cinq fois plus de risque de rechuter que ceux présentant un mésusage des opioïdes sans douleur.
Beaucoup de douleurs nociplastiques
Environ un tiers des patients interrogés avaient des scores ACR-FMS élevés (≥13) en faveur de l’existence d’une fibromyalgie. Une très forte proportion aux dires des auteurs, au regard de la prévalence de cette maladie estimée entre 2 % et 4 %. Dans ce groupe, les résultats étaient encore plus criants.
À cet égard, il faut souligner que la plupart des patients ont rapporté, non seulement des douleurs souvent diffuses, mais aussi de la fatigue, des troubles cognitifs, des douleurs abdominales, etc., ces signes faisant aussi partie du tableau clinique des douleurs nociplastiques.
Un facteur de risque indépendant ?
Pour O Trent Hall et al., la possibilité d’une association entre une sensibilisation centrale et le TUO plaide pour que les douleurs nociplastiques soient étudiées comme un facteur de risque indépendant.
Par ailleurs, à côté des causes neurologiques, les auteurs ajoutent d’autres facteurs de risque pouvant induire un TUO comme certains polymorphismes génétiques ou des antécédents de traumatismes infantiles.
Ce travail a donc le mérite de ne pas avoir étudié le trouble de l’usage des opioïdes sous le seul angle médicamenteux, mais d’avoir aussi pris en compte le caractère de la douleur pouvant signer la participation d’une sensibilisation centrale. Cette dernière pourrait donc être un maillon permettant de relier les douleurs chroniques et un trouble de l'usage des opioïdes.
©vidal.fr
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