La priorité des réfugiés ukrainiens, c'est d'être mis en sécurité, d'avoir un hébergement, un accueil à l'école pour les enfants (illustration).
Résumé
À ce jour, 57 000 personnes ayant fui l'Ukraine ont été accueillies en France. Beaucoup de ces réfugiés ont été confrontés à des événements traumatiques dont il est difficile d'en mesurer les conséquences. Les médecins généralistes vont avoir un rôle important à jouer pour repérer d'éventuels signes de dépression ou de stress post-traumatique chez des patients peu enclins à se confier sur leur santé mentale.
À ce jour, 57 000 personnes ayant fui l'Ukraine ont été accueillies en France. Beaucoup de ces réfugiés ont été confrontés à des événements traumatiques dont il est difficile d'en mesurer les conséquences. Les médecins généralistes vont avoir un rôle important à jouer pour repérer d'éventuels signes de dépression ou de stress post-traumatique chez des patients peu enclins à se confier sur leur santé mentale.
« Pour prendre en charge des personnes réfugiées d'Ukraine, nous avons réussi à mobiliser des médecins en exercice, et aussi de jeunes retraités, ayant cessé leur activité au cours des trois dernières années. Grâce à leur engagement, nous avons pu proposer des consultations à raison de trois à quatre vacations d'une demi-journée par semaine », indique le Dr Marianne Lainé, médecin généraliste à la maison de santé St-Eloi à Rouen.
Grâce à cette mobilisation, ces médecins normands reçoivent, chaque semaine, environ vingt-cinq patients ukrainiens. « Ces consultations sont assurées de manière bénévole et gratuite. Ces réfugiés peuvent certes faire valoir leurs droits à bénéficier d'une couverture par l'Assurance maladie. Mais beaucoup n'ont pas encore eu le temps de faire les démarches nécessaires », ajoute le Dr Lainé, par ailleurs vice-présidente du conseil départemental de l'Ordre.
Pas de plaintes d'ordre psychologique
Ce sont pour des problèmes de santé relativement banals que ces personnes poussent la porte de la maison de santé. « Des céphalées, des douleurs ostéo-articulaires, des bronchites, des pathologies ORL, des problèmes infectieux aigus », précise la généraliste, en avouant avoir été frappée par l'absence de toute plainte d'ordre psychologique de la part de ces personnes, ayant pourtant vécu un traumatisme important avec la fuite de leur pays touché par la guerre.
« Nous avions prévu tout un dispositif pour adresser, si besoin, ces patients en urgence à des psychologues ou des psychiatres à l'hôpital. Mais, finalement, cela n'a pas été nécessaire. En apparence, ils n'expriment aucune souffrance psychologique. Ils disent qu'ils dorment correctement, qu'ils n'ont pas d'angoisses », souligne le Dr Lainé, consciente qu'il ne s'agit sans doute que d'un discours de façade ou d'un mécanisme de protection personnelle face à une souffrance enfouie ou difficile à verbaliser.
« Parmi les réfugiés, il y avait notamment une consœur généraliste qui vient juste de repartir à Kiev. Elle nous a apporté une aide précieuse comme interprète pour certaines consultations », raconte le Dr Lainé, en ajoutant que durant tout son séjour en Normandie, cette généraliste ukrainienne a toujours fait front, sans jamais montrer la moindre fragilité. « Elle me disait qu'elle allait bien, qu'elle n'avait pas de problème d'insomnie. Mais à la veille de son retour en Ukraine, elle m'a confié qu'elle ne dormait plus depuis le début de la guerre », ajoute-t-elle.
Comment vont les 57 000 réfugiés ukrainiens, qui ont été accueillis en France au cours des dernières semaines ? Voilà une question à laquelle il est difficile de répondre aujourd'hui. Même s'ils ne sont plus directement confrontés à la guerre, ces civils ont vécu des événements traumatiques dont il est compliqué de mesurer les conséquences à ce stade. « Ces populations ont dû fuir une situation de guerre et quitter leurs pays en laissant derrière elles leur vie et tous leurs repères. Pour certains, il y a eu une confrontation directe avec les bombardements, les destructions, la vision de corps de personnes décédées, des blessés », indique le Pr Thierry Baubet, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital Avicenne de Bobigny (APHP) et codirecteur du Centre national de ressources et de résilience.
Culpabilité et angoisse permanente
Le psychiatre note que les personnes, accueillies en France, sont majoritairement des femmes et des enfants, ayant souvent laissé derrière eux un mari ou un père, resté combattre. « Ces familles sont désormais à l'abri des bombes, mais les hommes sont toujours sous la menace. Cela peut faire émerger un sentiment de culpabilité et une angoisse permanente. Car la guerre n'est pas finie. Cette situation est différente d'un événement traumatique ponctuel, délimité dans le temps. Un attentat, par exemple, peut avoir un impact majeur, mais une fois l'événement passé, il y a une mise en sécurité. Là, ces familles sont confrontées à un trauma qui dure, sans limite fixée dans le temps. »
Dans ce contexte, les médecins doivent rester vigilants face à l'émergence de possibles troubles psychologiques. Sans pour autant se précipiter. « Il faut un peu de temps avant de poser un diagnostic de stress post-traumatique. Au cours des premières semaines, il est normal que ces personnes éprouvent un état de stress aigu, sans toujours pouvoir en parler. C'est une réaction logique et il ne faut pas tout "psychiatriser" ni "psychologiser" d'emblée. Si les symptômes s'installent et durent au-delà d'un mois, là peut se poser la question d'un diagnostic de stress post-traumatique », souligne le Pr Baubet.
Ces réfugiés peuvent compter sur la mobilisation de nombreux soignants français et aussi des professionnels de santé de leurs pays. « Il faut laisser du temps aux personnes pour exprimer ce qu'elles ressentent. Leur priorité immédiate, à leurs yeux, n'est pas de confier leurs émotions. C'est d'être mises en sécurité, d'avoir un hébergement, un accueil à l'école pour les enfants. La première aide c'est de répondre à un certain nombre de besoin de base, explique Olga Tolmachova, psychologue ukrainienne, interprète médicale et ergothérapeute, installée en France depuis quelques années. Pour ces personnes réfugiées, c'est compliqué de dire qu'elles vont mal psychologiquement. Elles se disent qu'elles n'ont pas le droit de se plaindre, de raconter ce qu'elles perçoivent comme de petits soucis personnels. Notre rôle est de ne rien précipiter, mais d'être attentifs à l'évolution au fil du temps, par exemple, il faut être vigilant face à des patients devenant apathiques ou agressifs. »
Les généralistes, premier contact médical
Dans ce contexte, les médecins généralistes ont un rôle important à jouer. Car, dans la plupart des cas, ils sont les premiers professionnels de santé vers lesquels les réfugiés vont se tourner. « Il est très peu probable que ces derniers aillent d'emblée consulter en psychiatrie. J'en ai discuté avec des collègues ukrainiens qui m'ont expliqué que le recours au "psy" est encore vécu comme très stigmatisant pour beaucoup de gens en Ukraine. Pour certains, voir arriver un "psy", c'est plus effrayant qu'autre chose. Il s'agit là sans doute d'une situation héritée du système soviétique et de sa conception très particulière de la psychiatrie », décrypte le Pr Baubet, en évoquant la « porte d'entrée » que constituent les cabinets des médecins de famille.
« Les médecins traitants devront rechercher d'éventuels troubles post-traumatiques ou des dépressions. Une fois le diagnostic posé, il faudra savoir si le patient est d'accord pour aller consulter en psychiatrie », indique le Pr Baubet.
Selon lui, les praticiens devront surtout être vigilants s'ils sont amenés à délivrer des médicaments pour permettre à ces patients d'aller mieux. « Les somnifères, les calmants, les anxiolytiques ne sont pas de bons traitements pour ce type de troubles. Ils peuvent certes aider à dormir, à se sentir moins envahis. Mais ces médicaments masquent aussi les troubles sans s'attaquer au fond du problème. Dans un cas comme celui-là, il faut privilégier les antidépresseurs sérotoninergiques ou les anxiolytiques comme l'hydroxyzine (ATARAX) plutôt que les benzodiazépines qui ont un fort potentiel addictif », précise le Pr Baubet.
À Rouen, la question des médicaments ne s'est pas posée dans les consultations du Dr Lainé. « Aucun de ces réfugiés ne m'a demandé de lui donner "quelque chose" pour l'aider à mieux dormir », reconnaît la généraliste.
Mais pour aller mieux, il faut aussi et surtout que la vie reprenne peu à peu le dessus. Malgré la guerre. « Il est important de ne pas laisser les familles isolées dans des chambres d'hôtels ou des foyers d'hébergement, souligne le Pr Baubet. Il faut réinstaurer des repères de vie quotidienne. Il est essentiel, ainsi, que les enfants puissent aller à la crèche ou à l'école. C'est crucial pour eux, mais aussi pour les mères afin qu'elles puissent un peu souffler. Il faut aussi organiser des temps d'expression collective. Cela peut prendre la forme de groupes de paroles ou d'activités en commun, par exemple, de cuisine pour les mamans ou d'ateliers d'expression artistique pour les enfants. Tout ce qui permet d'évacuer un trop plein peut être utile. »
©vidal.fr
Pour en savoir plus
- Tutin C. Migrants venant d'Ukraine : une consultation spécifique après l'arrivée en France. VIDAL actualités, 5 avril 2022
- Tutin C. Migrants ukrainiens : vérifier et compléter le statut vaccinal. VIDAL actualités, 5 avril 2022
- Avis relatif aux enjeux de santé publique et au rendez-vous santé des personnes migrantes en provenance des zones de conflits en Ukraine. HCSP, 23 mars 2022
- Fiche d'information. Santé publique France, 16 mars 2022
- 2022-DGS-Urgent 45 : Ukraine - Appui du système de santé français
- L'Assurance maladie active ses dispositifs d'accès aux droits et aux soins auprès des Ukrainiens. Ameli.fr, mise à jour le 22 avril 2022
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Sources
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