La distinction entre opioïdes faibles et forts peut déterminer à tort un sentiment de sécurité avec les opioïdes les plus prescrits (illustration).
- rappeler les principes généraux d'utilisation des médicaments opioïdes (respect des indications, prescription avec titration, repérage des patients à risque de mésusage, réévaluations régulières pour apprécier le rapport bénéfices-risques, etc.) ;
- promouvoir le bon usage des médicaments antalgiques opioïdes dans la douleur aiguë et chronique, liée au cancer ou non, chez les patients de plus de 15 ans ;
- favoriser le bon usage des médicaments de substitution aux opioïdes et de la naloxone dans le cadre de la prévention et de la prise en charge du trouble de l'usage et des surdoses d'opioïdes.
Ce texte, qui est destiné aussi bien aux professionnels de santé qu'aux patients, a pour but principal de prévenir le mésusage aux opioïdes dans le traitement des douleurs aiguës ou chroniques après l'âge de 15 ans (cf. VIDAL Reco « Douleur de l'adulte ». « Si l'on n'observe pas de crise des opioïdes en France, on déplore en effet tout de même plusieurs centaines de décès par an par overdose à ces médicaments », souligne le Pr Nicolas Authier, psychiatre addictologue et pharmacologue à Clermont-Ferrand, et président du groupe de travail pluridisciplinaire à l'origine de cette recommandation. « L'un des principaux messages du texte est de faire disparaître la distinction entre opioïdes faibles et forts, qui peut déterminer à tort un sentiment de sécurité avec les opioïdes les plus prescrits, poursuit le Pr Authier (cf. Tableau ci-dessous). Cette notion de puissance est pharmacologique et correspond au fait qu'il faut des doses plus importantes pour un opioïde faible que pour un opioïde fort pour obtenir le même effet. Mais, les deux ont les mêmes effets indésirables, et un opioïde dit faible ne l'est pas en termes de risques. »
Favoriser un accès gratuit à la naloxone, antidote des opioïdes
La recommandation promeut un usage plus large de la naloxone. « Il serait souhaitable que tous les patients, notamment ceux à risque de mésusage, puissent avoir sans ordonnance accès gratuitement auprès de leur pharmacien à un kit de naloxone. Cela permettrait à l'entourage d'intervenir en cas de surdosage. Cette mesure aurait, de plus, un effet éducatif en sensibilisant les patients à ce risque de surdose en opioïde », ajoute le Pr Authier.
Une prescription limitée à 14 jours dans les douleurs aiguës modérées à sévères
La conduite à tenir pour la prescription d'opioïdes est précisée sous forme d'algorithmes dans les douleurs aiguës (cf. Figure 1) sans et avec consommation d'opioïdes en cours (notamment traitement de substitution), et les douleurs chroniques non cancéreuses et cancéreuses.
Les opioïdes antalgiques peuvent être utilisés en l'absence de traitement étiologique dans certaines douleurs aiguës sévères (score > 6 sur l'échelle numérique [EN]) et en seconde intention dans des douleurs aiguës modérées (score compris entre 4 et 6 sur l'EN). « Néanmoins, quel que soit le contexte : post-traumatique, postopératoire, etc., la première prescription ne devra pas durer plus de 14 jours, sans réévaluer le rapport bénéfices/risques, ce afin de limiter l'apparition d'une dépendance », insiste le Pr Authier. L'opioïde prescrit (à la dose efficace la plus faible) doit aussi être à libération immédiate, et hors contexte d'urgence, donné par voie orale.
Les opioïdes ne seront de toute façon prescrits qu'en seconde intention dans les douleurs dentaires, les lombalgies aiguës, les traumatismes simples du rachis et des membres, les coliques néphrétiques. Par ailleurs, ils ne constituent jamais un traitement des céphalées et, encore moins, des migraines (voir VIDAL Reco « Migraine : traitement de la crise », recommandations de 2021, mise à jour le 19 janvier 2022). « Pourtant, en France la majorité des prises de codéine est motivée par la présence de céphalées ou migraines », déplore le Pr Authier.
Dans les douleurs aiguës légères, le traitement repose sur le paracétamol, parfois sur les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en cas de composante inflammatoire.
Traiter la douleur des patients sous traitement de substitution
La recommandation détaille aussi comment traiter les douleurs aiguës et chroniques des patients recevant un médicament de substitution aux opioïdes (MSO), méthadone ou buprénorphine, traitement de référence de la dépendance aux antalgiques opioïdes comme à l'héroïne (cf. Figure 2).
« Les traitements antalgiques sont, à tort, souvent moins prescrits chez ces patients car les MSO ont une activité antalgique. Mais, cet effet antalgique n'est pas obtenu avec la monoprise quotidienne proposée. Lorsque ces patients conservent sous MSO une douleur d'intensité modérée, il faudra en fait augmenter la posologie du MSO, fractionner le traitement en 3-4 prises par jour, et éventuellement ajouter un antalgique non opioïde (paracétamol, etc.) », conseille le Pr Authier.
Dans les douleurs aiguës sévères sensibles aux opioïdes, un opioïde agoniste complet pourra être associé à la méthadone fractionnée en 3-4 prises.
En revanche, la buprénorphine, agoniste partiel opioïde, devra être arrêtée (au moins provisoirement) et remplacée par un opioïde agoniste complet dans les 8 à 12 heures.
« Dans les douleurs chroniques non cancéreuses, les thérapeutiques non médicamenteuses et les médicaments non opioïdes seront privilégiées. Les antalgiques opioïdes, qui ne doivent être proposés qu'en dernière intention, ne sont en effet pas les plus efficaces alors qu'ils risquent d'entraîner une dépendance du fait de la chronicité de la douleur. Ils n'ont ainsi aucune place dans la fibromyalgie, où ils peuvent, au contraire, venir amplifier une hypersensibilité à la douleur », précise le Pr Authier.
Ils ne seront prescrits qu'après repérage d'éventuels risques de mésusage. « On sera ainsi plus vigilant en cas de trouble anxieux, dépressif, d'addiction (à l'alcool, au tabac, aux anxiolytiques, etc.), pour le renouvellement des ordonnances, et on pourra adresser les cas complexes pour avis à une consultation spécialisée », préconise le Pr Authier.
Des objectifs réalistes de diminution de la douleur seront définis avec le patient et le traitement sera instauré progressivement. Le fentanyl transmuqueux n'est pas indiqué dans ces douleurs non cancéreuses (pas d'AMM).
Des réévaluations régulières, mensuelles au cours des 6 premiers mois, permettront de vérifier si l'effet antalgique a été atteint, de rechercher des effets secondaires et d'apprécier si un trouble de l'usage des opioïdes (TUO) est apparu, « éventuellement grâce à des échelles comme POMI-5F », recommande le Pr Authier (cf. Figure 3). Un effet indésirable difficile à gérer (syndrome confusionnel) pourra conduire à changer d'opioïde.
Les items sélectionnés dans cette échelle ont fait l'objet d'une validation en langue anglaise. Ils illustrent les principaux signes cliniques suggérant l'existence d'un mésusage des opioïdes de prescription (MOP) : un score de 2 ou plus suggère un risque actuel de mésusage.
Source : Delage N, Cantagrel N, Delorme J, Pereira B, Dualé C, Bertin C, et al. Transcultural validation of a French–European version of the Prescription Opioid Misuse Index Scale (POMI-5F). Can J Anesth 2022. http://dx.doi.org/10.1007/s12630-022- 02210-7
Douleurs chroniques cancéreuses : un intérêt indéniable
Certaines douleurs chroniques cancéreuses nociceptives (comme celles liées aux métastases osseuses) sont très sensibles aux antalgiques opioïdes. Pour autant, le traitement étiologique doit être privilégié (cf. Figure 5).
La prescription du traitement opioïde prendra en compte, comme dans les douleurs chroniques non cancéreuses, le risque de mésusage, et reposera sur des réévaluations régulières. Les objectifs visés sont, hors l'absence de TUO, d'avoir une douleur de fond absente ou faible et moins de 4 accès douloureux par jour avec efficacité antalgique supérieure à 50 %, et maintien des activités habituelles.
Pour en savoir plus
- Recommandation de bonne pratique. HAS, 24 mars 2022
- Questionnaire POMI-5F. Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA) (échelle validée en français, recommandée par la HAS) pour repérer un mauvais usage d'un antalgique opioïde.
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.