Une étude N-of-1, pour évaluer un traitement et impliquer le patient dans son suivi médical (illustration).
Une étude N-of-1 (N-de-1) est une épreuve thérapeutique menée à l'échelle d'une personne, mais qui reprend les caractéristiques d'un essai clinique randomisé, contrôlé par un placebo. Le patient est son propre témoin et reçoit, en double aveugle, soit le traitement, soit un placebo, au cours de périodes successives dont l'ordre est décidé de façon aléatoire. Parfois, un 3e élément est envisagé en plus du traitement et du placebo : une absence de traitement (donc en ouvert), pendant une ou plusieurs périodes, ce qui permet d'évaluer les effets indésirables déclenchés par le seul fait de devoir prendre un médicament (effet nocebo).
Ce type d'étude est le plus souvent destiné à recueillir des données d'efficacité et de toxicité chez un patient, afin de mieux adapter son traitement. Néanmoins, dans certains cas, mener en parallèle une série d'études N-of-1 chez des malades en situation similaire peut permettre d'obtenir des données plus générales, en particulier concernant la survenue d'effets indésirables liés à un médicament particulier.
Sur le plan éthique et réglementaire, une étude N-of-1 n'est pas considérée comme un essai clinique. Seule la conduite d'une batterie de N-of-1 identiques, sur plusieurs patients, relève de la recherche clinique et de ses contraintes légales.
Les études N-of-1 exigent la préparation d'un placebo et d'un traitement parfaitement identiques, sous la forme de préparations magistrales, qui impliquent la participation d'un pharmacien.
Même lorsqu'elle est conduite dans le but d'optimiser le traitement d'un patient, une étude N-of-1 bénéficie d'être analysée avec des outils statistiques appropriés.
Quand une étude N-of-1 est-elle envisageable ?
Du fait même de son principe, une étude N-of-1 est particulièrement adaptée pour explorer l'efficacité ou la toxicité d'un traitement, en particulier lorsqu'il s'agit d'un traitement dont l'efficacité est connue pour être sujette à une forte variabilité individuelle. Elle peut l'être également lors de prescriptions hors AMM, lorsque le patient présente des caractéristiques particulières, peu représentées dans les essais cliniques ayant mené à l'AMM (âge, comorbidités, autres traitements, par exemple), ou pour décider de la déprescription d'un traitement qui pourrait être devenu inutile.
Ces études sont également intéressantes lorsqu'il n'existe pas de marqueurs biologiques sur lesquels objectiver la réponse au traitement. Les symptômes survenus lors des différentes périodes peuvent alors être enregistrés par le patient sous la forme d'un journal des symptômes avec usage d'une échelle visuelle analogique (EVA).
De plus, parce que l'étude N-of-1 consiste à alterner des périodes dont certaines sans traitement, la pathologie concernée doit être relativement stable, avec une progression lente et sans risque d'aggravation rapide en l'absence de traitement (périodes de placebo ou de surveillance active sans traitement). Enfin, il est indispensable que le traitement évalué produise ses effets rapidement (et cesse rapidement d'en produire lors d'un arrêt).
Les N-of-1 sont donc plus adaptées aux maladies chroniques ou récidivantes, progressant lentement, et également à l'évaluation d'un traitement antalgique prolongé ou à risque d'addiction.
Les questions à se poser avant d'envisager une étude N-of-1
Dans un article didactique sur les études N-of-1, paru en 2019 dans la Revue médicale suisse, les auteurs proposent une liste de questions à se poser avant d'envisager une étude de ce type :
- Une étude N-of-1 peut-elle répondre la question clinique posée ?
- Le patient est-il motivé à collaborer à la conception et au déroulement d'une étude N-of-1 ?
- Une étude N-of-1 est-elle envisageable chez ce patient ?
- Le patient est-il capable de comprendre les consignes ?
- L'effet du traitement peut-il être rapidement mis en évidence ?
- La disparition de l'effet du traitement survient-elle rapidement après son arrêt ?
- Des mesures fiables peuvent-elles être relevées ?
- La réalisation de cette étude N-of-1 est-elle éthique ?
L'étude du New England Journal of Medicine sur les effets indésirables musculaires de l'atorvastatine
Parfois, plusieurs études N-of-1 similaires peuvent être menées en parallèle pour tenter de répondre à une question générale sur un traitement, au-delà du suivi individuel de chaque malade.
Le 26 novembre 2020, une lettre à l'éditeur du New England Journal of Medicine a présenté les résultats d'une série de 60 études N-of-1 portant sur l'évaluation des effets indésirables musculaires lors de la prise d'atorvastatine, chez des patients ayant eu ce type d'effets indésirables dans les 2 semaines ayant suivi une prescription préalable de cette statine, et ayant cessé ce traitement du fait de ces effets indésirables. Ce travail a été financé par la British Heart Foundation.
Ces études N-of-1 ont comparé trois modalités thérapeutiques (atorvastatine 20 mg/j, placebo, absence de traitement), alternées de manière aléatoire, sous forme de périodes mensuelles se succédant sur un total de 12 mois (49 patients ont poursuivi leur étude pendant 12 mois complets). L'intensité des effets indésirables a été enregistrée grâce à une EVA, à remplir chaque jour sur une application mobile (échelle de 0 à 100, 100 correspondant aux pires symptômes musculaires envisageables).
Selon cette batterie d'études N-of-1, l'intensité moyenne des effets indésirables musculaires constatés a été :
- de 8 (IC 95% : 4,7-11,3) lors des périodes sans traitement ;
- de 15,4 (IC 95% : 12,1-18,7) lors des périodes d'administration du placebo (p < 0,001, par comparaison avec celles sans traitement) ;
- de 16,3 (IC 95% : 13,0-19,6) au cours des périodes d'administration de l'atorvastatine (p < 0,001 par comparaison avec les périodes sans traitement ; p = 0,39 par comparaison avec les périodes d'administration du placebo).
L'étude du British Medical Journal sur les effets indésirables musculaires de l'atorvastatine
Le 10 décembre 2020, le British Medical Journal a également publié un article présentant les résultats d'une série de 200 études N-of-1, conduites chez les mêmes types de patients que dans l'étude du New England Journal of Medicine (c'est-à-dire ayant arrêté un traitement par atorvastatine du fait d'effets indésirables musculaires sévères). Ce travail a été financé par la London School of Hygiene and Tropical Medicine.
Les études N-of-1 ont alterné des périodes atorvastatine 20 mg/j et des périodes placebo (6 périodes de 2 mois ; 151 patients ayant effectué les 12 mois complets). L'intensité des effets indésirables musculaires était enregistré via une EVA (application mobile, téléphone ou par écrit), les 7 derniers jours de chaque période de 2 mois.
En termes d'intensité des effets indésirables musculaires, aucune différence n'a été mise en évidence entre les périodes atorvastatine et les périodes placebo (p = 0,4). Au cours de l'ensemble des périodes atorvastatine, 9 % (18) des patients ont arrêté leur traitement du fait de ces effets indésirables, et 7 % (13) pendant l'ensemble des périodes placebo.
Comme dans l'étude du New England Journal of Medicine, les résultats individuels ont été discutés avec chaque participant : deux tiers ont alors décidé de recommencer le traitement (de nouveau, tous l'avaient arrêté avant l'étude).
L'étude N-of-1, pour favoriser la participation du patient aux décisions concernant son traitement
Comme précisé précédemment dans la liste de questions à se poser avant d'envisager une étude N-of-1, ce type d'étude implique la participation active du patient et sa compréhension de la méthode employée. De plus, en se référant aux deux études sur l'atorvastatine, une étude N-of-1 débouche forcément sur un partage et une discussion des résultats avec le malade.
Ainsi, pour les patients chez qui ces études sont possibles, les N-of-1 constituent une opportunité de favoriser leur participation aux choix thérapeutiques qui les concernent, dans une optique de décision partagée, donc éclairée. Choix du traitement, arrêt d'un traitement inutile ou potentiellement addictif, amélioration de l'observance, etc. : les occasions sont nombreuses où une étude N-of-1 peut enrichir la relation entre le médecin et le patient, et contribuer à améliorer le sentiment de contrôle de ce dernier vis-à-vis de sa santé.
Le principe de l'étude N-of-1 peut même être étendu par le patient à sa prise de décision vis-à-vis de thérapeutiques complémentaires (« alternatives »), avec l'aide de son médecin traitant, évitant ainsi de gaspiller ses ressources financières dans des approches dénuées de résultats.
La consultation N-of-1, un service qui pourrait être rendu aux médecins intéressés
Parce que mener une étude N-of-1 nécessite, à la fois, des ressources matérielles (formulations identiques pour le traitement et le placebo), une bonne connaissance des EVA validées et une maîtrise des outils statistiques adaptés, certains centres universitaires ont décidé de proposer des « consultations N-of-1 » aux praticiens intéressés.
C'est le cas, par exemple, du service de pharmacologie clinique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV, Lausanne, Suisse) qui propose une consultation ambulatoire afin de soutenir les praticiens dans l'organisation de tous les aspects pratiques d'un test N-of-1 : information du patient, définition des séquences de périodes, fourniture de placebo et de substance active d'apparence similaire, visites de suivi, évaluation statistique, etc. À la fin de l'étude, un rapport est adressé au médecin et au patient qui peuvent alors décider de la poursuite ou non du traitement. La généralisation de ce type de soutien logistique et méthodologique pourrait grandement aider les médecins traitants souhaitant s'engager dans cette démarche.
En conclusion, les études N-of-1 sont sous-exploitées, tant dans l'évaluation de l'efficacité et de la toxicité d'un traitement à l'échelle d'un malade, que dans l'amélioration de la participation du patient atteint de maladie chronique à son suivi médical.
Menées en série, ces études peuvent également constituer un outil complémentaire des essais cliniques randomisés, en particulier en phase 4, pour mieux cerner les effets, thérapeutiques ou indésirables, chez certains types de patients.
©vidal.fr
Pour aller plus loin
L'article didactique sur les N-of-1 paru dans la Revue de médecine suisse
Diezi L & Buclin T. N-of-1 trials ou essais thérapeutiques individuels: un test probant pour diagnostiquer l'efficacité thérapeutique. Rev Med Suisse 2019 ; 15 : 2058-61.
La lettre à l'éditeur du New England Journal of Medicine sur les effets indésirables de l'atorvastatine
Wood FA, Howard JP, Finegold JA et al. N-of-1 Trial of a Statin, Placebo, or No Treatment to Assess Side Effects. N Engl J Med 2020; 383:2182-2184.
L'article publié dans le British Medical Journal sur les effets indésirables de l'atorvastatine
Herrett E, Williamson E, Brack K et al. Statin treatment and muscle symptoms: series of randomised, placebo controlled n-of-1 trials. BMJ, 2021, 372.
Une étude qualitative sur l'intérêt des N-of-1 dans la relation patient-soignant
Nikles CJ, Clavarino AM & Del Mar CB. Using n-of-1 trials as a clinical tool to improve prescribing. British Journal of General Practice 2005;55:175–180.
Le service de consultation N-of-1 du CHUV, Lausanne.
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.