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La survenue d'accidents rares mais graves, voire mortels, dans les suites de l'administration du vaccin anti-covid Vaxzevria du laboratoire AstraZeneca a eu pour effet de faire suspendre la vaccination dans plusieurs pays, puis d'entrainer une vague de refus de ce vaccin lorsqu'il a été à nouveau autorisé et recommandé, comme en France.
Parmi tous les événements indésirables qui ont été rapportés après la vaccination, la plupart banals et sans gravité à long terme, les accidents qui suscitent interrogations et inquiétude sont de nature particulière. Alors que les déclarations ont tout d'abord fait évoquer des phlébites périphériques et des embolies pulmonaires, pathologies relativement fréquentes, aux causes multiples, des phénomènes moins communs de formation de caillots dans les veines cérébrales (thrombose des sinus veineux cérébraux, TSVC) associés à une thrombocytopénie (une diminution du nombre des plaquettes, les cellules sanguines impliquées dans la coagulation et la protection contre les hémorragies) ont été décrits. Par ailleurs, ces accidents se sont signalés par leur survenue quelque peu retardée, entre 3 et 10 jours après la vaccination, et très majoritairement chez des femmes âgées de moins de 50 ans.
Si l'on prend en considération tous les événements indésirables graves observés après l'administration du vaccin Vaxzevria, leur fréquence ne parait pas anormalement élevée en comparaison avec d'autres vaccins. Parmi ces événements, les accidents thromboemboliques cérébraux sont rares : selon les données collectées par l'Agence européenne des médicaments (EMA), on recensait fin mars 62 cas de thrombose veineuse cérébrale dans le monde, dont 44 dans les 30 pays de l’Espace économique européen (Union européenne, Islande, Norvège, Liechtenstein) pour 9,2 millions de doses de Vaxzevria administrées. Pour l'EMA et l'OMS, comme pour les agences nationales de nombreux pays, les bénéfices du vaccin Vaxzevria l'emportent toujours largement à ce jour sur les risques. Cependant, la nature et la gravité des accidents font exception et ont attiré l'attention de médecins, des autorités de surveillance et du grand public. Des pays ont donc décidé de réserver le vaccin aux personnes les plus âgées dans leur population (plus de 55 ans en France et au Canada, plus de 60 ans en Allemagne et aux Pays-Bas, plus de 65 ans en Suède et Finlande), puisque les accidents n'ont pas été observés dans ces tranches d'âge.
Que sait-on aujourd'hui de ces accidents et de leur lien avec le vaccin ?
La thrombose des sinus veineux cérébraux, aussi appelée thrombose veineuse cérébrale ou thrombophlébite cérébrale, correspond à la formation de caillots dans le système veineux drainant le sang qui irrigue le cerveau. L'obstruction réalisée a plusieurs conséquences (mauvaise oxygénation du cerveau, augmentation de la pression intracrânienne, hémorragies), dont les manifestations sont progressives, généralement étalées sur plusieurs jours ou semaines (à l'inverse des accidents vasculaires cérébraux d'origine artérielle, de manifestation très brutale). Ce sont surtout des céphalées, qui peuvent se compliquer de déficits neurologiques variés en fonction de la localisation de la thrombose et parfois de crises d'épilepsie.
Des cas ont été observés dans la plupart des pays qui ont utilisé Vaxzevria et paraissent toujours plus nombreux. Le Royaume-Uni, qui, lorsque plusieurs pays européens ont suspendu l'utilisation du vaccin AstraZeneca, a d'abord indiqué ne pas en avoir eu connaissance, a fait savoir le 3 avril que 30 cas de formation de caillots avaient été enregistrés pour 18,1 millions de doses administrées, dont 22 cas à localisation cérébrale et 7 mortels. Cependant, pour l'agence de régulation anglaise (MHRA) comme pour l'EMA, aucun lien de causalité n'est encore établi entre le vaccin et ces thromboses rares. Mais les agences reconnaissent que ce lien ne peut pas non plus être exclu et des investigations sont donc en cours.
Le vaccin peut-il être responsable ?
Depuis la description des premiers cas, la thrombose des sinus veineux cérébraux est parfois apparue comme un accident de découverte récente, exceptionnel, pour lequel le lien avec une vaccination ne pouvait pas être une simple coïncidence. Or, il s'agit d'une pathologie connue, certes rare, dont l'incidence annuelle chez l'adulte est évaluée entre 2 et 15,7 cas par million selon les études (1). A la différence des accidents d'origine artérielle, la TSVC affecte surtout les sujets jeunes (âge moyen de 35 ans) et deux fois plus souvent les femmes que les hommes. Le manque de spécificité des symptômes fait que le diagnostic, apporté par l'IRM cérébrale, est souvent retardé, de 7 jours en moyenne. Le traitement fait appel aux anticoagulants, dont l'héparine, et le pronostic est le plus souvent favorable, avec récupération totale. La létalité (risque de décès chez les malades) peut toutefois atteindre 10 %.
Les causes ou facteurs de risque possibles sont multiples : infection ou cancer à localisation céphalique, traumatisme, acte chirurgical, ponction lombaire, état pouvant favoriser des accidents thrombotiques tels que syndrome néphrotique, vasculite, grossesse. La prise de contraceptifs oraux est de loin le facteur de risque le plus souvent retrouvé, présent chez 80 % des femmes atteintes de TSVC (2).
La survenue de TSVC chez quelques personnes pourrait donc n'avoir aucun lien avec une vaccination, mais certaines observations et données sèment le doute :
- Des expériences de laboratoire montrent que l'injection de grandes quantités d'adénovirus (le virus utilisé comme vecteur dans le vaccin Vaxzevria) directement dans la circulation sanguine, chez la souris, est extrêmement toxique. Mais les quantités de virus utilisées dans ces essais sont des milliers de fois supérieures à celles présentes dans une dose de vaccin, et l'effet toxique se manifeste alors très rapidement, non pas après plusieurs jours comme dans les cas de TSVC.
- Un spécialiste allemand des maladies hématologiques, Andreas Greinacher, a étudié les premiers cas de TSVC observés en Autriche et en Allemagne après injection de Vaxzevria. Ayant remarqué que les troubles de la coagulation se manifestaient plusieurs jours après la vaccination et qu'ils étaient paradoxalement associés à une thrombopénie, il a fait le parallèle avec une réaction connue sous le nom de "thrombopénie-thrombose induite par l'héparine de type II" (TIH type II) observée chez 1 à 3 % des patients recevant de l'héparine. Chez ces patients, des anticorps sont produits contre un complexe formé par l'héparine et un composant des plaquettes sanguines, le PF4 (facteur plaquettaire 4). Les plaquettes sont détruites, leur nombre diminue et leur destruction active la coagulation, entrainant la formation de caillots dans les vaisseaux. Pour A. Greinacher, un mécanisme similaire, qu'il a baptisé "VIPIT" ("Vaccine Induced Prothrombotic Immune Thrombocytopenia", thrombopénie immune prothrombotique induite par le vaccin), pourrait être déclenché non pas par l'héparine mais par le vaccin AstraZeneca.
- Sur le grand nombre d'injections réalisées, en principe intramusculaires, le vaccin pourrait être parfois injecté accidentellement dans un vaisseau sanguin. La manœuvre qui consiste à tirer légèrement sur le piston de la seringue pour vérifier l'absence de sang avant de le pousser pour faire l'injection n'est que rarement recommandée et effectuée. Si le vaccin ne semble pas en mesure de provoquer de TSVC par un effet toxique direct, le passage immédiat de certains composants dans la circulation pourrait favoriser un mécanisme inflammatoire ou immunitaire aboutissant à l'activation de la coagulation.
- Le fait que les TSVC aient surtout été observées chez des femmes jeunes et que les pilules contraceptives soient le principal facteur de risque des thromboses "banales" a naturellement fait évoquer la possibilité que la prise d'œstro-progestatifs ait pu jouer un rôle favorisant dans l'apparition des complications après vaccination. Cependant, selon A. Greinacher, plusieurs des femmes qui ont présenté une TSVC ne prenaient pas ou n'avaient jamais pris de contraceptifs hormonaux. Il n'est pas exclu pour autant que ceux-ci puissent jouer un rôle, considéré comme marginal.
- Plus généralement, les facteurs connus pour favoriser les thromboses (immobilisation, déshydratation, traitements hormonaux) ou les antécédents de maladie thromboembolique ne semblent pas favoriser la survenue de TSVC post-vaccinale. Ceci est donc en faveur d'un mécanisme propre à cette complication.
Des interrogations subsistent donc. Récemment, l'agence norvégienne des médicaments et un membre de l'EMA ont indiqué que le lien entre vaccin Vaxzevria et TSVC leur semblait établi. En France, l'ANSM a eu connaissance de 29 cas de troubles thromboemboliques survenus chez des personnes vaccinées ; 9 d'entre eux correspondaient à des thromboses atypiques des grosses veines cérébrales ou digestives, parfois associées à une thrombopénie, ayant entrainé deux décès. Elle déclare que "le caractère très atypique de ces thromboses, leurs tableaux cliniques proches et le délai de survenue homogène conduisent le comité de suivi à confirmer la survenue, très rare, de ce risque thrombotique chez les personnes vaccinées par le vaccin AstraZeneca" (3).
Ce jour, 7 avril 2021, l'EMA a fait savoir dans une conférence de presse et un communiqué qu'elle envisageait la possibilité d'un lien entre la vaccination par le vaccin AstraZeneca et de "très rares" accidents thromboemboliques associés à une thrombopénie (4). Son comité d'experts (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee, PRAC) précise que les caillots peuvent se produire dans les veines cérébrales ou abdominales (veines splanchniques), mais aussi dans les artères, s'accompagnant de thrombopénie et parfois d'hémorragies, et qu'il n'a pas été identifié de facteurs de prédisposition pouvant conduire à des précautions spécifiques. L'explication retenue pour ces effets est celle, avancée par A. Greinacher, d'une réponse immunitaire semblable à celle qui se produit dans la TIH. L'agence insiste sur la nécessité d'un diagnostic et d'une prise en charge précoces, à même d'éviter les complications et d'accélérer la récupération. Elle rappelle que les bénéfices de la vaccination continuent de l'emporter sur le risque d'effets indésirables.
L'OMS est sur la même position. Elle a fait savoir qu'elle considérait le lien entre le vaccin d'AstraZeneca et la survenue d'accidents thromboemboliques rares comme plausible mais non confirmé.
Les analyses des données de pharmacovigilance doivent se poursuivre et pourront conduire, si nécessaire, à de nouvelles recommandations. Dans cette période de surveillance particulière, l'EMA attire l'attention des professionnels de santé et du public :
- La plupart des cas de thromboses sont survenus chez des femmes de moins de 60 ans.
- Ces cas sont majoritairement signalés dans les 2 semaines suivant l'administration de la 1ère dose de vaccin. Peu de données sont disponibles sur les suites d'une 2ème dose.
- Dans les semaines qui suivent la vaccination, les patients et les professionnels de santé doivent être attentifs à la survenue de signes pouvant être en relation avec une thrombose ou un trouble de la coagulation : essoufflement, douleur de poitrine, œdème des membres inférieurs, douleur abdominale persistante, symptômes neurologiques, y compris maux de tête sévères et persistants ou troubles de la vision, hématomes ou purpura.
Références
- Rapport de l'EMA, 24 mars 2021. Signal assessment report on embolic and thrombotic events (SMQ) with COVID-19 Vaccine (ChAdOx1-S [recombinant]) –COVID-19 Vaccine AstraZeneca (Other viral vaccines).
- Dentali F, Crowther M, Ageno W. Thrombophilic abnormalities, oral contraceptives, and risk of cerebral veinthrombosis: a meta-analysis. Blood. 2006 Apr 1;107(7):2766-73. doi: 10.1182/blood-2005-09-3578.
- Communiqué ANSM, 26 mars 2021. Point de situation sur la surveillance des vaccins contre la COVID-19 - Période du 12/03/2021 au 18/03/2021.
- Communiqué de l'EMA, 7 avril 2021. AstraZeneca’s COVID-19 vaccine: EMA finds possible link to very rare cases of unusual blood clots with low blood platelets.
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