#Santé publique #COVID-19

Une crise sanitaire qui met à mal la santé mentale des jeunes

Si les enfants et les adolescents ont jusqu'alors été relativement épargnés par l'épidémie COVID-19, ils sont en revanche directement concernés par les conséquences sur la santé mentale des mesures sanitaires prises dans ce contexte. Les spécialistes alertent notamment sur l'augmentation des consultations aux urgences pour situation de crise, mais aussi, plus globalement, sur la prévalence croissante des troubles anxieux et dépressifs dans cette population.
Un entretien avec le Pr Marie-Rose Moro, psychiatre et directrice de la Maison des adolescents à l'hôpital Cochin à Paris.
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Enfants, adolescents, jeunes adultes et COVID-19 : des conséquences psychiatriques préoccupantes (illustration).

Enfants, adolescents, jeunes adultes et COVID-19 : des conséquences psychiatriques préoccupantes (illustration).


Les consultations des jeunes pour des troubles psychiatriques sont actuellement en forte augmentation. Qu'en est-il précisément ?

Pr Marie-Rose Moro. L'une des premières conséquences, majeure, des mesures prises depuis plus d'un an est l'augmentation des violences intrafamiliales faites aux femmes et aux enfants, qui entraînent un repli sur soi des enfants. Les situations de crise conduisant à des consultations aux urgences pédopsychiatriques, telles qu'automutilation, tentative de suicide ou troubles graves du comportement, ont augmenté d'environ 30 % au niveau national, comparativement aux données de 2019. Mais ce chiffre global cache des disparités régionales, l'augmentation pouvant atteindre 40 à 50 % dans certains centres, voire 80 % en ce qui concerne les passages aux urgences et hospitalisations pour syndrome dépressif, comme l'a récemment rapporté sur France-Inter Angèle Consoli, membre du Conseil scientifique COVID-19.

Cette situation est-elle partagée par d'autres pays ?
Ce phénomène ne concerne pas seulement la France et a aussi été rapporté dans d'autres pays, notamment en Europe, au Royaume-Uni et aux États-Unis. La situation est d'autant plus grave que, faute de lits, nous ne pouvons pas hospitaliser tous les adolescents qui le devraient, comme les adolescents ayant fait une tentative de suicide, ce que recommande pourtant la Haute Autorité de santé. À côté des crises individuelles et/ou familiales, on a assisté aussi à une augmentation des troubles anxieux, se manifestant souvent par des douleurs diffuses, « la peur d'avoir la COVID », qui, avec le temps, se sont installés et ont évolué vers des syndromes dépressifs. La situation était déjà délicate avant l'épidémie, mais la crise sanitaire a aggravé les difficultés d'accès aux soins, même si les structures sont ouvertes et si le recours à la téléconsultation s'est largement développé.

Comment expliquer ces conséquences délétères sur la santé mentale des plus jeunes ?
Le quotidien des enfants, des adolescents et des jeunes adultes a été bouleversé par les contraintes sociales très fortes, touchant en particulier les possibilités d'aller et venir et imposant le non rapprochement. Cela a fait intégrer aux plus jeunes la notion de peur, ce qui n'est pas anodin et accroît le sentiment d'insécurité et les difficultés à établir des liens.
Chez les adolescents, qui sont dans une période d'ouverture vers la vie sociale et amicale, ces contraintes vont à l'encontre du mouvement d'autonomisation par rapport aux parents. Ceci explique qu'elles aient un impact encore plus marqué que chez les enfants plus jeunes.

Certains sont-ils plus vulnérables que d'autres ?
Les adolescents qui avaient mal supporté la première vague épidémique, pour des raisons sociales, culturelles ou à cause d'un événement comme la perte d'un proche ont été et sont beaucoup plus vulnérables à un nouveau traumatisme lors des vagues suivantes. Certains développent des phobies, des rituels. L'appauvrissement de la vie amicale, familiale et sociale engendre une rupture d'investissement, des troubles du sommeil et de l'alimentation, une véritable dépression. À l'inverse, ceux qui avaient bien résisté au cours des premiers mois tendent à mieux supporter les contraintes dans la durée, souvent parce qu'ils ont trouvé des moyens de garder des contacts extérieurs.

Et chez les étudiants ?
Les conséquences sont là aussi très importantes, en particulier pour ceux qui n'étaient pas encore installés dans une vie étudiante avec des repères, des méthodes, typiquement ceux qui viennent d'entrer dans l'enseignement supérieur. Une enquête réalisée par Ipsos en début d'année, auprès de 400 jeunes âgés de 18 à 24 ans, a montré que près d'un tiers avaient un trouble de santé mentale, chiffre bien supérieur à celui rapporté dans la population générale. Quatre sur dix ont rapporté un trouble anxieux généralisé et un sur cinq des symptômes dépressifs. La prise d'autonomie s'est arrêtée, ils présentent des troubles du sommeil, un sentiment d'avenir bouché et perdu.

Comment aménagent-ils leur vie avec les contraintes ?
Les étudiants sont globalement observants, font beaucoup de tests par peur de contaminer leur entourage, parents comme enseignants. Beaucoup ont développé des stratégies en « pelure d'oignon », en reconstituant des petits groupes de 4 à 5 entre pairs, comme des équivalents familiaux. Un certain nombre, souvent ceux qui étaient déjà les moins isolés avant l'épidémie, ont imaginé des formes d'engagement : visites, courses pour les personnes âgées, ou encore aide aux étudiants, ce qui leur permet de s'appuyer les uns sur les autres.

Comment réduire l'impact de ces mesures qui perdurent ?
Trouver un engagement utile aux autres est un mode de résistance qui doit être encouragé. Chez les plus jeunes, il faut éviter de mettre trop de pression scolaire, facteur qui augmente le sentiment d'insécurité, et leur laisser au contraire du temps pour eux (jouer, rêver, etc.). Il importe, de façon générale, de trouver des stratégies pour réduire le stress et accroître le bien-être de chacun.

Propos recueillis par Isabelle Hoppenot

©vidal.fr

Pour en savoir plus
- HAS. Note de cadrage juillet 2020. Tentatives de suicide et risque suicidaire chez l'enfant et l'adolescent : prévention, évaluation, prise en charge.

- Ipsos. La santé mentale des 18-24 ans plus que préoccupante
Sources

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