Plutôt moins de formes sévères de COVID-19, mais un risque d'apparition ou d'aggravation de troubles psychiatriques (illustration).
"Au début de l'épidémie, il y avait énormément d'incertitudes et on redoutait une forte dissémination du SARS-CoV-2 parmi les patients atteints de maladies psychiatriques, qui cumulent souvent des comorbidités médicales, qui sont moins à même de suivre les mesures de distanciation sociale et les règles d'hygiène et qui sont exposés à la promiscuité dans les unités de psychiatrie", a rapporté le Dr David Gourion, psychiatre. "On craignait aussi que les formes sévères ne soient plus fréquentes que dans la population générale, du fait de la vulnérabilité psychique et somatique de cette population".
Après une phase d'inquiétude, la surprise
Dès la fin du mois de mars et la prise de conscience de la vulnérabilité des patients psychiatriques et des institutions, le système de soins psychiatriques a donc été réorganisé, avec notamment la création d'unités "COVID +". Cependant, dans un deuxième temps, sur la base de remontées du terrain en France comme dans d'autres pays européens, il est apparu que relativement peu de patients "psychiatriques" hospitalisés souffraient de formes très symptomatiques ou sévères de COVID-19. "Si l'on prend l'exemple de l'hôpital Sainte-Anne, dans le service du Pr Raphaël Gaillard, le taux de COVID-19 très symptomatiques ou sévères était autour de 4 % chez les malades, alors que ce taux était de 15 % chez les soignants qui s'occupaient de ces patients", a indiqué le Dr Gourion. "Une discordance étonnante", selon le Dr François Trémolières.
Plusieurs hypothèses
Certes, ce sont des retours de terrain et non pas des données issues d'études solides, mais ce constat a soulevé des questions et plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce faible taux de contamination :
- le jeune âge des patients, en particulier des schizophrènes qui représentent la moitié des personnes hospitalisées en psychiatrie, joue certainement un rôle ;
- la proportion élevée de fumeurs et de gros fumeurs aussi, du fait d'un potentiel rôle protecteur de la nicotine ;
- enfin, l'effet éventuellement protecteur de certains antipsychotiques atypiques, hypothèse qui a donné lieu à un protocole en cours à l'hôpital Sainte-Anne en collaboration avec l'Institut Pasteur, l'essai reCoVery, pour évaluer l'effet de la chlorpromazine dans ce contexte.
Entre aggravation et soulagement relatif
Le confinement a eu plusieurs types d'effets chez les patients suivis en ville. Ils se sont globalement détournés des soins, peut-être par peur d'être hospitalisés et contaminés, et il faudra donc être vigilant dans les prochaines semaines et mois, car un "retour de bâton" est possible.
Certains patients se sont aggravés, notamment les sujets anxieux, ceux qui ont des TOC (troubles obsessionnels compulsifs), les patients déprimés qui étaient déjà en situation d'isolement, avec parfois une augmentation des conduites addictives et de la consommation d'alcool.
Mais, à l'inverse, certains sous-groupes ont ressenti une forme de soulagement relatif lié au sentiment de baisse du stress social. C'est en particulier le cas de certains patients phobiques sociaux, pour qui le quotidien est parfois une épreuve terrible, de ceux ayant un trouble du spectre de l'autisme, tels que ceux ayant un syndrome d'Asperger, pour lesquels les interactions sont une source de stress intense, ou encore de certains malades souffrant de troubles schizophréniques qui ont eu le sentiment de vivre d'une façon qui leur correspondait mieux.
Attention à l'effet rebond
"Chez les patients qui se sont améliorés, notamment ceux souffrant de phobie sociale, il va vraisemblablement y avoir un effet rebond, car l'évitement des situations soulage à court terme, mais entraîne plutôt une aggravation à long terme", a estimé le Dr Gourion, qui conseille aux phobiques sociaux de ne pas s'enfermer dans une bulle virtuelle. "On peut aussi anticiper ce qui pourrait se passer à la rentrée scolaire prochaine, chez les enfants qui ont un comportement anxieux, et chez lesquels pourrait apparaître une phobie scolaire".
Chez les résidents en EHPAD
L'épidémie et le confinement ont aussi eu des répercussions chez les résidents en EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) avec, de façon générale, une souffrance liée à l'isolement, à l'impossibilité de voir les proches sur une longue période. De plus, dans les EHPAD qui ont connu de nombreux cas de COVID-19, voire des décès, les conséquences de l'épidémie ont touché, au-delà des patients, les soignants et les familles.
Une grande fréquence de symptômes du registre psychiatrique en cas d'infection
L'infection par le SARS-CoV-2 peut provoquer des symptômes neuropsychiatriques. C'est ce qu'a confirmé une méta-analyse publiée dans le Lancet Psychiatry, qui a colligé plus de 3 500 cas de COVID-19, mais aussi d'infections par le SARS et le MERS, à partir de 1 963 publications et 87 pre-prints.
Dans les formes graves de COVID-19, les tableaux neuropsychiatriques sont fréquents : confusion dans 65 % des cas, agitation dans 70 % des cas.
On trouve aussi, de façon plus globale, de nombreux symptômes du registre psychiatrique, avec notamment une baisse de l'humeur chez un tiers des patients, des troubles anxieux dans la moitié des cas et des troubles cognitifs, en particulier mnésiques chez 45 % des patients. Il est aujourd'hui difficile de faire la part entre ce qui relève du stress lié à la maladie ou à une éventuelle vascularite car il est trop tôt pour répondre à cette question.
Autre enseignement intéressant de cette méta-analyse qui a inclus des études menées lors des épidémies précédentes : la persistance à long terme de certains troubles, cognitifs (40 % des patients), de l'humeur avec des épisodes dépressifs récurrents ou chroniques chez 15 % des patients, de troubles anxieux dans une même proportion et, surtout, l'apparition d'états de stress post-traumatique chez 30 % des patients ayant souffert de formes sévères.
Stress post-traumatique chez les patients, les soignants et les familles
Des études à plus long terme devront évaluer la symptomatologie post-traumatique, qui concerne les patients, leur famille, mais aussi les soignants qui ont été en première ou deuxième ligne. "Le profil typique du soignant à risque qui se dessine actuellement est celui d'une femme jeune, plutôt infirmière et mère de famille, car le fait d'avoir des enfants crée un stress supplémentaire (risque de contamination, problèmes d'organisation) et victime de stigmatisation ou de mauvaise ambiance de travail ", a rapporté le Dr David Gourion. On observe aussi des réactivations de situation parfois anciennes, des résurgences de stress post-traumatique sans rapport avec l'épidémie.
De son côté, le Dr François Trémolières a souligné que le retour à domicile des patients atteints de COVID-19 n'est pas synonyme de guérison, troubles neuropsychologiques, fatigue (60 % des cas) et adynamie pouvant perdurer.
"On redoute une deuxième vague, celle des conséquences socio-économiques, et de la précarité qui en découle, pourvoyeuse de troubles psychiques. Il est donc indispensable de rester vigilant", conclut le Dr David Gourion.
©vidal.fr
Pour en savoir plus
- VIDAL Live. Santé mentale & COVID-19. Dr David Gourion, psychiatre, et Dr François trémolières, infectiologue et interniste. 27 mai 2020.
- Plaze M et al. Repositionnement de la chlorpromazine dans le traitement du COVID-19 : étude reCoVery. Encéphale 2020.
- Rogers JP et al. Psychiatric and neuropsychiatric presentations associated with severe coronavirus infections: a systemic review and meta-analysis with comparison to the COVID-19 pandemic. Lancet Psychiatry. Publication le 18 mai 2020.
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