#Santé publique #COVID-19

Étude OpenSAFELY sur les facteurs de risque de mortalité dans la COVID-19 : résister à "l’erreur du Tableau 2"

Plusieurs études observationnelles ont permis de cerner les facteurs qui influencent le risque de mortalité liée à la COVID-19. Une étude britannique, récemment mise en ligne, apporte une confirmation de taille à ces conclusions, en mettant à profit les données de santé collectées depuis au moins un an sur 17,5 millions de Britanniques (5 683 décès hospitaliers dus à la COVID-19).

Cette étude montre le poids prépondérant de l’âge dans le risque de décès, bien au-delà des autres facteurs de risque, y compris après ajustement sur toutes les autres variables. Elle quantifie également, et pour la première fois, le sur-risque lié à l’asthme sévère, ainsi que celui lié à la précarité et à l’origine ethnique.

Mais, comme la plupart des études de cohorte où un ajustement multiple concerne de nombreuses variables liées entre elles, ce travail souffre d’une possible mésestimation du poids réel de chaque facteur de risque pris en compte. Ce biais est probablement à l’origine de la réduction du risque de mortalité chez les fumeurs actifs observée dans cette étude.

Cette étude a été abondamment commentée dans la presse professionnelle et grand public, avec parfois une tendance à la sur-interprétation de ses résultats, en cherchant à comparer les poids respectifs des facteurs de risque étudiés, une erreur classique dans l’interprétation de ce type d’étude, bien connue des statisticiens et des épidémiologistes sous le nom d'erreur du Tableau 2.

Néanmoins, ce travail  est particulièrement intéressant par la nature des données utilisées, par l’inclusion de facteurs de risque socio-économiques et par le fait qu’elle pourra être régulièrement mise à jour tout au long de la pandémie.
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L'âge est le facteur de risque principal en termes de mortalité liée à la COVID-19 (illustration)

L'âge est le facteur de risque principal en termes de mortalité liée à la COVID-19 (illustration)


Une vaste étude épidémiologique britannique sur les facteurs de risque de mortalité liée à la COVID-19 vient d'être publiée (sous forme de préprint, sans validation par un comité de relecture indépendant) par Elizabeth Williamson, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, et ses collègues.
L'originalité de cette étude observationnelle repose :
  • sur sa taille (à partir des données de santé de 17,4 millions d'adultes et 5 683 décès dus à la COVID-19) ;
  • sur le fait que la mortalité de l'infection est évaluée à partir de données de santé en population générale (et pas uniquement chez des personnes infectées par SARS-CoV-2) ;
  • sur le fait que les auteurs ont travaillé à partir de données de santé recueillies sur un logiciel de médecine générale (TPP) pendant au moins 1 an, croisées avec celles des décès hospitaliers par COVID-19 entre le 1er février et le 25 avril 2020 (base CPNS [COVID-19 Patient Notification System]).
Ces données ont été intégrées et analysées grâce à la plateforme OpenSAFELY, créée à l'occasion de la pandémie de COVID-19 et qui permettra en outre d'actualiser cette étude en temps réel.

Une étude de cohorte d'une taille exceptionnelle
À partir des 24 millions de dossiers médicaux accessibles via OpenSAFELY, les auteurs de l'étude ont identifié 17,4 millions de patients adultes dont les données de santé avaient été collectées depuis au moins une année. En s'appuyant sur la base CPNS qui compile les décès hospitaliers chez des patients ayant eu un test virologique positif pour le SARS-CoV-2, ils ont identifié 5 683 décès : 2 098 femmes, 3 585 hommes, 1 560 personnes âgées de 70 à 79 ans, 2 941 personnes âgées de plus de 80 ans. Donc une population plutôt âgée et masculine, à l'image de ce qui est décrit dans de nombreux pays.
Parmi les limites de leur méthode de recrutement, les auteurs citent la non-prise en compte des patients décédés sans avoir eu de test virologique (ou ayant eu un faux négatif), mais aussi les données incomplètement renseignées dans les dossiers médicaux, en particulier l'origine ethnique (seulement 26 % des dossiers en font mention), et également le tabagisme. Dans certains cas, ils ont dû extrapoler les comorbidités à partir des prescriptions.
On peut également citer comme limite le biais de recrutement hospitalier pour les patients décédés, ce qui exclut les décès en EHPAD ou au domicile.

Les facteurs de risque pris en compte dans cette étude
Les auteurs de l'étude ont choisi d'étudier les facteurs de risque cités dans les recommandations des autorités de santé britanniques à destination des médecins. Ceux-ci sont similaires à ceux cités dans les recommandations françaises : âge, diabète, insuffisance rénale, immunodépression (cancers, greffes, etc.), obésité, maladies respiratoires chroniques, maladies cardiovasculaires, etc.
Ils ont néanmoins ajouté à cette liste deux facteurs non cités dans les recommandations : l'origine ethnique (en l'occurrence « Afro-descendants » et « Asiatiques » - ce qui, au Royaume-Uni, inclue les Indo-Pakistanais) et la précarité (évaluée à partir du code postal du domicile et des données démographiques disponibles).
Les auteurs mettent en avant, de manière répétée, le fait que, dans leur analyse, le risque de mortalité est la somme de deux risques distincts : le risque d'être infecté par le SARS-CoV-2 et le risque de décéder de cette infection. Cette distinction prend tout son sens dans leur analyse de l'influence de la précarité (voir dernier paragraphe).

L'influence de l'âge apparaît prédominante
L'analyse des effets de l'âge sur la mortalité a été faite par tranche d'âge : moins de 40 ans, 40-49 ans, 50-59 ans, 60-69 ans, 70-79 ans et 80 ans et plus. Les 50-59 ans ont été choisis comme référence.
Selon leurs résultats, sur les 80 jours de l'étude, la mortalité globale liée à la COVID-19 (dans la population générale, pas chez les patients infectés) a été inférieure à 0,01 % chez les moins de 40 ans, mais de 0,35 % chez les hommes de plus de 80 ans et de 0,17 % chez les femmes de plus de 80 ans. Rappelons que les mesures de confinement ont été mises en place le 23 mars 2020 au Royaume-Uni et donc que les derniers 32 jours de l'étude ont eu lieu lors du confinement.
Par rapport à la tranche d'âge de référence des 50-59 ans, le risque de décès lié à la COVID-19 était 14 fois moins important chez les moins de 40 ans (HR = 0,07 ; IC95 % : 0,05-0,10) et 3 fois moins important chez les 40-50 ans (HR = 0,31, IC95 % : 0,25-0,39). Chez les plus de 80 ans, le risque de décès ajusté pour toutes les variables est apparu multiplié par 12 (HR : 12,64, IC95 % : 11,19-14,28) par rapport aux 50-59 ans. Globalement, le risque de décès par COVID-19 en fonction de l'âge suit une courbe exponentielle.

Le poids des autres facteurs de risque de mortalité liée à la COVID-19
Selon l'étude OpenSAFELY, être un homme double le risque de décès (HR = 1,99, IC95 % : 1,88-2,10), comme le diabète non contrôlé (HR = 2,35, IC95 % : 2,18-2,56). L'obésité modérée (IMC de  30-34,9 kg/m2) multiplie le risque par 1,27 (IC95 % : 1,18-1,36) et l'obésité morbide (IMC > 40 kg/m2) par 2,27 (IC95 % : 1,99-2,58). Ces valeurs sont ajustées pour l'ensemble des facteurs de risque.
L'asthme sévère (nécessitant la prescription de corticoïdes) augmente également le risque de décès (HR = 1,25, IC95 % : 1,08-1,44), ce qui s'est avéré une surprise pour les auteurs car une telle augmentation n'avait jamais été mise en évidence. 
L'hypertension artérielle n'est pas associée à une augmentation du risque de décès après ajustement.
Chez les personnes souffrant de cancer, l'augmentation du risque est particulièrement marquée en cas de cancer hématologique diagnostiqué depuis moins d'un an, même ajusté pour les autres facteurs de risque (HR = 3,52, IC95 % : 2,41-5,14 ; HR = 3,12 après un an ; HR = 1,88 après 5 ans).
Autres facteurs de risque (cf. Figure 1) : l'insuffisance rénale (HR = 1,72), le fait d'être greffé (HR = 4,27), un antécédent d'AVC (HR = 1,79), souffrir d'une maladie auto-immune (HR = 1,23), être atteint d'une maladie neurologique (HR = 2,46), être atteint d'une insuffisance hépatique (HR = 1,61), etc.
Parmi les surprises de cette étude, les auteurs notent l'augmentation du risque chez les Afro-descendants (HR 1,71, IC95 1,44-2,02) et les Asiatiques (HR 1,62, IC95 1,43-1,82), même après ajustement des autres facteurs de risque, en particulier la précarité et les comorbidités préexistantes. La précarité, ajustée pour les comorbidités, est également liée à une augmentation du risque de décès (HR 1,75 entre les quartiles les plus extrêmes sur l'échelle utilisée).

 
Figure 1 - Risques relatifs pour chacun des facteurs de risque cités dans l'étude OpenSAFELY (modèle à risque proportionnel de Cox) - Attention, l'échelle de l'axe des abscisses est logarithmique.

La question du tabagisme et les limites des ajustements multiples
Selon cette étude, les anciens fumeurs ont un risque de mortalité augmenté, même après ajustement des autres facteurs de risque (HR = 1,25, IC95 % : 1,18-1,33).
Concernant les effets du tabagisme actif, cette étude retrouve, après ajustement des autres facteurs de risque, une légère diminution du risque de décès (HR = 0,88, IC95 % : 0,79-0,99). Cependant, si l'ajustement ne porte que sur l'âge et le sexe, le tabagisme actif est associé à une augmentation du risque de décès (HR = 1,25, IC95 % : 1,12-1,40). Une augmentation similaire est observée lorsque les données sont ajustées sur l'ethnicité seule. De plus, les auteurs précisent que, dans l'ajustement multivariable, c'est la diminution du poids des maladies chroniques respiratoires et de la précarité qui font passer le HR du tabagisme actif au-dessous de la valeur 1.
Cette discordance entre les résultats en fonction de l'ajustement est importante à explorer car elle permet de saisir la limite méthodologique principale au cœur de cette étude, en particulier si on commet l'erreur de vouloir comparer entre eux les poids ajustés des différents facteurs de risque.

L'erreur du Tableau 2, une maladie fréquente de l'étude de cohorte
Pour les statisticiens et les épidémiologistes, les études observationnelles du type de celle décrite ici connaissent souvent un problème appelé "erreur du Tableau 2" ("Table 2 fallacy"). Cette appellation vient du fait que, dans ces études, le premier tableau concerne les données démographiques de la cohorte et le deuxième représente les risques relatifs ajustés selon de multiples variables (cf. Figure 1 ci-dessus).
L'erreur du Tableau 2 consiste à présenter sur un même tableau tous les facteurs de risque bien alignés par rapport à leurs références, ce qui pousse le lecteur à comparer entre eux, de manière injustifiée, les poids relatifs (ajustés) de chaque facteur de risque, en oubliant que le poids global (réel) d'un facteur est souvent différent de son poids relatif après ajustement multiple. En effet, il n'est pas rare que les ajustements multiples pour des variables potentiellement liées entre elles conduisent à une sur- ou sous-évaluation de l'effet total de chaque variable.
Prenons l'exemple du tabagisme actif dans l'étude britannique. En ajustant cet effet pour les maladies cardiovasculaires et les maladies respiratoires chroniques, sous l'influence directe du tabagisme, on réduit le poids respectif de ces maladies (dans le but louable de "voir plus clairement" l'effet du tabagisme actif). Mais en réduisant leurs poids respectifs, on réduit aussi le poids total du tabagisme !
Ce risque de sous-évaluation du poids d'une variable est d'autant plus important que la variable influe sur un nombre élevé d'autres variables. Dans le cas du tabagisme et des facteurs de risque explorés dans cette étude, fumer exerce une influence sur la prévalence des cancers, de l'hypertension artérielle, du diabète, des AVC, de l'insuffisance rénale, des maladies respiratoires chroniques, etc. Autant de petites sous-évaluations à chaque ajustement qui peuvent expliquer le HR de 0,88 observé chez les fumeurs après ajustement multiple. Du fait du grand nombre de facteurs de risque pris en compte, certains statisticiens ont critiqué cette étude en l'accusant de souffrir de "sur-ajustements".

Les effets de l'âge sont probablement sous-estimés par l'ajustement multiple
Les éventuels effets du sur-ajustement peuvent également être évoqués pour une autre variable de cette étude. Selon les auteurs, les personnes âgées de plus de 80 ans ont un risque de mortalité multiplié par 12,64 comparé aux 50-59 ans, lorsque tous les ajustements sont faits. Mais l'âge exerce son influence sur un nombre considérable de facteurs de risque pris en compte dans l'étude. Il est donc probable que les ajustements multiples sous-estiment son poids total.
De fait, lorsque seul l'ajustement au genre est fait, cette étude rapporte un risque de mortalité des plus de 80 ans multiplié par… 26,27 ! Il est donc probable que l'augmentation du risque liée aux effets totaux de l'âge soit supérieure à 12. Donc pas d'erreur de Tableau 2 possible en affirmant que l'âge est un facteur de risque bien plus puissant que les autres facteurs de risque étudiés.
Globalement, en lisant les résultats de cette étude, il est essentiel de comparer les risques relatifs lorsque seuls l'âge et le genre sont pris en compte pour l'ajustement, aux risques relatifs ayant fait l'objet d'un ajustement multiple. Il est également essentiel de se garder d'y lire des éléments de causalité.

La précarité et l'ethnicité, enfin prises en compte comme facteurs de risque
Au-delà de la confirmation à grande échelle de l'importance relative des facteurs de risque pressentis pour la COVID-19, cette étude introduit de manière objective deux facteurs de risque jusque-là évoqués, mais dont le poids n'avait jamais été évalué : la précarité et l'ethnicité, qui augmentent significativement le risque de décès, y compris après ajustement pour les comorbidités ou le tabagisme.
Dans leur analyse de ces deux facteurs de risque, les auteurs rappellent que le risque de décès comprend le risque d'être infecté par le SARS-CoV-2. Ils remarquent également que la précarité est le seul facteur de risque étudié dont le poids relatif a augmenté au cours du temps, sur les 80 jours de l'étude. Ils émettent l'hypothèse que les personnes les plus précaires (qui sont plus souvent d'origine ethnique non européenne) sont celles qui ont dû continuer à s'exposer (transports en commun, chantiers, supermarchés, etc.) et celles qui, de plus, vivent dans des conditions de forte densité au domicile, favorisant ainsi la probabilité d'être contaminées.
Ces hypothèses vont dans le sens des conclusions de l'Observatoire régional de la santé d'Île-de-France qui vient de publier un rapport très détaillé sur la surmortalité récente dans les départements franciliens, rapport qui insiste particulièrement sur l'influence de la densité de population au domicile sur cette surmortalité.
Dans la prochaine itération de leur étude, les auteurs de l'étude anglaise prévoient de collecter des données concernant la profession et les conditions de vie.

En conclusion, l'étude OpenSAFELY confirme le rôle des facteurs de vulnérabilité pressentis dans le risque de décès lié à la COVID-19, met en lumière le poids disproportionné de l'âge, en particulier après 70 ans, et met en avant la nécessité de continuer à explorer le poids des facteurs socio-économiques favorisant l'infection et la mortalité. Les recommandations particulières de protection destinées aux personnes médicalement vulnérables pourraient ainsi être étendues aux personnes socio-économiquement vulnérables. 

©vidal.fr

Pour aller plus loin

L'étude OpenSAFELY
Williamson E, Walker AJ, Bhaskaran K et al. "OpenSAFELY: factors associated with COVID-19-related hospital death in the linked electronic health records of 17 million adult NHS patients." MedRxiv, 6 mai 2020

Une synthèse sur l'erreur du Tableau 2 
Westreich D & Greenland S "The Table 2 Fallacy: Presenting and Interpreting Confounder and Modifier Coefficients." Am J Epidemiol. 2013 Feb 15 ; 177(4) : 292–298.

Les éléments sur la surmortalité récente dans les départements franciliens
Mangeney C, Bouscaren N, Telle-Lamberton M et al. "La surmortalité durant l'épidémie de Covid-19 dans les départements franciliens - Premiers éléments d'analyse", Observatoire régional de la santé, Région Île-de-France, avril 2020
Sources

Commentaires

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Beliv Il y a 4 ans 0 commentaire associé
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Daoudi hammou Il y a 4 ans 1 commentaire associé
Dans cette étude les données de santé ont été collectées depuis au moins une année .la question que je pose pourquoi n'a-t-on pas inclus le facteur temps dans cette étude .C'est à dire pendant quelle période de l'année on a enregistré le taux important de mortalité.
Modérateur Médecine générale Il y a 4 ans 0 commentaire associé
Bonjour Je vous rappelle que la mortalité par COVID19 a réellement commencé en mars en Angleterre.
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