Délivrance d’hydroxychloroquine : nombre de patients par jour du 1er janvier au 25 mars 2020 (cas incident = absence de délivrance en 2018 et 2019) [illustration @EPI-PHARE]
L'étude pharmaco-épidémiologique présentée par le groupement d'intérêt scientifique (GIS) EPI-PHARE (ANSM et CNAM) a pour objectif d'évaluer l'influence de la crise sanitaire COVID-19 et du confinement sur le comportement de consommation des Français en médicaments, en lien ou non avec l'épidémie.
Elle est réalisée à partir des données de remboursement du système national des données de santé (SNDS), correspondant à environ 77 % de la population.
Cette analyse porte uniquement sur les médicaments remboursés sur ordonnance.
Les auteurs de l'étude ont d'abord recueilli les données de consommation en se basant sur les délivrances réalisées en pharmacie d'officine, par classe thérapeutique et par semaine, sur la période de début janvier à fin mars 2020.
Dans un second temps, ils ont comparé le nombre de consommants (nombre de personnes ayant eu au moins 1 remboursement) par classe thérapeutique mesuré chaque semaine sur cette période à un nombre "attendu" de consommants. Le nombre attendu est estimé à partir des données de consommation au cours des mêmes semaines de l'année en 2018 et en 2019, ainsi que de l'évolution annuelle entre 2018, 2019 et 2020 mesurée sur les semaines 2 à 9 de ces trois années.
Les résultats de cette analyse sont livrés dans un rapport de 134 pages, dont voici les principaux enseignements.
Un boom de la consommation fin mars pour plusieurs catégories de médicaments utilisés en traitement chronique
Selon cette étude, on observe une forte augmentation des délivrances en pharmacie des médicaments prescrits pour des pathologies chroniques, en semaines 12 et 13.
Ces semaines correspondent aux deux premières semaines de confinement (15 au 28 mars).
Pour les catégories de médicaments suivantes, le surcroît du nombre de patients ayant eu une délivrance a atteint + 20 % à + 40 % en semaine 12 :
- + 30,9 % pour les anti-hypertenseurs, soit près de 600 000 personnes supplémentaires qui se sont rendues en pharmacie pour la délivrance d'un médicament de cette classe ;
- + 31,8 % pour les antidiabétiques (230 000 personnes supplémentaires). Dans cette classe, les délivrances d'insuline ont augmenté de 42 % ;
- + 32,5 % pour les statines (270 000 personnes supplémentaires).
Cette tendance s'est maintenue en semaine 13 (+ 15 à + 32 %), bien que dans une proportion moindre :
- HTA : 470 000 patients supplémentaires se sont faits délivrés un médicament antihypertenseur ;
- Diabète : 175 000 patients supplémentaires se sont faits délivrés un médicament antidiabétique ;
- Cholestérol : 220 000 patients supplémentaires se sont faits délivrés une statine.
Hausse des délivrances fin mars 2020 : une tendance comparable pour d'autres classes thérapeutiques
Parmi les autres classes thérapeutiques, le même phénomène est observé en termes de délivrances en pharmacie en semaines 12 et 13 dans les domaines thérapeutiques suivants :
- en psychiatrie :
- hausse de 22 % pour les antidépresseurs en semaine 12, soit 182 000 personnes supplémentaires,
- hausse de 21,5 % pour les antipsychotiques en semaine 13, soit 50 000 personnes supplémentaires,
- en infectiologie : hausse de 32 % des délivrances d'antirétroviraux VIH en semaine 12,
- en neurologie : hausse de 20 % des délivrances d'antiparkinsoniens et de 25 % des antiépileptiques,
- en endocrinologie : hausse de 41 % des délivrances de lévothyroxine,
- en pneumologie : hausse de 46 % des délivrances de traitements des maladies obstructives respiratoires,
- en gastro-entérologie : hausse de 17 % des délivrances d'IPP (inhibiteurs de la pompe à protons).
Selon les auteurs de ce rapport, les augmentations soudaines sur un temps très court suggèrent :
- une anticipation des patients en réponse aux restrictions causées par le confinement, pour "ne pas manquer de médicament",
- un phénomène de "stockage" des médicaments comme observé dans d'autres domaines de la consommation.
Les auteurs soulignent également, qu'à partir de mi-mars, les patients ont eu la possibilité de se faire délivrer des médicaments à partir d'une ordonnance renouvelable périmée (sous conditions) ; cette mesure a pu contribuer à accentuer l'augmentation des délivrances en pharmacies (nos articles du 18 mars 2020 et du 25 mars 2029).
La possession de médicaments actifs en quantité suffisante ne veut pas dire que les adaptations thérapeutiques fines des doses nécessaires sont satisfaisantes en termes de traitements, comme l'insuline et les anticoagulants, de recours à une deuxième classe thérapeutique si nécessaire (antihypertenseurs, etc.), voire de gestion des effets indésirables.
Contraceptifs et antibiotiques : un bilan mitigé
Dans le domaine de la contraception, les délivrances des contraceptifs oraux ont augmenté de 45,3 % en semaine 12, soit 140 000 femmes supplémentaires.
À l'inverse, les délivrances de DIU (dispositifs intra-utérins) avec progestatif se sont effondrées, avec un recul de 10% en semaine 12 et de 59 % en semaine 13.
Idem pour la contraception orale d'urgence, dont les délivrances accusent une baisse de 16 % en semaine 13 (- 2 000 femmes).
Les antibiotiques connaissent également un bilan mitigé marqué par une augmentation de 10 % en semaines 10, 11, 12, suivie d'une baisse de 4,4 % (46 000 personnes) en semaine 13. Cette baisse est plus marquée chez les 0 - 19 ans (- 26 %).
Pour d'autres classes thérapeutiques au contraire, les délivrances ont véritablement chuté
À l'inverse, l'étude conjointe ANSM/CNAM montre un effet inverse pour les classes thérapeutiques suivantes, dont les délivrances se sont effondrées en semaine 12 et 13 (cf. Tableau I):
- vaccins :
- - 50 à - 70 % pour les vaccins anti-HPV, le ROR et les vaccins antitétaniques,
- - 23 % pour les vaccins penta/hexavalents des nourrissons en semaine 13,
- anti-VEGF indiqués par injection intraoculaire dans le traitement de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l'âge) : - 13 % en semaine 12 et - 40 % en semaine 13, soit environ 11 000 personnes qui ne se sont pas fait délivrer leur traitement,
- produits destinés aux actes diagnostiques médicaux (préparations pour coloscopie, produits iodés pour scanner, produits de contraste pour IRM) : - 20 % en semaine 12 et - 60 % en semaine 13.
Tableau I - Consommation médicamenteuse durant les semaines 10, 11, 12 et 13 de mars 2020 [du 2 au 29 mars] : comparaison entre les nombres d'utilisateurs observés et attendus
En bleu : nombre d'utilisateurs observé supérieur d'au moins +10% au nombre attendu
En rouge : nombre d'utilisateurs observé inférieur d'au moins -10% au nombre attendu
*Nombre d'utilisateurs attendu estimé sur la base des données de 2018
Les auteurs font remarquer que ces classes thérapeutiques ont en commun de nécessiter pour leur administration l'intervention d'un professionnel de santé, ce qui pourrait expliquer cette baisse des délivrances.
En outre, le fait que ces médicaments aient été moins délivrés en semaines 12 et 13 suggère :
- une prise de retard dans le calendrier vaccinal, ayant conduit la HAS à communiquer début avril sur l'importance de maintenir ces vaccinations chez l'enfant de moins de 2 ans (nos articles du 7 avril 2020 du 17 avril 2020),
- un retard ou un renoncement à la prise en charge ophtalmologique de la DMLA par injection intraoculaire,
- un report ou un renoncement aux actes d'imagerie médicale (coloscopies, actes de scanner ou d'IRM) avec comme conséquence possible, un retard de diagnostic et de prise en charge des maladies.
Analyse des données sur les médicaments en lien avec la COVID-19
Ce rapport apporte également des informations précises sur les délivrances de médicaments utilisés dans le contexte de l'infection à COVID-19 (cf. Tableau II).
En bleu : nombre d'utilisateurs observé supérieur d'au moins +10% au nombre attendu
En rouge : nombre d'utilisateurs observé inférieur d'au moins -10% au nombre attendu
Paracétamol et ibuprofène : les consignes semblent respectées
Les recommandations pour la prise en charge de la fièvre et des douleurs semblent avoir été entendues :
- le paracétamol en première intention et en tête des consommations : les délivrances de paracétamol ont été plus élevées qu'attendu, et ce dès février 2020, pour atteindre une augmentation d'un million et demi de personnes en semaines 12 et 13 ;
- franc recul des délivrances d'ibuprofène : inversement, les délivrances d'AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) ont connu une baisse de 60 % en semaine 13 (équivalant à 500 000 personnes). Parmi les AINS, l'ibuprofène a subi une chute de 67 % de délivrance à partir de la semaine 13 (200 000 personnes).
Chloroquine/hydroxychloroquine : une hausse franche des délivrances, des différences régionales
Molécules particulièrement observées, la chloroquine et l'hydroxychloroquine ont connu une augmentation de leur consommation, avec des disparités selon les territoires :
- chloroquine : entre le 25 et le 28 février, le nombre de patients qui se sont vus délivrer de la chloroquine est passé de moins de 50 à plus de 450 personnes par jour. Un pic des délivrances a été observé le 27 février ;
- hydroxychloroquine : hausse des délivrances de 21% en semaine 10 puis de 70% et 145% en semaines 12 et 13. Le pic des délivrances a été plus tardif que celui de la chloroquine, le 18 mars (près de 5 000 personnes le même jour, dont des patients chroniques et des patients COVID-19). Au total, les auteurs estiment à environ 28 000 le nombre de personnes supplémentaires ayant acquis sur ordonnance un traitement par hydroxychloroquine en semaine 12 et 13.
Les données du SNDS fournissent également des indices sur le profil des personnes ayant bénéficié d'une délivrance d'hydroxychloroquine :
- un profil jeune : 62 % de moins de 60 ans,
- une prédominance féminine : 57 % de femmes,
- un niveau social plus favorisé : plus de 30 % des personnes ayant reçu l'hydroxychloroquine résident dans les 20 % des communes les plus favorisées.
Enfin, le rapport montre des disparités régionales en termes de délivrances de chloroquine/hydroxychloroquine (cf. Figures 1 et 2) :
- la Réunion enregistre le plus grand nombre de prescriptions de chloroquine en instauration par habitant,
- les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur (41,9 pour 100 000) et Ile-de- France (30,7 pour 100 000) enregistrent le plus grand nombre de prescriptions d'hydroxychloroquine :
- Paris (56 pour 100 000),
- Bouches-du-Rhône (51 pour 100 000),
- Alpes-Maritimes (42 pour 100 000).
Figure 1 - Disparités régionales du taux d'incidence de délivrance sur ordonnance de chloroquine pour 100 000 habitants (période janvier à fin mars 2020) régime général stricto sensu. Les patients ayant eu une délivrance en 2018 ou 2019 ne sont pas inclus
Figure 2 - Disparités régionales du taux d'incidence de délivrance sur ordonnance d'hydroxychloroquine pour 100 000 habitants (période janvier à fin mars 2020) régime général stricto sensu. Les patients ayant eu une délivrance en 2018 ou 2019 ne sont pas inclus
En revanche, la région Grand Est, particulièrement atteinte par l'épidémie, se situe juste dans la moyenne pour les prescriptions d'hydroxychloroquine (22,2 pour 100 000).
Les départements ayant les taux de délivrance d'hydroxychloroquine les plus faibles (9 à 12 pour 100 000) se situaient plutôt dans l'ouest de la métropole et en Guyane. Il s'agissait de la Mayenne, la Vienne, la Guyane, l'Ille-et-Vilaine, la Manche, les Deux-Sèvres et la Loire-Atlantique.
L'association hydroxychloroquine et azithromycine a concerné environ 8 100 personnes.
Influence de l'épidémie de COVID-19 sur les délivrances de médicaments : un prochain rendez-vous à venir
L'étude menée par le GIS EPI-PHARE se poursuit. Le prochain rapport portera sur les 3 premières semaines d'avril ; il sera diffusé début mai.
Pour aller plus loin
Usage des médicaments en ville durant l'épidémie de COVID-19 : point de situation sur les deux premières semaines du confinement - Point d'information (ANSM, 21 avril 2020)
Rapport sur l'usage des médicaments en ville durant l'épidémie de COVID-19 : point de situation à la fin mars 2020 (ANSM et CNAM, 17 avril 2020)
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