Pour un dépistage ciblé plutôt que massif (illustration).
Au rang des déficiences dans la gestion de la crise sanitaire française liée à l'épidémie COVID-19, le débat sur les masques occupe encore une grande place.
Par ailleurs, les experts, les médias et tous les cassandres dénoncent avec vigueur le déficit patent des tests de dépistage. Il s'agit des tests PCR détectant l'ARN viral, qui identifient les porteurs, malades ou non, du SARS-CoV-2. La question des tests sérologiques viendra plus tard.
Un discours simpliste tient pour évident que cette insuffisance de tests est une cause importante (même si elle n'est pas la seule), expliquant, pour notre nation, le nombre élevé de malades, leur gravité, et une mortalité importante.
A contrario, d'autres pays, cités en exemple, ont su éviter le désastre et, parmi les recettes avancées, figure la pratique d'un dépistage massif.
Dans l'esprit de beaucoup, cet adjectif, qui désigne "un grand nombre", certifie qu'une grande partie de la population a été dépistée : l'appel aux tests massifs est une constante des politiques, des articles de presse et de tout expert sérieux.
Quelle est la réalité du nombre et du taux de tests pratiqués ?
Si l'on l'observe deux pays mis en avant pour leur gestion de l'épidémie, en l'occurrence la Corée du Sud et l'Allemagne, on est cependant surpris du faible nombre de tests effectués.
Ainsi, en Corée du Sud, 10,86 ‰ de la population a été testée, soit un peu plus de 550 000 tests réalisés pour près de 52 millions de Coréens. En Allemagne, ce taux est de 20,94 ‰ , soit environ 1 750 000 tests.
À titre d'information supplémentaire, le champion mondial toutes catégories des tests est l'Islande, avec 125 ‰ de la population testée, soit 43 102 tests pour 364 000 habitants, et 1 773 cas de COVID-19. En Europe, seules la Norvège (96 000 tests – 7156 cas) et la Suisse (224 000 tests – 27 944 cas) atteignent un taux de 25 ‰.
En résumé, on s'aperçoit ainsi que :
- le nombre des décès liés à l'infection par le SARS-CoV-2 et le nombre de cas de COVID-19 n'ont guère de relations avec les taux de tests réalisés dans la population. Et encore moins avec leur caractère massif supposé !
- la dénomination de dépistage massif devrait être abandonnée.
Des données obtenues dans dix pays
Des données concernant le nombre de tests de dépistage effectués, le nombre de cas de COVID-19 et le nombre de décès ont pu être collectées dans huit pays d'Europe (Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède), ainsi qu'aux États-Unis et en Corée du Sud (un exemple de bonne gestion), et sont illustrées dans le tableau I et les figures 1 et 2.
Tableau I : Taux de tests pour 1 000 habitants, nombre de tests réalisés, nombre de cas de COVID-19 et nombres de décès liés à l'infection dans 10 pays dont 8 européens
Pays | Taux de tests pour 1 000 habitants |
Nombre tests réalisés | Nombre de cas de COVID-19 | Nombre de décès |
Corée du Sud | 10 ,86 ‰ | 550 109 | 10 661 | 236 |
Portugal | 17,87 ‰ | 182 645 | 20 863 | 714 |
Suède | 7,37 ‰ | 74 600 | 13 822 | 1 540 |
Pays-Bas | 9,02 ‰ | 154 911 | 31 589 | 3 684 |
Allemagne | 20,94 ‰ | 1 728 357 | 145 743 | 4 404 |
Royaume-Uni | 5,54 ‰ | 372 067 | 121 174 | 16 060 |
France | 7,05 ‰ | 463 662 | 118 821 | 19 718 |
Espagne | 20,02 ‰ | 930 230 | 200 210 | 20 453 |
Italie | 22,08 ‰ | 1 305 382 | 178 212 | 23 660 |
États-Unis | 11,16 ‰ | 3 698 534 | 760 245 | 40 682 |
Figure 1. Représentation graphique (courbes) du nombre de tests pour 1 000 habitants réalisés dans certains pays européens et en Corée du Sud
Figure 2. Représentation graphique (carte) du nombre de tests pour 1 000 habitants réalisés dans certains pays européens et en Corée du Sud
Source : base https://github.com. Données actualisées entre le 14 et le 20 avril 2020.
Un élément important : le nombre de tests effectués pour chaque cas confirmé
Le nombre des tests effectués pour chaque cas confirmé est une autre donnée d'intérêt. Dans certains pays, le nombre de tests est beaucoup plus élevé que le nombre de cas confirmés. Par exemple, au Vietnam, où plus de 400 tests avaient été effectués pour chaque cas confirmé. Mais aussi à Taïwan ou en Corée du Sud, où une cinquantaine de tests ont été réalisés pour chaque cas confirmé. Dans les autres pays cités, le nombre de tests effectués par cas confirmé est compris entre 11 pour l'Allemagne et 3 pour le Royaume-Uni.
Or, le nombre de cas confirmés nous informe sur l'évolution de la pandémie. Et les tests sont notre fenêtre sur la pandémie et la façon dont elle se propage : c'est l'un des outils les plus importants dans la lutte pour ralentir et réduire la propagation et l'impact du virus. Cependant, si le recours à ces tests n'a probablement aucun besoin d'être massif, il y a, à l'évidence, besoin d'un ciblage précis et d'un suivi organisé. Ce sont en effet les tests qui permettent d'identifier les individus infectés, orientant le traitement médical qu'ils reçoivent, l'isolement des personnes infectées, ainsi que le traçage et la mise en quarantaine des patients et de leurs contacts.
Cependant, même pour le lecteur rapide, il n'échappera pas que les taux des tests pratiqués sont très proches en Allemagne (20,94 ‰), en Espagne (20,02 ‰), en Italie (22,08 ‰), trois pays où l'évolution de l'épidémie est très différente, alors que la Corée du Sud, pays vedette de la bonne gestion (et d'un dépistage dit massif), n'a réalisé de tests que sur 10,86 ‰ de sa population.
Dans ce contexte, ne faudrait-il pas abandonner la dénomination "trouble" de tests massifs ?
Ce dont nous avons besoin, c'est de prescrire et de faire réaliser facilement des tests à une population ciblée, car elle a des symptômes, même sans facteurs de risque, mais surtout si elle a des facteurs de risque. Mais aussi à des sujets sans symptômes dans l'environnement de personnes positives identifiées.
Les exemples allemand, coréen, et beaucoup d'autres montrent que tester quelques pour cent d'une population est suffisant.
Pour atteindre, en France, le niveau de dépistage de l'Allemagne, à raison de 300 000 tests par semaine, ce qui semble l'objectif actuel des autorités françaises pour le courant du mois de mai, il faudra tout de même six semaines pour tester, en nombre suffisant, la population française (2 000 000 pourrait-être un objectif).
Dépistages intelligents, ciblés - OUI, dépistages massifs - NON.
Enfin, il est probable, qu'aucune stratégie de dépistage ne sera totalement performante, si l'on n'identifie pas très tôt, avec des mesures appropriées, la survenue de clusters au devenir ravageur, comme cela a été le cas en France, notamment à Mulhouse, Creil et Les Contamines.
En première analyse, les pays peu touchés ont, au départ, échappés à ces clusters qu'on a, en France, tardé à contrôler.
Il apparaît donc important, outre les mesures barrières, de garder à l'esprit ce dépistage ciblé, si l'on veut échapper à une deuxième vague de l'épidémie dont nous sommes menacés.
©vidal.fr
Source
Données issues de la base https://github.com et actualisées entre le 14 et le 20 avril 2020.
Joe Hasell et al. To understand the global pandemic, we need global testing – the Our World in Data COVID-19 Testing dataset. Our World in Data. https://ourworldindata.org/how-to-embed-charts
Sources
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