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Quelques rappels sur le vaccin BCG et la réponse immunitaire qu’il suscite
Ces rappels devraient vous aider à mieux comprendre la suite de cet article.
La tuberculose est causée par une bactérie qui se présente sous la forme de bâtonnets allongés (bacilles de Koch). Le bacille de Calmette et Guérin ou BCG est un vaccin vivant bactérien atténué contre la tuberculose. Le Dr Calmette (médecin) et le Dr Guérin (vétérinaire) ont obtenu cette souche vaccinale après 13 ans d’efforts, pendant lesquels ils ont cultivé 231 fois un bacille de la tuberculose bovine sur des morceaux de pomme de terre.
Le vaccin BCG a été utilisé pour la première fois chez l’homme en 1921. Alors que les autres vaccins entraînent la production d’anticorps dirigés contre l’agent pathogène responsable de la maladie, le vaccin BCG (comme le bacille de Koch) entraîne une réponse uniquement cellulaire, dirigée contre les cellules où se réfugient les bacilles tuberculeux. Les cellules produites au cours de cette réponse immunitaire sont des lymphocytes T. Le “T” vient de thymus, l’organe où ils sont fabriqués.
Les lymphocytes T jouent un rôle majeur dans l’immunité. Ils sont classées en différentes catégories selon les molécules qu’ils possèdent à leur surface. On distingue notamment les lymphocytes T CD4 (CD signifie “cluster de différentiation”) et les lymphocytes T CD8. Les lymphocytes T CD4, également appelés auxiliaires ou “helper” (Th en abrégé), jouent un rôle central dans l’immunité et se subdivisent eux-mêmes en différentes catégories (notamment Th1, Th2 et Th17). Les lymphocytes CD8 sont également appelés cytotoxiques car ils sont capables de détruire les cellules infectées par un agent pathogène. Certains lymphocytes T sont activés en cas d’infection ou de vaccination et produisent de l’interféron gamma, une substance qui aide l’organisme à se défendre contre l’infection.
La réponse immunitaire cellulaire est complexe et fait intervenir d’autres types de cellules, par exemple les cellules NK (pour “Natural Killer”), ou des substances chimiques appelées cytokines ou interleukines (IL) qui régulent cette réponse (exemples : interleukine 1β, TNF-α).
Vaccins vivants et protection non spécifique
La protection non spécifique conférée par certains vaccins, essentiellement vivants atténués, est un fait actuellement admis [1]. Ces vaccins sont capables, outre la protection attendue contre le germe contre lequel ils ont été développés, de protéger contre d'autres microorganismes par un processus immunitaire non spécifique. La vaccination contre la rougeole introduite dans les pays du tiers monde a réduit la mortalité infantile dans des proportions qui vont bien au-delà de l'effet attendu lié à la réduction d'incidence de la rougeole et de ses complications [2]. L'explication essentielle avancée est que la rougeole entraîne une immunodépression de sorte qu'éviter cette maladie prévient les infections ultérieures graves liées à cette dépression immunitaire. Mais d'autres mécanismes sont possibles. De même, la campagne de vaccination par le vaccin polio oral (OPV) en Guinée Bissau en 1998 a réduit la mortalité des enfants de moins de 5 ans bien au-delà de celle liée à la poliomyélite [3]. Il en va de même pour le vaccin BCG qui suscite un intérêt particulier dans le contexte actuel : la protection « hors cible » procurée par ce vaccin a suscité des travaux de recherche dont certains éclairent d'un œil nouveau les mécanismes immunitaires de protection induits par les vaccins. Des revues récentes sur ce sujet ont été publiées récemment [4-7].
Vaccin BCG et protection non spécifique : données des études chez l'homme
Peu après l'introduction de la vaccination par le BCG dans les années 1920, des études épidémiologiques ont montré que cette vaccination réduisait la mortalité globale bien au-delà de son effet sur la réduction de l'incidence de la tuberculose [5]. Des études observationnelles réalisées en Afrique de l'Ouest ont montré une réduction de 50 % de la mortalité des enfants vaccinés par le BCG [8]. Des essais cliniques randomisés ont confirmé ces données, notamment une étude réalisée en Guinée Bissau où des prématurés ont été vaccinés par le BCG soit à la naissance soit à 6 semaines de vie. Une réduction de 40 % de la mortalité néonatale (dans le premier mois de vie) est observée chez les enfants vaccinés à la naissance [9]. Toutefois, une étude de même type réalisée en Inde n'a pas révélé de différence de mortalité, peut-être parce que la souche de BCG utilisée était différente [5]. Une méta-analyse à partir de 5 essais cliniques montre un risque relatif de décès chez les enfants vaccinés de 0,70 (0,49- 1,01) et de 0,49 (0,32- 0,69) à partir de 9 études observationnelles à haut risque de biais [10].
Concernant les virus, et plus particulièrement les virus respiratoires, une étude cas-témoin réalisée en Guinée-Bissau suggère que la vaccination par le BCG réduit le risque d'infection respiratoire basse à VRS (virus respiratoire syncytial) chez les nourrissons [11]. D'autres études ont concerné les personnes âgées vaccinées par le BCG (1 dose par mois pendant 3 mois) chez qui on observe une réduction significative des infections respiratoires par rapport au groupe placebo [12]. Un effet bénéfique sur la survenue d'infections respiratoires a été également observée chez des adolescents [5]. Toutefois, ces études ne peuvent faire la différence entre la réduction de l'incidence des infections bactériennes et celle des infections virales.
La vaccination par le BCG a par ailleurs été associée à une réduction de 65 % des verrues génitales liées aux papillomavirus dans une étude randomisée réalisée en Egypte [13]. Dans un autre essai réalisé en Inde [14], où les patients recevaient trois doses de vaccin BCG espacées d'un mois, 48,5 % des patients ont vu une disparition totale de leurs verrues génitales. Cependant, la répétition des doses a entrainé des effets indésirables locaux qui ont fait interrompre le traitement dans 57 % des cas. Après une seule dose, 28,6 % des malades avaient guéri.
Un « challenge humain » a été réalisée avec le virus vaccinal de la fièvre jaune dont on sait qu'il entraine une virémie et qui est considéré comme un modèle d'infection virale. Cette étude [15] apporte en outre des éléments décisifs d'explication du mécanisme de « l'éducation immunitaire » (trained immunity) par lequel le vaccin BCG procure une protection indirecte contre différents virus (cf infra). Des volontaires ayant reçu soit un vaccin BCG soit un placebo ont reçu un mois plus tard le vaccin contre la fièvre jaune. Une réduction significative de la charge virale a été observée chez les personnes vaccinées par le BCG.
Des études se sont par ailleurs intéressé à l'effet du BCG sur la réponse immune à d'autres vaccins et suggèrent un renforcement de la réponse en anticorps obtenue par la vaccination contre la grippe pandémique A(H1N1). Un renforcement de la réponse immune a également été montrée avec le vaccin contre l'hépatite B [5].
Les études chez l'animal
De nombreuses études réalisées sur des modèles animaux (essentiellement les souris) montrent que le BCG renforce la réponse immune ou la protection contre de nombreux virus : Influenza A, Herpes simplex, vaccine, hépatite B, Sendai, encéphalite japonaise [5]. Beaucoup de ces études sont anciennes et ont utilisé des souches différentes de BCG ou le MDP (muramyl dipeptide, composant de la paroi bactérienne des mycobactéries).
Quel est le mécanisme impliqué ?
Ce mécanisme est complexe et imparfaitement connu. Deux types de mécanisme sont évoqués [5] :
- Le BCG pourrait induire une réponse immunitaire lymphocytaire hétérologue avec une activation de lymphocytes CD4 et CD8 se traduisant par une augmentation de production d'interféron gamma. Le BCG pourrait également activer des lymphocytes CD4 et CD8 mémoires et moduler les réponses Th1 et Th17 aux infections non mycobactériennes. Ce mécanisme a été démontré chez la souris vis-à-vis de la protection contre le virus de la vaccine. Chez l'homme, cette modulation des réponses Th1 et Th17 induite par le BCG pourrait persister au moins un an après la vaccination [16]. Ce type de mécanisme pourrait également expliquer l'effet du BCG sur les verrues génitales causées par des papillomavirus.
- Le mécanisme privilégié est celui de l'induction d'une mémoire de l'immunité innée. On a longtemps pensé que seuls les lymphocytes B et T étaient capables d'acquérir une mémoire immunitaire. Il existe maintenant des données montrant que le programme fonctionnel des cellules impliquées dans l'immunité innée peut être modifié après certaines infections ou vaccinations [17]. La protection non spécifique procurée par le vaccin BCG pourrait se faire par l'induction d'une mémoire immunitaire innée dans les cellules NK, les monocytes et les macrophages. In vitro, les monocytes de volontaires vaccinés par le BCG trois mois plus tôt ont une réponse forte en interleukine 1β et TNF-α après exposition à des germes non mycobactériens [18]. Ceci est associé à une reprogrammation épigénétique des monocytes au niveau des sites des gènes codant les cytokines pro-inflammatoires (favorisant l'inflammation). Dans l'essai réalisé avec le virus vaccinal de la fièvre jaune [15], la réduction de la charge virale virémique observée chez les personnes vaccinées par le BCG est corrélée avec la production d'interleukine 1β et non à l'augmentation d'interleukine 6, de TNF-α, ni à la réponse hétérologue des lymphocytes.
Et la Covid-19 ?
Il n'existe à notre connaissance pas de données publiées sur l'effet protecteur que pourrait avoir le vaccin BCG sur la Covid-19. L'affirmation formulée par certains que la Covid-19 pourrait être moins grave dans les pays qui vaccinent par le BCG nous semble pour le moins prématurée. Il sera certainement intéressant de comparer les Länders allemands issus de l'ex République Fédérale Allemande (qui n'a jamais utilisé le BCG) et ceux issus de l'ex-RDA qui a vacciné par le BCG tous les enfants durant la période communiste.
Pour l'heure, il est clair que le vaccin BCG génère une très forte stimulation immunitaire qui déborde l'installation d'une immunité contre la tuberculose. Cette propriété est d'ailleurs exploitée pour l'immunothérapie de certains cancers de la vessie.
Il est très probable que cette stimulation immunitaire puisse protéger contre des microorganismes sans lien immunologique avec les mycobactéries, expliquant la réduction de la mortalité globale des enfants dans les pays du tiers-monde (mais aucun effet documenté dans les pays industrialisés).
Les données existantes ne permettent pas d'affirmer qu'une vaccination par le BCG permettra de réduire l'incidence et la gravité de la Covid-19 mais justifient parfaitement la mise en place d'essais cliniques.
L'Australie et les Pays Bas viennent de mettre en place un essai chez les soignants à haut risque qui prennent en charge des malades atteints de Covid-19. Ces deux pays ont pour caractéristique de ne pas avoir utilisé le BCG. Ces études permettront donc d'apprécier l'effet brut et à court terme de cette vaccination, sous réserve que le nombre de professionnels inclus soit suffisant pour tirer des conclusions (un peu plus de 4 000 personnes dans l'étude australienne). D'autres pays vont suivre, dont l'Allemagne et la France.
La problématique sera toute différente dans les pays qui vaccinent par le BCG, notamment en France où la quasi-totalité des soignants a été vaccinée par le BCG, soit dans l'enfance (l'obligation vaccinale ayant été levée en 2007) soit à l'embauche, l'obligation vaccinale pour les soignants ayant été levée en 2019. De nombreuses questions se posent dans ce contexte :
- L'immunité non spécifique conférée par le BCG est-elle de longue durée ? Le mécanisme invoqué (reprogrammation épigénétique des propriétés des monocytes) tendrait à le faire penser mais il est difficile de penser que cet effet puisse persister inchangé plusieurs années plus tard.
- Une revaccination sera-t-il capable de booster une immunité résiduelle ? Il est admis que la revaccination par BCG n'améliore pas la protection vis-à-vis de la tuberculose. Mais le mécanisme est différent…
- Quel est le risque de majoration des effets indésirables induit par la revaccination ?
- Les vaccins BCG ont utilisé plusieurs souches bactériennes avec des différences d'efficacité vis-à-vis de la protection contre la tuberculose. Qu'en est-il de l'immunité non spécifique ?
Espérons que l'étude qui va se mettre en place en France ainsi que dans d'autres pays utilisant le BCG permettra d'apporter des réponses à ses questions.
Enfin, pour le cas où (ce que tout le monde souhaite sans doute) la vaccination par le BCG puisse avoir un effet protecteur significatif contre la Covid-19, il convient de se rappeler que le vaccin BCG subit une tension d'approvisionnement à l'échelon mondial et que, notamment en France, ce vaccin (BCG AJVaccines) est contingenté et qu'un nombre très limité de producteurs de ce vaccin existe dans le monde…
Une vaccination de masse n'est certainement pas à l'ordre du jour !
Références
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