#Santé

L’allergie à la pénicilline : plus de peur que de mal ?

Près de 10 % des patients signalent lors d’une consultation médicale qu’ils sont allergiques à la pénicilline. Mais, en réalité, 90 % des personnes autodéclarant un antécédent d’allergie à cet antibiotique le tolèrent très bien, une situation qui n’est pas sans conséquences.
 

Patricia Thelliez 13 février 2020 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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Une allergie à bien confirmer (illustration).

Une allergie à bien confirmer (illustration).


Bien que des antécédents d'allergie à la pénicilline soient assez fréquemment rapportés par les patients, une fois les tests allergologiques effectués, il apparaît qu'une authentique allergie est rare, soit par erreur « d'étiquetage », soit parce qu'elle a disparu au fil du temps. Or cette situation, qui conduit le plus souvent à changer de classe d'antibiotique, a plusieurs conséquences délétères :

  • Pour le patient, il s'agit de la diminution de l'offre antibiotique, du recours à d'autres classes susceptibles d'entraîner davantage d'effets secondaires, de la prescription d'antibiotiques à large spectre et de l'accroissement des infections locales post-opératoires.
  • En termes de santé publique, il s'ensuit un effet facilitateur de résistance bactérienne, une augmentation des infections à Clostridium difficile, ainsi que de la durée des séjours hospitaliers et des coûts.


Rappel physiopathologique et clinique
D'où l'importance de bien connaître les mécanismes en jeu dans cette allergie, ainsi que ses différentes formes cliniques et de savoir isoler les éléments pertinents à partir l'interrogatoire des patients.  
Il faut rappeler, en premier lieu, que ce genre d'allergies est typiquement non dose-dépendant et imprévisible.
Cliniquement, deux types de réactions sont individualisées :

  • Immédiates, qui sont typiquement IgE-médiées et qui surviennent de quelques minutes à quelques heures après l'administration du médicament. Les symptômes peuvent être une urticaire, un angio-œdème, une rhinite, une conjonctivite, un bronchospasme, une réaction anaphylactique.
  • Différées, survenant des jours, voire des semaines, après la prise de l'antibiotique et qui sont liées à une réaction immunitaire dépendant des lymphocytes T. La plupart du temps, les symptômes sont des manifestations cutanées non compliquées (exanthèmes maculopapuleux, urticaire, etc.). Très rarement, ce type de réaction peut néanmoins provoquer des réactions graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital, comme un syndrome de Stevens-Johnson ou de Lyell.

 
Il est utile de savoir que, dans la plupart des cas, il s'agit de réactions cutanées bénignes comme une urticaire ou un exanthème maculopapuleux retardé.

 
Huit questions-clés à poser au patient
Face à un patient rapportant un antécédent d'allergie à la pénicilline, il est important de bien l'écouter, de façon à orienter les décisions diagnostiques et thérapeutiques ultérieures.
À cet égard, T Pongdee et JT Li, de la Mayo Clinic, ont individualisé huit questions-clés à poser au patient qui signale des antécédents d'allergie à la pénicilline.

1-Quels étaient les symptômes et les signes de la réaction allergique et quand sont-ils apparus ?
Des manifestations typiques d'une allergie IgE médiée comme celles décrites ci-dessus peuvent corroborer le diagnostic. En revanche, lorsque le sujet décrit des symptômes tels qu'une dyspepsie, une diarrhée ou des céphalées, on peut douter de la réalité d'une allergie médicamenteuse.
De plus, l'allergie à la pénicilline s'amenuise au fil du temps, disparaissant progressivement en une dizaine d'années. Des symptômes survenus longtemps auparavant ne sont pas en faveur de la persistance d'une allergie.
 
2-Quand est survenue la réaction allergique par rapport à la prise de l'antibiotique ?
Des symptômes apparus immédiatement pendant ou après l'administration du médicament doivent faire évoquer une allergie IgE médiée.
 
3-Y avait-il d'autres médicaments utilisés en même temps que la pénicilline ?
Si la pénicilline et ses dérivés sont les molécules les plus fréquemment responsables d'allergie médicamenteuse, d'autres classes peuvent aussi être à l'origine de réactions allergique, comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou les opiacés.

4-Est-ce qu'un médicament similaire avait déjà été administré auparavant ?
Classiquement, la survenue d'une allergie IgE médiée apparaît à la suite d'expositions préalables au même type de molécules, à l'origine d'une sensibilisation. Et c'est la réexposition au médicament qui provoque la réaction clinique.

5-Est-ce qu'un médicament similaire a été administré après la réaction dite allergique ?
Dans ce cas, il est possible que l'allergie primitive se soit estompée avec le temps, tandis que des réactions répétées dans le temps suggèrent que l'allergie est toujours présente.
 
6-Pour quelle affection l'antibiotique avait-il été prescrit ?
Il est possible que la pathologie sous-jacente ait été responsable de la réaction. Par exemple, une angine à streptocoque peut tout à fait induire un rash cutané indépendamment de l'exposition à la pénicilline.

7-Est-ce que des symptômes similaires sont aussi apparus en l'absence de tout traitement par la pénicilline ?
Certaines affections peuvent très bien provoquer des manifestations qui ressemblent à une réaction allergique, par exemple une urticaire chronique idiopathique.  
 
8-Est-ce que le dossier médical concernant l'allergie alléguée a été vérifié ?
C'est un point important car, souvent, les patients ne se rappellent pas de tous les détails de leur réaction et ils peuvent aussi ne pas savoir s'ils ont déjà été traités par un antibiotique similaire avant la réaction allergique.

 
Le bilan allergologique
Si ces éléments cliniques peuvent permettre d'orienter le diagnostic, ils ne sont cependant pas suffisants pour le confirmer ou l'infirmer totalement.
De ce fait, selon T Pongdee et JT Li, il est recommandé d'adresser les patients à un allergologue de façon à réaliser des tests diagnostiques.
Ces tests (essentiellement prick tests et tests intradermiques) doivent être effectués dans des structures spécialisées, afin de pouvoir contrôler une éventuelle réaction anaphylactique qui est, au demeurant extrêmement rare (< 1 %). Il existe d'autres approches (tests oraux, tests in vitro), mais beaucoup moins souvent utilisées.

 
Et les conséquences pratiques de ses résultats
Globalement, la valeur prédictive négative concernant des réactions graves immédiates est de 98 %, tout au moins aux États-Unis car il semble qu'elle soit un peu moins élevée en Europe.
En revanche, il est plus difficile de connaître la valeur prédictive positive dans la mesure où, lorsque le test est positif, l'antibiotique est le plus souvent arrêté.
Dans ce cas, il faut choisir un autre antibiotique ou, plus rarement, s'orienter vers une désensibilisation dans un centre spécialisé, désensibilisation qui n'a qu'une efficacité temporaire.
 

Des allergies croisées sont possibles au sein de la classe des bêtalactamines
Dans la mesure où il existe de rares allergies croisées (environ 2 %) entre les différentes bêtalactamines, quel antibiotique choisir en cas d'allergie à la pénicilline avérée ?
À cet égard, quelques notions doivent être rappelées.

  • Les céphalosporines sont beaucoup moins susceptibles que la pénicilline de provoquer une réaction allergique. En cas d'antécédent d'allergie prouvée à la pénicilline, l'administration ultérieure de céphalosporines n'entraîne qu'environ 2 % de réactions allergiques, mais une réaction anaphylactique est toujours possible, d'où la nécessité de tester les patients avant un traitement par céphalosporine. Lorsque le test à la pénicilline est négatif, la plupart des patients peuvent recevoir des bêtalactamines. En l'absence de test ou si la réaction a été sévère, les céphalosporines doivent être administrées sous surveillance.
  • En ce qui concerne les carbapénèmes, le taux de réactivité croisée avec la pénicilline est faible, de moins de 1 %. Si le test à la pénicilline est négatif, la prise de carbapénème est possible. Si le test n'a pas été fait ou en cas d'antécédent de réaction sévère, l'introduction d'un carbapénème doit être faite progressivement. En cas de positivité, il faut faire un test de réintroduction.
  • Quant à l'aztréonam, il ne provoque que très peu de réactions allergiques et aucune réactivité croisée avec les pénicillines et les céphalosporines n'a été rapportée, à l'exception de la ceftazidime. Les patients ayant une allergie à la pénicilline ou aux céphalosporines peuvent donc être traités par aztréonam, saufs ceux allergiques à la ceftazidime.

 
Pour en savoir plus
Lteif L et Eiland LS. The basics of penicillin allergy : what a clinician should know. Pharmacy (Basel) 2019 ; 17 juillet : 7(3).
 Castells et coll. Penicillin allergy. N Engl J Med 2019 ; 381 : 2338-2351.
 Pongdee T et Li JT. Evaluation and management of penicillin allergy. Mayo Clin Proc 2018 ; 93 ; 101-107.
 V Shenoy ES et coll. Evaluation and management of penicillin allergy : a review. JAMA 2019 ; 321 : 188-199.
 Khan DA et Solensky R. Drug allergy. J Clin Allergy Clin immunol 2010, 125 : S126-137. 
 Solensky R. Allergy to B-Lactam antibiotics. J Clin Allergy Clin immunol 2012 ; 130 : 1442-1442.

 

Sources

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