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Chronothérapie et mathématiques pour optimiser les traitements anticancéreux

Pour faire suite aux précédents articles parus sur VIDAL.fr en novembre et décembre 2019, concernant la chronobiologie et son application thérapeutique au traitement de l’hypertension artérielle ou dans la prévention cardio-vasculaire, ce dossier se clôt aujourd’hui par un dernier thème ayant fait l’objet de recherches depuis plusieurs années : la chronothérapie en cancérologie
Patricia Thelliez 09 janvier 2020 Image d'une montre4 minutes icon Ajouter un commentaire
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De grandes variations des effets selon l'heure d'administration des chimiothérapies anticancéreuses (illustration).

De grandes variations des effets selon l'heure d'administration des chimiothérapies anticancéreuses (illustration).

 
Plusieurs équipes ont montré que la plupart des organes et des cellules du corps humain obéissent à un rythme circadien, ce qui a abouti à la naissance de la chronobiologie.
Les effets des médicaments variant aussi au cours du nycthémère, la modulation de l'heure de leur administration pourrait aussi permettre d'augmenter leur efficacité, tout en minimisant leurs effets secondaires.


Une équipe pionnière en France
C'est un constat qui a été fait de longue date à l'hôpital Paul Brousse de Villejuif où le service de cancérologie a été pionnier dans ce domaine via la création d'une unité de chronothérapie.
Les premières études menées par le Pr Francis Lévi ont en effet montré que, chez les patients atteints d'un cancer colorectal métastasé, une perfusion nocturne de fluorouracile et d'acide folinique associée à une perfusion d'oxaliplatine l'après-midi diminuait la toxicité de cette chimiothérapie par rapport à une administration classique dans la journée, tout en accroissant son efficacité.
Ainsi, selon les résultats d'un essai multicentrique randomisé mené chez 186 patients, une réponse objective a été obtenue chez 51 % des malades du groupe chronothérapie contre 29 % de ceux du groupe témoin, la différence, de 21,5 %, étant significative.
Parallèlement, l'approche chronothérapique a entraîné une réduction d'un facteur 5 des mucites graves par rapport au même traitement standard (14 % versus 76 %) et a diminué de moitié les troubles fonctionnels liés à une neuropathie sensitive périphérique (16 % versus 31 %), ces écarts étant également significatifs.        


Des protocoles adaptés
Mais ces molécules ne sont pas les seules à pouvoir bénéficier d'une optimisation de leurs effets grâce à la chronothérapie : l'irinotécan, introduit plus récemment dans le traitement du cancer colorectal métastasé, a aussi produit des effets optimisés lorsqu'il est perfusé la nuit.
Dans un essai publié en 2006, le protocole suivant a été utilisé : à J1, perfusion d'irinotécan à 4 h du matin suivie, de J2 à J5, d'une perfusion de fluorouracile et d'acide folinique à 4 h alors que l'administration d'oxaliplatine était effectuée à 16 h.
De même, dans une étude pilote plus récente, menée dans le cadre du projet européen inCASA (integrated network for Completely Assisted Senior Citizen's Autonomy), des patients atteints de cancer colorectal avancé ou métastasé ou bien de cancer pancréatique ont reçu une chimiothérapie chronomodulée selon un schéma similaire sur quatre jours.
D'autres cancers pourraient aussi bénéficier de cette approche, comme le glioblastome ou la leucémie aiguë lymphoblastique.


Des modélisations mathématiques
Une meilleure connaissance des mécanismes moléculaires à l'œuvre dans le cancer et l'individualisation des traitements anticancéreux peut également s'appuyer sur les mathématiques.
Des chercheurs d'une équipe Inserm de l'hôpital Paul Brousse travaille dans ce sens en collaboration avec l'université britannique de Warwick, grâce à des modélisations mimant le rythme biologique des cellules. Ces recherches ont pu préciser les effets différents de l'irinotécan selon l'heure de la perfusion, l'induction de l'apoptose induite par cette molécule étant 4 fois plus importante à 4 h du matin qu'à 4 h de l'après-midi, en raison, notamment, de modifications de sa pharmacocinétique et de sa pharmacodynamie.   


Une meilleure qualité de vie lorsque le rythme circadien est conservé
En cancérologie, une meilleure connaissance de la chronobiologie n'a pas seulement un impact sur la thérapeutique. Ainsi, les cycles veille-sommeil, les performances mentales et physiques, de même que l'appétit, suivent un rythme circadien.
Dans une étude ayant inclus 237 patients atteints d'un cancer colorectal métastatique et 31 d'un cancer avancé, la fonction circadienne a été évaluée pendant 3 jours à l'aide d'un actimètre (bracelet comportant un dispositif qui permet de recueillir les périodes de mouvement). Un questionnaire a aussi été utilisé pour apprécier la qualité de vie des malades.
Il est apparu que lorsque le rythme circadien était perturbé, la fatigue et l'anorexie étaient plus importantes. À l'inverse, les patients ayant un rythme circadien correct avaient de meilleures fonctions physiques et sociales et une meilleure qualité de vie.
D'où l'idée de développer de nouvelles approches afin de resynchroniser les rythmes biologiques.


Respecter les rythmes biologiques en USI
C'est une piste qui a aussi été suggérée pour les patients hospitalisés en unité de soins intensifs (USI). L'adoption d'un faisceau de mesures simples (mais pas toujours faciles à mettre en place à l'hôpital) pourrait permettre de maintenir un rythme circadien normal en agissant sur les synchronisateurs externes, à savoir :
  • dans la journée, un éclairage suffisant, la distribution des repas, l'activité physique et les interventions médicales ;
  • la nuit, le moins de lumière, de conversations et de bruit possibles, le recours à des masques et des bouchons auriculaires, l'absence d'alimentation et de toilettes, un minimum ou un regroupement des interventions médicales.
 
Pour en savoir plus
- Inserm. Dossier chronobiologie.
- Lévi F et coll. Chronomodulated versus fixed-infusionrate delivery of amulatory chemotherapy with oxaliplatin, fluorouracil, and folinic acid (leucovorin) in patients with colorectal cancer metastases : a randomized multi-institutional trial. J Natl Cancer Inst 1994 ; 86 : 1608-1617.
- Lévi F et coll. Randomised multicentre trial of chronotherapy with oxaliplatin, fluorouracil, and folinic acid in metastatic colorectal cancer. International Organization for cancer chronotherapy. Lancet 1997 ; 350 : 681-686.
- Gholam D et coll. Chronomodulated irinotecan, oxaliplatin, and leucovorin-modulated 5-fluorouracil as ambulatory salvage therapy in patients with irinotecan- and oxaliplatin-resistant metastatic colorectal cancer. Oncologist 2006 ; 11 : 1072-1080.
- Innominato PF et coll. Home-based e-health platform for multidimensional telemonitoring of symptoms, body weight, sleep, and circadian activity: relevance for chronomodulated administration of irinotecan, fluorouracil-leucovorin, and oxaliplatin at home- Results from a pilot study. JCO Clin cancer inform 2018 ; 2 : 1-15.
- Slat EA et coll. Cell-intrinsic, Bmal1-dependent circadian regulation of temozolomide sensitivity in glioblastoma. J Biol Rhythms 2017 ; 32 : 121-129.
- Mormont MC et Levi F. Cancer chronotherapy : principles, applications, and perspectives. Cancer 2003 ; 97 : 155-169.
- Ballesta A et coll. Sustems chronotherapics. Pharmacol Rev 2017 ; 69 : 161-199.
- Dulong S et coll. Identification of circadian determinants of cancer chronotherapy through in vitro chronopharmacology and mathematical modeling. Mol Cancer Ther 2015 ; 14 : 2154-2164.
- Innominato PF et coll. Circadian rest-activity rhythm as an objective biomarker of patient-reported outcomes in patients with advanced cancer. Cancer Med 2018 ; 7 : 4396-4405.
- McKenna H et coll. Clinical chronobiology : a timely consideration in critical care medicine. Crit Care 2018 ; 22 : 124.
Sources

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