Granules homéopathiques (illustration).
L'homéopathie en chiffres
Dans son dossier de presse en date du 28 juin 2019, la Haute Autorité de Santé (HAS) indiquait qu'en 2018, les médicaments homéopathiques admis au remboursement représentaient une dépense annuelle de 126,8 M€ pour l'Assurance maladie.
Remboursés à hauteur de 30 %, ils représentaient donc une dépense de 296 M€ pour les assurances complémentaires de santé, et un chiffre d'affaires global d'environ 150 à 160 M€ pour les industriels (59 % de leur chiffre d'affaires global en France), le reste étant perçu par les répartiteurs et les pharmaciens.
Toujours en 2018, 6,7 millions de Français s'étaient vus prescrire un médicament homéopathique admis au remboursement. Les médecins généralistes étaient à l'origine de 58 % de ces prescriptions (suivis par les dentistes à hauteur de 11 %). Le remboursement moyen annuel par patient utilisateur de l'homéopathie tournait autour de 18 €.
Une demande d'évaluation par le Ministère des Solidarités et de la Santé
Fin 2018, à la suite d'une tribune de 124 professionnels de santé dénonçant le remboursement par la collectivité de médicaments n'ayant pas fait la preuve formelle de leur efficacité (Le Figaro, 18 mars 2018), le Ministère des Solidarités et de la Santé a demandé à la Commission de la Transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) de se prononcer sur l'admission au remboursement des spécialités homéopathiques.
Un large périmètre d'évaluation
L'évaluation des médicaments homéopathiques réalisée par la Commission de la Transparence (CT) repose sur des données scientifiques issues de plus de mille études (dont 364 revues systématiques et méta-analyses et 517 essais contrôlés randomisés), pour 24 affections et symptômes traités avec près de 1 200 médicaments homéopathiques (Cf. Encadré 1), les uns remboursables sur prescription médicale (ayant un nom commun), les autres non remboursables faute de demande par les laboratoires (ayant un nom de marque).
Selon la HAS, une efficacité insuffisante pour être proposée au remboursement
Au terme de son évaluation pour l'ensemble de ces affections et symptômes, la Commission de la Transparence a constaté :
En conséquence, la Commission de la Transparence, dans son avis du 26 juin 2019, a considéré que les médicaments homéopathiques n'ont pas démontré scientifiquement une efficacité suffisante (hors celle de leur seul effet placebo) pour justifier un remboursement.
Les termes de cet avis ont fait l'objet d'un dossier de presse mis en ligne le 28 juin 2019.
Une période intense de lobbying avant la décision ministérielle
Dès la publication par la presse des conclusions provisoires de la Commission de la Transparence, avant même l'avis définitif, une importante activité de lobbying a été engagée par ceux opposés et ceux en faveur du remboursement des médicaments homéopathiques.
D'un côté, des professionnels de santé exigeant que les conclusions de la Commission soient appliquées comme elles le sont pour les autres types de médicaments, dans l'esprit de la médecine par les preuves, de l'autre les industriels soucieux de leur chiffre d'affaires et de l'emploi, et les patients et professionnels de santé convaincus des bienfaits de l'homéopathie (une pétition en ligne, à l'initiative des laboratoires Boiron, aurait recueilli plus de 1,2 millions de signatures). Il n'y a eu aucune prise de position publique de la part des assurances complémentaires de santé, pourtant concernées à hauteur de presque 300 M€ par an.
Vers un déremboursement total en 2021… mais partiel en 2020
Le 9 juillet 2019, la Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a tranché et annoncé que les médicaments homéopathiques cesseraient d'être remboursés le 1er janvier 2021. Néanmoins, pour permettre aux patients, professionnels de santé et industriels de s'adapter à cette nouvelle donne, ces médicaments continueront à être remboursés en 2020, mais seulement à hauteur de 15 % (au lieu des 30 % actuels), avec le maintien de la TVA réduite propre aux produits remboursables (2,1 %).
Cette mesure préserve le chiffre d'affaire des industriels (les complémentaires de santé compensant la diminution du remboursement public) et n'affecte pas le coût pour les patients (qui ont une complémentaire santé).
Une décision qui crée une certaine confusion
La décision relative à la baisse du taux de remboursement à partir de 2020 a créé une certaine confusion. Par exemple, quel message envoie le gouvernement en continuant de rembourser… "mais moins" ? Dans une tribune du 3 juillet 2019, le Pr Guy Vallacien s'était élevé contre ce qu'il pressentait comme la solution de "ne pas y croire, mais financer quand même […] On nage dans l'incantation, on démissionne devant l'opinion reine, on refuse de s'appuyer sur les données objectives. À ce jeu pervers, on tue à petit feu le crédit de la science et celui du politique. Comment s'étonner ensuite de l'explosion des « fake news » qui polluent l'espace démocratique ?".
À l'opposé, la députée européenne Europe Écologie-Les Verts Michèle Rivasi a estimé que "le gouvernement et la Ministre Agnès Buzyn manifestent par cette décision de déremboursement leur volonté d'éradiquer une pensée et des pratiques médicales différentes", ce à quoi la Ministre répond que si "certains de nos concitoyens ont le sentiment que ce type de médecine complémentaire les soulage, [mon] souhait est d'aller vers un usage plus raisonné [des médicaments], grâce à de la pédagogie".
Quel impact de la décision du Ministère sur les pratiques ?
Que va-t-il se passer en 2021, une fois les médicaments homéopathiques déremboursés (si rien ne vient s'opposer à la décision du Ministère entretemps) ?
Première conséquence, leur taux de TVA passera à 10 %, ce qui fera mécaniquement augmenter les prix. De plus, à l'instar de ce que l'on a pu voir lors de déremboursement d'autres médicaments, les industriels devraient chercher à compenser la perte de chiffre d'affaires en augmentant les prix. Actuellement, le prix moyen d'un tube de granules homéopathiques remboursable se situe autour de 2 € en France. En Italie, où ces produits ne sont pas du tout remboursés, ils peuvent coûter jusqu'à 8 €.
Lors de la campagne de lobby avant la décision ministérielle, les industriels ont annoncé que cette décision pourrait entraîner le licenciement de 1 300 salariés (sur les 3 200 existant aujourd'hui). Les baisses du taux de remboursement de 65 à 35 % en 2003, puis de 35 à 30 % en 2011, ne s'étaient pas accompagnées de plans sociaux, ni de baisse de chiffre d'affaires (mais les complémentaires de santé compensaient la différence de remboursement).
Certaines assurances complémentaires de santé continueront probablement à rembourser les médicaments homéopathiques dans le cadre de « paniers de soins complémentaires » destinés à attirer les assurés. Aujourd'hui, ces paniers couvrent en général entre 65 et 150 € de médicaments non remboursables par an, ce qui pourrait suffire à un consommateur moyen de spécialités homéopathiques.
Pour aller plus loin
La décision du Ministère des Solidarités et de la Santé, 10 juillet 2019
L'avis de la Commission de transparence de la HAS, 26 juin 2019
Le communiqué de presse de la HAS sur l'avis de la Commission de transparence, 26 juin 2019
L'entretien d'Agnès Buzyn au journal Le Parisien, 9 juillet 2019
La tribune du Pr Guy Vallancien dans Les Échos, 3 juillet 2019
L'entretien de la députée Michèle Rivasi au journal Reporterre, 28 juin 2019
La pétition en ligne des laboratoires Boiron
Dans son dossier de presse en date du 28 juin 2019, la Haute Autorité de Santé (HAS) indiquait qu'en 2018, les médicaments homéopathiques admis au remboursement représentaient une dépense annuelle de 126,8 M€ pour l'Assurance maladie.
Remboursés à hauteur de 30 %, ils représentaient donc une dépense de 296 M€ pour les assurances complémentaires de santé, et un chiffre d'affaires global d'environ 150 à 160 M€ pour les industriels (59 % de leur chiffre d'affaires global en France), le reste étant perçu par les répartiteurs et les pharmaciens.
Toujours en 2018, 6,7 millions de Français s'étaient vus prescrire un médicament homéopathique admis au remboursement. Les médecins généralistes étaient à l'origine de 58 % de ces prescriptions (suivis par les dentistes à hauteur de 11 %). Le remboursement moyen annuel par patient utilisateur de l'homéopathie tournait autour de 18 €.
Une demande d'évaluation par le Ministère des Solidarités et de la Santé
Fin 2018, à la suite d'une tribune de 124 professionnels de santé dénonçant le remboursement par la collectivité de médicaments n'ayant pas fait la preuve formelle de leur efficacité (Le Figaro, 18 mars 2018), le Ministère des Solidarités et de la Santé a demandé à la Commission de la Transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) de se prononcer sur l'admission au remboursement des spécialités homéopathiques.
Un large périmètre d'évaluation
L'évaluation des médicaments homéopathiques réalisée par la Commission de la Transparence (CT) repose sur des données scientifiques issues de plus de mille études (dont 364 revues systématiques et méta-analyses et 517 essais contrôlés randomisés), pour 24 affections et symptômes traités avec près de 1 200 médicaments homéopathiques (Cf. Encadré 1), les uns remboursables sur prescription médicale (ayant un nom commun), les autres non remboursables faute de demande par les laboratoires (ayant un nom de marque).
Encadré 1 - Les 24 affections ou symptômes identifiés par la CT
et regroupés par aires thérapeutiques
et regroupés par aires thérapeutiques
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Selon la HAS, une efficacité insuffisante pour être proposée au remboursement
Au terme de son évaluation pour l'ensemble de ces affections et symptômes, la Commission de la Transparence a constaté :
- une absence de données cliniques qui auraient permis de conclure à une efficacité suffisante,
- une absence de nécessité de recourir systématiquement à des médicaments (classiques ou homéopathiques) pour traiter des pathologies sans gravité ou qui guérissent spontanément,
- une absence d'étude robuste permettant d'évaluer l'impact des médicaments homéopathiques sur la qualité de vie des patients,
- une absence d'impact attribuable aux médicaments homéopathiques sur la consommation d'autres médicaments, la diminution du mésusage, le nombre d'hospitalisations, les retards à la prise en charge ou sur l'organisation des soins.
En conséquence, la Commission de la Transparence, dans son avis du 26 juin 2019, a considéré que les médicaments homéopathiques n'ont pas démontré scientifiquement une efficacité suffisante (hors celle de leur seul effet placebo) pour justifier un remboursement.
Les termes de cet avis ont fait l'objet d'un dossier de presse mis en ligne le 28 juin 2019.
Une période intense de lobbying avant la décision ministérielle
Dès la publication par la presse des conclusions provisoires de la Commission de la Transparence, avant même l'avis définitif, une importante activité de lobbying a été engagée par ceux opposés et ceux en faveur du remboursement des médicaments homéopathiques.
D'un côté, des professionnels de santé exigeant que les conclusions de la Commission soient appliquées comme elles le sont pour les autres types de médicaments, dans l'esprit de la médecine par les preuves, de l'autre les industriels soucieux de leur chiffre d'affaires et de l'emploi, et les patients et professionnels de santé convaincus des bienfaits de l'homéopathie (une pétition en ligne, à l'initiative des laboratoires Boiron, aurait recueilli plus de 1,2 millions de signatures). Il n'y a eu aucune prise de position publique de la part des assurances complémentaires de santé, pourtant concernées à hauteur de presque 300 M€ par an.
Vers un déremboursement total en 2021… mais partiel en 2020
Le 9 juillet 2019, la Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a tranché et annoncé que les médicaments homéopathiques cesseraient d'être remboursés le 1er janvier 2021. Néanmoins, pour permettre aux patients, professionnels de santé et industriels de s'adapter à cette nouvelle donne, ces médicaments continueront à être remboursés en 2020, mais seulement à hauteur de 15 % (au lieu des 30 % actuels), avec le maintien de la TVA réduite propre aux produits remboursables (2,1 %).
Cette mesure préserve le chiffre d'affaire des industriels (les complémentaires de santé compensant la diminution du remboursement public) et n'affecte pas le coût pour les patients (qui ont une complémentaire santé).
Une décision qui crée une certaine confusion
La décision relative à la baisse du taux de remboursement à partir de 2020 a créé une certaine confusion. Par exemple, quel message envoie le gouvernement en continuant de rembourser… "mais moins" ? Dans une tribune du 3 juillet 2019, le Pr Guy Vallacien s'était élevé contre ce qu'il pressentait comme la solution de "ne pas y croire, mais financer quand même […] On nage dans l'incantation, on démissionne devant l'opinion reine, on refuse de s'appuyer sur les données objectives. À ce jeu pervers, on tue à petit feu le crédit de la science et celui du politique. Comment s'étonner ensuite de l'explosion des « fake news » qui polluent l'espace démocratique ?".
À l'opposé, la députée européenne Europe Écologie-Les Verts Michèle Rivasi a estimé que "le gouvernement et la Ministre Agnès Buzyn manifestent par cette décision de déremboursement leur volonté d'éradiquer une pensée et des pratiques médicales différentes", ce à quoi la Ministre répond que si "certains de nos concitoyens ont le sentiment que ce type de médecine complémentaire les soulage, [mon] souhait est d'aller vers un usage plus raisonné [des médicaments], grâce à de la pédagogie".
Quel impact de la décision du Ministère sur les pratiques ?
Que va-t-il se passer en 2021, une fois les médicaments homéopathiques déremboursés (si rien ne vient s'opposer à la décision du Ministère entretemps) ?
Première conséquence, leur taux de TVA passera à 10 %, ce qui fera mécaniquement augmenter les prix. De plus, à l'instar de ce que l'on a pu voir lors de déremboursement d'autres médicaments, les industriels devraient chercher à compenser la perte de chiffre d'affaires en augmentant les prix. Actuellement, le prix moyen d'un tube de granules homéopathiques remboursable se situe autour de 2 € en France. En Italie, où ces produits ne sont pas du tout remboursés, ils peuvent coûter jusqu'à 8 €.
Lors de la campagne de lobby avant la décision ministérielle, les industriels ont annoncé que cette décision pourrait entraîner le licenciement de 1 300 salariés (sur les 3 200 existant aujourd'hui). Les baisses du taux de remboursement de 65 à 35 % en 2003, puis de 35 à 30 % en 2011, ne s'étaient pas accompagnées de plans sociaux, ni de baisse de chiffre d'affaires (mais les complémentaires de santé compensaient la différence de remboursement).
Certaines assurances complémentaires de santé continueront probablement à rembourser les médicaments homéopathiques dans le cadre de « paniers de soins complémentaires » destinés à attirer les assurés. Aujourd'hui, ces paniers couvrent en général entre 65 et 150 € de médicaments non remboursables par an, ce qui pourrait suffire à un consommateur moyen de spécialités homéopathiques.
Pour aller plus loin
La décision du Ministère des Solidarités et de la Santé, 10 juillet 2019
L'avis de la Commission de transparence de la HAS, 26 juin 2019
Le communiqué de presse de la HAS sur l'avis de la Commission de transparence, 26 juin 2019
L'entretien d'Agnès Buzyn au journal Le Parisien, 9 juillet 2019
La tribune du Pr Guy Vallancien dans Les Échos, 3 juillet 2019
L'entretien de la députée Michèle Rivasi au journal Reporterre, 28 juin 2019
La pétition en ligne des laboratoires Boiron
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