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Syndrome du cœur brisé (de Takotsubo) : publication d'un consensus d’experts, mais des questions demeurent

Une large équipe d’experts internationaux, réunis sous l’égide de la European Society of Cardiology, vient de publier un document de consensus sur le syndrome de Takotsubo, également appelé syndrome du cœur brisé.
 
Cette cardiomyopathie de stress peut apparaître après un stress physique ou psychologique intense, le plus souvent chez une femme de plus de 50 ans. Elle se traduit par des signes évocateurs d’un infarctus aigu du myocarde. Elle est transitoire. mais expose à un risque conséquent de complications (maladie cardiovasculaire grave secondaire) et de récidive.


Le diagnostic du syndrome de Takotsubo peut être facilité par l’usage d’un outil spécifique, le score InterTAK, facile à mettre en pratique en consultation.
 
Les auteurs de ce document de consensus rejettent l’idée communément admise que le syndrome de Takotsubo est bénin et insistent sur le fait que son taux de mortalité pendant la phase aiguë est du même ordre de grandeur que celui des coronaropathies aiguës. 
 
La ventriculographie pratiquée lors d'une coronarographie révèle un 
ventricule gauche déformé, le plus souvent avec un ballonnement apical lui donnant une forme d’amphore

La prise en charge thérapeutique de cette phase aiguë implique une surveillance électrocardiographique rapprochée. Elle doit être adaptée à la grande hétérogénéité des signes cardiaques observés, ainsi qu’aux maladies intercurrentes ou à l'éventuelle pathologie ayant joué un rôle déclencheur (cas d’un stress physique).

Après un épisode aigu de syndrome de Takotsubo, un traitement au long cours doit être mis en place pour éviter les possibles récidives, essentiellement à base d’IEC ou d’ARA II.
 
De nombreuses questions demeurent sur le syndrome de Takotsubo : les mécanismes par lesquels le stress, les hormones sexuelles et la génétique gouvernent sa physiopathologie, les raisons de sa grande hétérogénéité clinique, ses traitements en phase aiguë et au long cours…

Les auteurs du document de consensus insistent sur la nécessité d’études internationales pour mieux comprendre cette cardiomyopathie rare.
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80 % des syndromes de Takotsubo (syndrome du cœur brisé) touchent les femmes de plus de 50 ans (illustration).

80 % des syndromes de Takotsubo (syndrome du cœur brisé) touchent les femmes de plus de 50 ans (illustration).


Le syndrome du cœur brisé ou syndrome de Takotsubo, décrit en 1990
Également appelé cardiomyopathie liée au stress, syndrome du ballonnement apical ou syndrome du cœur brisé, le syndrome de Takotsubo est une cardiomyopathie transitoire qui a d'abord été décrite au Japon : elle dure en général deux semaines, en l'absence de mortalité ou gravité à la phase aiguë.

Ses symptômes évoquent fortement ceux de l'infarctus du myocarde ou du phéochromocytome.

Le terme "Takotsubo" ("piège à poulpe" en japonais), proposé lors de la découverte de ce syndrome en 1990, décrit la forme particulière de la cavité ventriculaire gauche (
cf. image ci-dessous provenant du site canadien Psychomedia) chez une majorité des patients qui souffrent de cette pathologie (en français, on l'aurait plutôt nommé "syndrome de l'amphore") :
 

Le ballonnement au sommet du coeur et le rétrécissement à sa base (cf. ci-dessus), qui ont donc inspiré le nom de cette cardiomyopathie, ne sont pourtant pas présents chez tous les patients : les images du ventricule gauche montrent une grande hétérogénéité.
 
Un document de consensus publié sous l'égide de la European Society for Cardiology
Une équipe d'experts internationaux vient de publier deux articles dans le European Heart Journal qui forment un document consensuel sur l'état des connaissances relatives au syndrome de Takotsubo.

Ce document présente les données disponibles et liste une série de questions qui restent sans réponse.

Des éléments de thérapeutique y sont proposés malgré l'absence d'essais cliniques randomisés, du fait de la relative rareté de ce syndrome et de la très grande hétérogénéité des symptômes cardiaques observés durant la phase aiguë.
 
Une cardiomyopathie essentiellement observée chez les femmes après la ménopause
La prévalence du syndrome de Takotsubo est estimée à 1 cas pour 36 000 adultes. Il représenterait 1 à 3 % des patients suspectés de souffrir d'un infarctus aigu du myocarde avec élévation du segment ST, 5 à 6 % des patientes.

En effet, 80 % des cas sont des femmes âgées de plus de 50 ans.

Aux États-Unis, le syndrome de Takotsubo représente 0,02 % des hospitalisations.
 
Les facteurs déclenchants physiques et psychologiques du syndrome de Takotsubo
Le syndrome de Takotsubo peut être déclenché par des facteurs de stress physiques, par exemple un AVC ou un AIT, une hémorragie sous-arachnoïdienne, une insuffisance respiratoire aiguë, un accident, une activité sportive intense, une chimiothérapie anticancéreuse, voire des troubles coronariens.

Il peut également, et c'est l'origine du terme "syndrome du cœur brisé", être déclenché par un stress psychologique négatif (deuil, divorce, colère, anxiété, problèmes financiers ou professionnels, inondations, tremblements de terre, etc.), mais également positif (heureuse surprise).
 
Une pathophysiologie centrée sur les médiateurs du stress mais qui reste à élucider complètement
Les études ayant porté sur la pathophysiologie du syndrome de Takotsubo mettent en avant le rôle central d'une forte stimulation sympathique et d'une dépression parasympathique.

Des taux sanguins élevés de catécholamines (adrénaline, noradrénaline et dopamine, issues des surrénales, des nerfs sympathiques ou de médicaments adrénergiques) entraîneraient des anomalies de la microcirculation du myocarde. De plus, les catécholamines ont montré une certaine toxicité sur les cardiomyocytes (cellules rétractiles composant le muscle cardiaque).

L'existence d'une prédisposition individuelle, fortement suspectée, pourrait être liée à une hypersensibilité aux catécholamines, ou une tendance à produire des concentrations élevées de catécholamines lors de stress.
 
Les facteurs de risque identifiés du syndrome de Takotsubo
Certains facteurs de risque du syndrome de Takotsubo ont été identifiés :
  • la chute du taux sanguin d'estradiol à la ménopause (l'estradiol semble protéger la microcirculation de l'effet vasoconstricteur de l'adrénaline) ;
  • une prédisposition génétique, soutenue par l'existence de cas familiaux ;
  • des antécédents de maladie psychiatrique observés dans 42 % des cas (dépression dans 20 % des cas, anxiété, par exemple) ou neurologique (dans 27 % des cas, AVC, AIT, convulsions, par exemple).
 
Des symptômes proches de ceux de l'infarctus du myocarde
Les signes du syndrome de Takotsubo sont très évocateurs de l'infarctus aigu du myocarde : douleur thoracique, modifications de l'ECG (avec, fréquemment, élévation du segment ST), taux sanguins de troponine et de créatine kinase élevés.

Le fait que le patient soit une femme après la ménopause ou que les symptômes aient pu être déclenchés par un stress physique ou psychique peut donc faire penser, en sus d'un infarctus du myocarde "classique", à un syndrome de Takotsubo.

Dans 70 à 90 % des cas, la coronarographie ne montre pas de signes de coronaropathie.

La ventriculographie gauche pratiquée en même temps que la coronarographie montre le plus souvent une image caractéristique en amphore et des anomalies des mouvements de la paroi ventriculaire gauche.
 
Ventriculographie gauche lors de la phase aiguë du syndrome de Takotsubo : 1) diastole, 2) systole avec la forme en amphore caractéristique, 3) la ligne pointillée indique les zones où les mouvements de la paroi ventriculaire sont anormaux.

Des complications possibles contredisant le caractère supposément bénin du syndrome de Takotsubo
Les auteurs du document de consensus mettent le lecteur en garde contre l'idée répandue selon laquelle le syndrome de Takotsubo est une cardiomyopathie bénigne.

Pendant la phase aiguë, le risque de mortalité et de choc cardiogénique est aussi élevé que celui des syndromes coronariens aigus, ce qui justifie une surveillance électrocardiographique rapprochée.

Le caractère transitoire de ce syndrome ne doit pas masquer le fait qu'il augmente la mortalité vasculaire à long terme, dans les mêmes proportions que les coronaropathies : le risque de maladie cardiovasculaire grave secondaire est de 10 % par patient et par année après un syndrome de Takotsubo.

Le risque de complication est particulièrement élevé chez les hommes, les patients présentant un taux initial de troponine plus de 10 fois supérieur à la limite supérieure, ceux avec une fraction d'éjection ventriculaire gauche à l'admission inférieure à 45 %, et lorsque le facteur déclencheur est un stress physique ou un problème psychiatrique ou neurologique aigu.

Le risque de récidive est de 5 % des cas dans les trois années qui suivent l'épisode aigu de syndrome de Takotsubo.
 
Le score InterTAK, un outil de diagnostic spécifique
Si la prise en charge diagnostique d'un cas aigu de syndrome de Takotsubo ne diffère guère de celle d'un infarctus aigu du myocarde avec élévation du segment ST (coronarographie et ventriculographie), les auteurs du document de consensus insistent sur l'existence d'un outil d'orientation diagnostique rapide, le score InterTAK, facile à mettre en pratique en consultation.

Ce score, noté sur 100 points, repose sur sept paramètres : 
  1. sexe féminin (25 points),
  2. existence d'un stress psychologique (24 points),
  3. existence d'un stress physique (13 points),
  4. absence de dépression du segment ST (12 points),
  5. antécédents psychiatriques (11 points),
  6. antécédents neurologiques (9 points)
  7. allongement de l'intervalle QT (6 points).
Un score supérieur à 70 est associé à une probabilité de syndrome de Takotsubo égale à 90 %. 

Phase aiguë du syndrome de Takotsubo : un traitement adapté aux signes cardiaques
La prise en charge thérapeutique du syndrome de Takotsubo souffre de l'absence d'essais cliniques randomisés. Les recommandations du document de consensus publié par la European Society of Cardiology repose donc sur un consensus d'experts (grade C).

Le traitement de la phase aiguë est adapté aux manifestations cardiaques observées : par exemple, allongement de l'intervalle QT, obstruction de la voie d'éjection du ventricule gauche, faible fraction d'éjection ventriculaire gauche, bradycardie, hypotension, signes de maladie coronarienne, etc.

La place des antiagrégants plaquettaires (aspirine seule ou aspirine + clopidogrel) en aigu ont été étudiés par une seule équipe (cohorte rétrospective de 200 cas sur 10 ans). Leur utilisation semble bénéfique pendant l'hospitalisation pour éviter la survenue d'accidents cardiovasculaires majeurs. 


L'usage de catécholamines est évidemment à éviter, le lévosimendan (ZIMINO) étant à préférer comme cardiotonique.

La prescription de bêtabloquants est sujette à caution, en particulier chez les patients présentant une faible fraction d'éjection, une bradycardie, une hypotension, ainsi que ceux chez qui le risque de torsade de pointe est potentiellement élevé.
 
Traitement à long terme du syndrome de Takotsubo : les IEC et les ARA II en première ligne
Dans leur document de consensus, les experts recommandent les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes des récepteurs à l'angiotensine II (ARA II) comme traitement à long terme après un épisode aigu de syndrome de Takotsubo.

Concernant l'anti-agrégation plaquettaire en post-hospitalisation, les auteurs du consensus estiment que cela peut être envisagé au cas par cas, en particulier en cas de dysfonctionnement sévère de la fonction ventriculaire gauche associé à un ballonement apical persistant.


Ces substances ont montré une amélioration de la survie à 1 an et une diminution du taux de récidive.

Les bêtabloquants ne semblent pas efficaces à long terme, un taux de récidive de 30 % ayant été observé chez les patients traités par ces substances.

Les auteurs insistent sur la nécessité d'essais cliniques explorant l'efficacité des anticoagulants, des traitements hormonaux de la ménopause et d'une prise en charge psychothérapeutique, le cas échéant.
 
Une éventualité à garder à l'esprit en cas de syndrome coronarien aigu et de la présence de facteurs de risque
En conclusion, les experts insistent sur le fait que le syndrome de Takotsubo est "davantage qu'une maladie cardiaque" et qu'il soulève de nombreuses questions restées sans réponse.

Ils invitent l'ensemble du corps médical à être plus attentifs à son éventualité face à une patiente de plus de 50 ans présentant des signes évocateurs d'infarctus du myocarde après un stress physique ou psychologique.
 
 
Pour aller plus loin
 
Les deux documents de consensus publiés par la European Society of Cardiology
Ghadri Jelena-Rima et al. « International Expert Consensus Document on Takotsubo Syndrome (Part I): Clinical Characteristics, Diagnostic Criteria, and Pathophysiology », European Heart Journal, Volume 39, Issue 22, 7 June 2018, Pages 2032–2046

Ghadri Jelena-Rima et al. « International Expert Consensus Document on Takotsubo Syndrome (Part II): Diagnostic Workup, Outcome, and Management », European Heart Journal, Volume 39, Issue 22, 7 June 2018, Pages 2047–2062
 
Une présentation résumant ce que l'on sait du syndrome de Takotsubo
Genet B. « Le syndrome de Tako-Tsubo : un syndrome coronarien inhabituel aux nombreuses zones d'ombre », CHU de Besançon, 2010

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