
Agnès Buzyn sur Europe 1 le 20 septembre et sur France Inter le 15 septembre 2017.
Contexte : signalement de 9 000 effets indésirables par des patients prenant le nouveau LEVOTHYROX, pétition, "peoples" se plaignant dans les médias
En mars 2017, suite à une demande de l'ANSM, le laboratoire Merck Serono a mis en vente de nouvelles boîtes de LEVOTHYROX, contenant des comprimés légèrement modifiés.
Ces modifications, validées par une étude de bioéquivalence, ont été effectuées afin d'améliorer la stabilité en principe actif de ce médicament à marge étroite, et de supprimer un excipient à effet notoire : remplacement du lactose par du mannitol et ajout d'acide citrique anhydre (voir notre article de mars 2017).
Parmi les 3 millions de Français prenant quotidiennement du LEVOTHYROX, certains ont ressenti des symptômes anormaux, non spécifiques mais pouvant être attribuables à un déséquilibre thyroïdien. A tels point que 9 000 signalements d'effets indésirables ont été effectués, a précisé Agnès Buzyn le 11 septembre sur RTL.
Ces patients ont aussi exprimé ces symptômes sur les réseaux sociaux, se sont inquiétés, ou encore ont signé une pétition en ligne (274 000 signataires le 15 septembre).
Ces patients ont en général vu leur médecin pour chercher un éventuel déséquilibrage thyroïdien et ajuster, si besoin, leurs doses quotidiennes du nouveau LEVOTHYROX.
D'autres ont médiatisé leurs difficultés, se sont procurés à l'étranger des boîtes avec l'ancienne formule, ont parfois, malheureusement, arrêté leur traitement, ou encore crié à la manipulation (utilisateurs parfois célèbres, Annie Duperey…), voyant derrière ce changement de formulation des intentions contraires aux intérêts des patients, et ce malgré le fait que ce soit l'ANSM et non le laboratoire qui ait décidé de ces changements (voir notre article d'août 2017).
[édit 21/09] Agnès Buzyn reconnaît un défaut d'information des patients et une minimisation de leur désarroi, ce qui a exacerbé la colère de certains
Interrogée sur Europe 1 par Patrick Cohen le 20 septembre 2017, Agnès Buzyn a admis l'absence de prise en compte du besoin d'information des patients au moment de la commercialisation de la nouvelle formule, en mars 2017, puis la "minimisation de leur désarroi", de leurs plaintes au sujet de symptômes, ce qui a conduit notamment à l'explosion des signaments d'effets indésirables (voir notre article du 23 août).
Plus globalement, la ministre de la santé reconnaît que l'information délivrée ne peut pas être "uniquement descendante, très institutionnelle, ce qui n'a d'ailleurs pas fonctionné".
"Les médecins et les pharmaciens n'ont pas été forcément aussi très informés, n'ont pas été les bons relais", poursuit la ministre. "On a nié le ressenti des malades, et c'est ça qui créé aujourd'hui cette colère que l'on ressent chez les patients" :
Devant ce constat, Agnès Buzyn annonce la constitution prochaine d'une mission d'information sur l'information des patients
Afin de tenter d'améliorer ces points à l'avenir, et probablement aussi devant le constat d'une défiance persistante d'une partie de la population envers certains vaccins et médicaments -voire une défiance contre la science, ou un complotisme), Agnès Buzyn s'apprête à lancer une mission destinée à mieux informer les patients, mission dont elle annoncera la composition "dans les semaines qui viennent".
Ce projet rejoint une analyse du Haut Conseil en Santé Publique, qui a remis le 8 setembre 2017 un rapport à la ministre de la santé soulignant que "l'adhésion de la population aux mesures de santé publique est un enjeu majeur des politiques et des systèmes de santé modernes, les relations de la population aux décideurs et aux experts ayant été profondément modifiées par des crises sanitaires et par la modification des moyens technologiques de l'information et de la communication".
Pour cela, le HCSP, estime qu'il s'avère nécessaire de délivrer une "information accessible et adaptée aux différents publics", citant le service public d'information en santé décidé et voté par Marisol Touraine et qui commence à être mis en oeuvre.[/édit]
Le 15 septembre, Agnès Buzyn a annoncé le retour de l'ancienne formule du LEVOTHYROX
Après avoir reçu les associations le 8 septembre 2017 et régulièrement répété qu'il fallait consulter pour rechercher un déséquilibre et que la nouvelle formule était de très bonne qualité, la ministre de la santé Agnès Buzyn a fini par annoncer le retour transitoire en pharmacie du LEVOTHYROX ancienne formule (vendu dans d'autres pays européens sous le nom d'EUTHYROX).
Cette importation d'un nombre non connu actuellement de boîtes, confirmée par l'ANSM et par le laboratoire Merck Serono, va permettre aux patients "présentant des effets désirables persistants en lien avec la nouvelle formulation du LEVOTHYROX" de reprendre leur ancien traitement sans avoir à l'acheter à l'étranger, par exemple.
[édit 21/9] Précision : les patients sans gêne particulière pourront continuer à utiliser le LEVOTHYROX actuel (nouvelle formulation), qui reste en vente [/édit].
Un retour seulement temporaire en pharmacie
Comme le rappellent l'ANSM et Agnès Buzyn, cette remise à disposition de l'ancienne formule du LEVOTHYROX "est temporaire" : les autres pays sont en train de lancer les procédures pour la commercialisation du nouveau LEVOTHYROX, et Merck va cesser de fabriquer l'ancienne formule dans les mois ou années qui viennent.
Agnès Buzyn avait d'ailleurs exclu, le 4 septembre, un retour pérenne à l'ancienne formule du LEVOTHYROX, comme l'ont demandé les patients pétitionnaires. La ministre de la santé, pour justifier ce refus, a rappelé, à l'instar du laboratoire Merck et de l'ANSM, que le nouveau LEVOTHYROX est un médicament sûr, non dangereux pour la santé.
Cependant, ce médicament ne sera plus le seul sur le marché français, permettant aux médecins et patients d'opter pour d'autres formulations sans passer par des importations.
Agnès Buzyn annonce la disponibilité prochaine de nouvelles spécialités contenant de la levothyroxine
Dès mi-octobre, de nouvelles spécialités contenant de la levothyroxine et d'autres excipients seront mises en vente "pour que les patients aient le choix", en particulier ceux qui ont encore des effets secondaires après rééquilibrage thyroïdien, a déclaré Agnès Buzyn le 15 septembre sur France Inter :
Nous ne savons pas encore (édit à venir lorsque cela sera connu) quels médicaments, princeps et / ou génériques, seront autorisés à la prescription et délivrance en France. En voici six possibles, à titre d'exemple :
- Levothyroxine Biogaran, Mylan et Ratiopharm qui contiennent du mannitol comme le nouveau LEVOTHYROX ;
- Levothyroxine Teva, qui ne contient ni lactose ni mannitol, mais contient de l'acide citrique, comme le nouveau LEVOTHYROX ;
- L-Thyroxine Christaens (laboratoire Takeda) qui contient du lactose, comme l'ancien LEVOTHYROX ;
- Tirosint (laboratoire IBSA), commercialisé sous la forme de capsules molles de gélatine contenant de la levothyroxine, du glycérol et de l'eau (donc sans les excipients rattachés à la forme comprimés). Tirosint existe aussi en ampoules unidoses.
La production de L-THYROXINE SERB en gouttes va également être renforcée (doublement de la production confirmé par le laboratoire ce jour), constituant une nouvelle alternative, comme l'a annoncé également la ministre de la santé sur France Inter (rappelons que l'usage de ce médicament est normalement réservé aux enfants de moins de 8 ans et aux patients présentant des troubles de la déglutition, voir notre article).
Bioéquivalence entre l'ancien et le nouveau LEVOTHYROX : l'ANSM met en ligne les études, analyses et rapports
Face aux effets indésirables, parfois typiques d'un passage en hyperthyroïdie ou, plus rarement, en hypothyroïdie, des patients, associations et observateurs se sont interrogés sur la bioéquivalence entre les deux formulations du LEVOTHYROX.
Afin de répondre à ces inquiétudes, formulées notamment par l'association Vivre sans Thyroïde dans cette lettre envoyée au ministère et accrues récemment par une analyse du Dr Dominique Dupagne, l'ANSM vient de publier :
- l'étude de bioéquivalence et toutes ses annexes(1 600 pages !) ;
- l'étude de proportionnalité de la nouvelle formule et ses annexes ;
- le rapport de l'ANSM sur l'étude de bioéquivalence ;
- le rapport de l'analyse de conformité de la nouvelle formulation effectué par les laboratoires de l'ANSM ;
- Une note d'analyse sur les excipients de la nouvelle formulation, mentionnant notamment que le mannitol est présent dans plus de 500 médicaments vendus en France, et l'acide citrique dans plus de 200, sans dangers particuliers associés à leur utilisation ;
- Des exemples de médicaments contenant les mêmes excipients que le nouveau LEVOTHYROX (mannitol et acide citrique) : ASPRO 500 EFFERVESCENT, comprimé effervescent (qui contient 4 263 fois plus d'acide citrique et 4,6284 fois plus de mannitol que le nouveau LEVOTHYROX), DAFALGAN 500 mg, comprimé effervescent sécable, MOPRAL 20 mg, gélule gastro-résistante, etc.
- et une étude sur la nouvelle formulation parue dans Current Medical Research, parvenant aux mêmes conclusions sur la qualité de la bioéquivalence et du maintien de la proportionnalité en fonction du dosage.
Une décision pour répondre aux craintes et demandes de certains patients… au risque de rendre la situation encore plus confuse ?
Entendre ce matin sur France Inter Agnès Buzyn [édit 21/9] annoncer la possibilité d'un retour à l'ancienne formule pour certains patients tolérant mal la nouvelle [/édit] , après avoir tant défendu la qualité de la nouvelle formulation et la nature transitoire des symptômes gênants au quotidien, a pu surprendre.
Mais cette décision a été confirmée par Merck, l'ANSM et un communiqué du ministère de la santé, d'où la décision de la relayer dans cet article.
Quelle proportion de patients reviendront à l'ancienne formule ou passeront à la solution en gouttes ? Comment vont se passer les changements éventuels pour de nouveaux médicaments, génériques ou non, avec ou sans mannitol, à partir de mi-octobre ?
Que se passera-t-il en 2018 ou 2019 lorsqu'il n'existera plus que du LEVOTHYROX avec du mannitol et de l'acide citrique, en particulier pour les patients ayant subi des symptômes sous la nouvelle formule et revenus à l'ancienne formule ?
Et surtout, la défiance va-t-elle diminuer ? Les plaintes sur les réseaux sociaux, dans les médias voire en justice (contre X, contre le ministère ou l'ANSM) vont-elles cesser ? Les accusations de manipulation, relayées par les complotistes qui sévissent malheureusement dans le monde de la santé comme dans d'autres domaines (géopolitique, économie, écologie, etc.), vont-elles cesser rapidement, alors même que les anti-vaccins multiplient également les interpellations en ligne suite à la décison de l'élargissement de l'obligation vaccinale ?
Beaucoup de questions qui soulignent que tout n'est pas résolu, comme le souligne aussi Vivre sans Thyroïde dans son communiqué publié en réaction à ses annonces.
Souhaitons que ces questions trouvent des réponses apaisées dans les semaines à venir, en espérant surtout que les patients sous levothyroxine soient le plus nombreux possible à ne pas présenter de symptômes handicapants au quotidien.
En savoir plus :
Agnès Buzyn annonce la diversification de l'offre de médicaments pour les patients atteints de troubles thyroïdiens, communiqué de presse d'Agnès Buzyn, 15 septembre 2017
Agnès Buzyn : "Nous avons affaire à une énorme défiance des Français à l'égard des médicaments", France Inter, 15 septembre 2017
Documents sur la bioéquivalence et les excipients publiés par l'ANSM le 15 septembre 2017-09-15
"Merck met à la disposition des patients en France l'ancienne formule du Levothyrox® sur prescription médicale", communiqué de presse de Merck Serono, 15 septembre 2017 (non mis en ligne)
Sur VIDAL.fr :
L-THYROXINE SERB : tensions d'approvisionnement suite au report des prescriptions de LEVOTHYROX (septembre 2017)
LEVOTHYROX : précisions et actions suite aux inquiétudes et plaintes de certains utilisateurs (août 2017)
LEVOTHYROX (lévothyroxine sodique) comprimé sécable : nouvelle formule, nouvelles couleurs (mars 2017)
Cancer de la thyroïde : face au surdiagnostic massif et ses conséquences, le CIRC appelle à la prudence (août 2016)
LEVOTHYROX : renforcement des mesures prises pour assurer la continuité des traitements (août 2013)
Sources
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