Chez les personnes souffrant à la fois d'une HTA et d'une insuffisance rénale chronique, les bénéfices d'un traitement antihypertenseur intensif semblent supérieurs aux risques (illustration).
L'Insuffisance rénale chronique (IRC) est un problème majeur de santé publique qui touche près de 200 millions d'individus dans le monde. Les personnes présentant une IRC ont un risque plus élevé de maladie cardiovasculaire (MCV), d'insuffisance rénale terminale (IRT) et de mortalité toutes causes confondues.
De même, l'hypertension artérielle (HTA) est un facteur de risque bien connu de maladie cardiovasculaire, et le contrôle optimal de la tension Artérielle (TA) est une priorité majeure de santé publique et clinique.
Malgré le nombre d'études et de recommandations récentes, dont l'étude SPRINT, concluant à l'intérêt d'un traitement antihypertenseur intensif en cas de facteurs de risques associés, avec un objectif tensionnel à 12 seulement (voir notre article), la valeur cible de la TA systolique dans cette population reste encore floue.
Quelle valeur cibler en cas d'HTA + IRC ? 13 ? 12 ? Autre ? Réalisation d'une revue systématique couplée à une méta-analyse
Une équipe américaine de Malhotra a donc tenté de déterminer une valeur cible optimale en cas d'HTA et d'IRC de stade 3 (modérée avec un débit de filtration glomérulaire, abrégé en DFG, égal à 45-59 ml/min) à 5 (IRC terminale avec un DFG < 15 ml/min).
Pour cela, cette équipe a analysé l'ensemble des essais cliniques randomisés disponibles sur Ovid MEDLINE, la bibliothèque Cochrane, EMBASE, PubMed, Science Citation Index, Google Scholar et les bases de données électroniques de clinicaltrials.gov, en évaluant la mortalité totale uniquement au cours de la phase de traitement actif pour chaque essai.
Tous les essais cliniques randomisés (du 1er janvier 1950 au 1er juin 2016) ont inclus des patients adultes souffrant d'IRC aux stades 3 à 5.
Deux types de traitement (intensif ou non), 2 objectifs tensionnels
Les données ont été comparées d'après deux cibles de TA systolique définies :
- soit en fonction d'un contrôle médicamenteux intensif (cible : 132 mm Hg),
- soit en fonction d'un contrôle moins intensif par traitement modéré, absence de traitement ou placebo (cible : 140 mm Hg).
Sur les 30 essais cliniques randomisés répondant potentiellement aux critères d'inclusion, 18 essais ont permis d'analyser 1 293 décès issus des 15 924 participants dont le DFG était inférieur à 60 ml/min.
La TA systolique moyenne (TAS) de base était de 148 mm Hg, avant traitement, intensif ou non.
Un risque de décès inférieur dans le groupe de patients IRC et HTA traités intensivement
Les auteurs ont constaté que traitement plus intensif était associé à une diminution moyenne du risque de mortalité toutes causes confondues de 14 % (R 0,86; IC à 95% [0,76-0,97]; p = 0,01).
Une baisse retrouvée dans les différents sous-groupes (diabète, IRC sévère, baisse plus forte de la TA)
Cette mise en évidence est restée cohérente à travers les sous-groupes sans hétérogénéité significative :
- patients diabtétiques
- patients présentant une IRC sévère par rapport aux autres patients
- durée plus longue du suivi
Les auteurs ont également constaté que la diminution du risque de mortalité était plus marquée lorsque la tension artérielle moyenne était inférieure à 125 mm Hg, et lorsque la diminution moyenne obtenue par rapport aux valeurs de départs était supérieure à 12 mm Hg, comme le montre ce tableau récapitulatif :
Des résultats encourageants, mais un risque de progression de l'IRC si la TA est trop baissée est soulevé
Une méta-analyse publiée en 2013 dans le BMJ a également montré les bénéfices d'une réduction plus intensive de la TA sur le risque de maladie cardiovasculaire chez les patients atteints d'IRC (26 essais chez 30 295 participants, baisse moyenne de 17 % du risque : HR 0,83; IC à 95% [0,76-0,90]).
Cependant, même si les MCV sont la principale cause de décès dans cette population, les auteurs ont constaté qu'une réduction plus importante de la TA était associée à un risque plus élevé de progression de l'insuffisance rénale chronique.
Cependant des études plus anciennes ont montré que cette baisse du DFG liée au traitement intensif de la TA n'augmentait pas le risque d'IRT
Les études MDRD (NEJM 1994) et AASK (JAMA 2002) ont montré qu'une baisse de à 20 % du DFG en cas de contrôle intensif de la TA n'est pas associé à un risque plus élevé d'IRT. De plus, ils ont noté qu'une variation similaire lors d'un contrôle moins intensif de la TA est associée à une IRT.
Un contrôle plus intensif de la TA apporte donc plus de bénéfices chez les patients IRC, comme le confirme cette méta-analyse.
Des résultats qui rejoignent et complètent les recommandations de la Haute Autorité de Santé
En France, pour les patients hypertendus et IRC, la HAS recommande :
- en l'absence d'albuminurie (marqueur de sévérité de l'insuffisance rénale chronique) et en présence d'une HTA, un objectif tensionnel inferieur à 140/90 mm Hg si le patient ne présente pas de diabète associé, et inférieur à 130/80 mm Hg en cas de diabète associé ;
- en présence d'albuminurie persistante et d'HTA, un objectif tensionnel inférieur 130/80 mm Hg.
L'étude décrite ci-dessous et les réflexions associées des auteurs confirment doncla pertinence de l'abaissement préconisé par la HAS, mais affinent cette recommandation :
- abaissement à 13 ou moins également pertinent en l'absence de diabète et en l'absence d'albuminurie :
- risque d'aggravation de l'IRC compensée par la baisse de la mortalité.
En synthèse : le traitement intensif semble donc présenter des bénéfices supérieurs aux risques, même en cas d'IRC et malgré le risque d'une diminution accrue du DFG
La réduction de la mortalité chez les patients atteints d'IRC (14 %) est, selon cette méta-analyse, similaire aux pourcentages (9 % et 11 %) calculés lors de méta-analyses récentes portant sur l'ensemble des études analysant les effets de la réduction de la TA.
Les bénéfices d'une telle réduction sur la mortalité toutes causes confondues ne diffèrent donc pas en fonction de l'IRC, même si le DFG est inférieur à 60 ml/min.
Cette constatation reste cohérente entre les différents essais et analyses menés, et plus la baisse de la TAS est grande, et plus le bénéfice paraît important sur la mortalité.
Au total, ces données rassurent donc sur les avantages d'une réduction intensive de la TA, y compris chez les patients IRC.
En savoir plus :
L'étude objet de cet article
Malhotra R et al. "Association Between More Intensive vs Less Intensive Blood Pressure Lowering and Risk of Mortality in Chronic Kidney Disease Stages 3 to 5: A Systematic Review and Meta-analysis.” JAMA Intern Med. 2017 Sep 5.
La méta-analyse montrant les bénéfices d'une réduction plus intensive de la TA sur le risque de maladie cardiovasculaire mais soulevant la question d'une aggravation de l'IRC
Ninomiya T, Perkovic V, Turnbull F, et al. "Blood Pressure Lowering Treatment Trialists' Collaboration. Blood pressure lowering and major cardiovascular events in people with and without chronic kidney disease: meta-analysis of randomised controlled trials". BMJ. 2013;347:f5680
Les deux études objectivant également le risque d'abaisser le DFG en intensifiant le traiteemnt de l'HTA, mais montrant que cela ne risque pas de provoquer d'IRC terminale
Klahr S, Levey AS, Beck GJ, et al. "Modification of Diet in Renal Disease Study Group. The effects of dietary protein restriction and blood-pressure control on the progression of chronic renal disease." N Engl J Med. 1994;330(13):877-884.
Wright JT Jr, Bakris G, Greene T, et al. “African American Study of Kidney Disease and Hypertension Study Group. Effect of blood pressure lowering and antihypertensive drug class on progression of hypertensive kidney disease: results from the AASK trial» [published correction appears in JAMA. 2006;295(23):2726]. JAMA. 2002;288(19):2421-2431.
La recommandation HAS 2012 sur le parcours de soins des patients insuffisants rénaux chroniques
Guide du parcours de soin de l'HAS : Maladie rénale chronique de l'adulte, Haute Autorité de Santé, 2012
Sur VIDAL.fr :
Traitement de l'HTA chez les patients à risque augmenté : l'étude SPRINT pourrait changer la donne (novembre 2015)
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