La consommation régulière d'aliments riches en fibres facilite le transit intestinal (illustration).
La constipation occasionnelle ou chronique, un symptôme et non une maladie
Dans les pays occidentaux, le nombre de personnes souffrant de constipation chronique est estimé entre 3 et 5 % de la population adulte. La constipation occasionnelle est encore plus fréquente.
Au total, ce sont 15 à 35 % des adultes qui ressentiraient de tels troubles, occasionnels ou chroniques, mais tous ne l'exposent pas au médecin.
Les personnes de plus de 55 ans auraient 5 fois plus de risque de souffrir de constipation que les adultes plus jeunes.
Il s'agit d'un symptôme ressenti ("insatisfaction lors de la défécation") et non d'une maladie, et ce symptôme est apprécié différemment selon les patients.
Diagnostic de la constipation chronique : les critères de Rome II
Le diagnostic est aidé par un calendrier des selles rempli par le patient et les critères de Rome II.
Selon ces critères, une personne présente une constipation chronique si pendant 12 semaines au moins, au cours des 12 derniers mois, elle présente au moins 2 des 4 caractéristiques suivantes :
- moins de 3 évacuations de selles par semaine,
- selles dures (plus de 25 % des cas) avec sentiment d'évacuation incomplète (plus de 25 % des cas),
- effort excessif (plus de 25 % des cas),
- nécessité de manipulation digitale pour aider l'évacuation.
La recherche d'une cause organique (sténose digestive, obstruction, affection péritonéale, etc.) "est systématique".
La Société Nationale Français de Colo-Proctologie rappelle les règles hygiéno-dététiques recommandées, à délivrer systématiquement en première intention
Les dernières recommandations françaises sur la constipation dataient de 2007. La Société Nationale Français de Colo-Proctologie (SNFCP) a donc publié fin 2016 des nouvelles recommandations pratiques pour la prise en charge de la constipation.
La SNFCP rappelle que dans un premier temps, devant une constipation occasionnelle ou chronique, les règles hygiéno-diététiques doivent être indiquées aux patients, ce qui suffit souvent à rétablir un transit normal :
- Arrêt des médicaments (si possible) pouvant occasionner une constipation secondaire (cf. infra) ;
- Amélioration de la position défécatoire avec un angle de 35° entre les jambes et le tronc pour libérer le rectum ;
- Amélioration des "conditions environnementales défécatoires" (en clair, de l'aménagement des toilettes), même si aucune étude n'a porté sur ce sujet ;
- Augmentation de l'apport quotidien en fibres par une "supplémentation diététique ou pharmaceutique" de manière progressive sur 2 semaines (afin de réduire les effets indésirables de type ballonnement et inconfort digestif) jusqu'à atteindre la dose recommandée d'au moins 25 g/j pour traiter une constipation chronique légère à modérée ;
- Hydratation par des eaux riches en minéraux surtout en magnésium avec un effet laxatif significatif.
Liste des médicaments pouvant occasionner une constipation
FMC gastro, association française de formation médicale continue en gastro-entérologie, a élaboré en 2015 un tableau comportant une liste non exhaustive des molécules ou familles de molécules pouvant induire une constipation (source : VIDAL), reproduit ci-dessous :
Antalgiques | Opioïdes forts : morphine, oxycodone, fentanyl, hydromorphone Tramadol Codéine |
Hypocholestérolémiants | Statines |
Biphosphonates | |
Antidépresseurs | Tricycliques, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, duloxétine |
Anti-histaminiques | Anti H1 et anti H2 |
Anti-hypertenseurs | Inibiteurs de l'enzyme de conversion, inhibiteurs calciques, bêta bloquants, diurétiques |
Anti-épileptiques | Gabaline, pré-gabaline, carbamazépine |
AINS | |
Anti-agrégants plaquettaires | Clopidogrel |
Inhibiteurs de la pompe à protons | Oméprazole, esoméprazole, lanzoprazole, pantoprazole, rabéprazole |
Anti-nauséeux | -setrons |
Fer | |
Calcium | |
Anti-cancéreux | Carboplatine, gemcitabine, docetaxel, vincristine, exemestane |
Anti-diabétiques oraux | Gliclazide, repaglinide |
Autres | Méthadone, ribavirine, varenicline, tacrolimus, etc. |
Mesures hygiéno-diététiques non recommandées (intérêt non démontré)
La SNFCP souligne qu'en l'absence d'étude de bonne méthodologie, aucune recommandation ne peut être proposée quant à la consommation d'autres aliments que les fibres tels que le fromage, le lait, la viande, le riz, les œufs, l'huile d'olive, ou l'huile d'amande douce.
Quant à une éventuelle suralimentation, elle ne peut être proposée que chez les femmes jeunes suivant un régime amaigrissant, les patients souffrant d'anorexie mentale, ou les personnes âgées en perte d'appétit.
En ce qui concerne l'augmentation des apports hydriques journaliers, aucune preuve ne permet de recommander ces mesures (sauf en cas de déshydratation chez la personne âgée).
L'activité physique n'a pas non plus fait ces preuves à ce sujet (mais elle a fait preuve de son utilité sur tant d'autres domaines qu'elle est de toute façon toujours recommandée…).
En cas d'absence d'efficacité suffisante, les laxatifs osmotiques ou de lest sont recommandés en première intention
Lorsque les mesures hygiéno-diététiques ne suffisent pas, ou en complément de ces mesures, l'utilisation de laxatifs osmotiques, qui augmentent l'hydratation des selles, est recommandée en première intention en raison de leur efficacité et de leur bonne tolérance.
Ils sont d'efficacité supérieure au placebo avec une augmentation de 2 à 3 selles par semaine et un nombre de succès deux fois plus importants (>= 3 selles par semaine).
La SNFCP précise que le polyéthylène glycol (PEG), ou macrogol, s'avère d'une efficacité supérieure à celle du lactulose pour améliorer la fréquence, la consistance des selles, et les douleurs abdominales.
Les laxatifs de lest (ispaghul, psyllium, sterculia gomme) qui augmentent la teneur des selles en fibres et autres constituants non digestibles, peuvent aussi être proposés en première intention.
Chez la femme enceinte, le PEG comme les laxatifs de lest peuvent être utilisés.
En cas d'échec de ces premiers laxatifs, utilisation possible de laxatifs lubrifiants, de laxatifs stimulants ou de colokinétiques, éventuellement en association
En cas d'échec des laxatifs de lest ou osmotique, les laxatifs lubrifiants (en général à base de paraffine liquide), qui visent à faciliter l'exonération, peuvent être proposés en deuxième ligne thérapeutique "en l'absence de troubles de la déglutition et de la motricité oesogastrique, notamment chez le sujet âgé, en raison du risque de pneumopathie lipoïde [NDLR : pneumonie secondaire à une inhalation involontaire, par fausse route, de laxatif lubrifiant]".
Les laxatifs stimulants (bisacodyl, bourdaine, docusate sodique, oxyde de magnésium, séné, sennosides), qui déclenchent l'exonération en stimulant la muqueuse rectosigmoïdienne, peuvent aussi être utilisés en seconde intention, préconise la SNFCP, qui estime que leurs effets indésirables à court terme, dominés par la diarrhée, sont acceptables. De même, à long terme, "leurs effets secondaires ont été longtemps surestimés et seraient modestes".
Les colokinétiques peuvent aussi être utilisés en seconde intention, puisque leur efficacité est désormais " bien documentée pour le prucalopride avec des études pivotales ayant conduit à l'obtention d'AMM chez la femme
Selon ces recommandations de la SNFCP, "malgré l'absence de données scientifiques il est possible d'associer différentes classes de laxatifs".
Constipation distale (d'exonération) : laxatifs de contact, biofeedback, toxine botulinique
En cas de constipation distale (sensation d'obstruction anale, d'évacuation incomplète, efforts de poussée, manœuvres digitales d'évacuation), des laxatifs de contact ("les suppositoires d'EDUCTYL", précise la SNFCP), peuvent être recommandés en première intention en cas d'échec des règles hygiéno-diététiques.
La rééducation périnéale par biofeedback (rééducation chez des kinésithérapeutes spécialisés) est recommandée pour le traitement de la constipation distale avec asynchronisme abdomino-pelvien (contraction paradoxale lorsqu'un relâchement doit survenir, au moment de l'exonération).
L'existence de désordres psychologiques de type troubles alimentaires, dépression, ou anxiété, associés aux troubles ano-rectaux rendrait plus difficile la prise en charge par la rééducation.
Les facteurs prédictifs de bonne réponse à cette rééducation sont :
- La présence de selles dures ;
- Une pression de repos élevée ;
- Un temps d'expulsion du ballonnet long ;
- La motivation du patient.
L'association des suppositoires d'EDUCTYL avec le biofeedback "est recommandée en raison de son effet synergique et durable".
Quant à l'injection de toxine botulinique, elle peut être proposée dans ce type de constipation (distale) mais les modalités d'injection ne sont pas définies à l'heure actuelle.
Quelle est la place de l'irrigation trans-anale dans la prise en charge de la constipation distale ?
L'Irrigation trans-anale ("vidange" intestinale complète par l'introduction d'eau dans l'intestin à l'aide d'une sonde rectale) est recommandée en deuxième intention si la constipation distale est d'origine neurologique (maladie de Parkinson, sclérose en plaques, neuropathie périphérique ou autre maladie neurologique diminuant ou stoppant la perception du besoin d'exonération, ou perturbant les contractions musculaires nécessaires par exemple).
Cette irrigation trans-anale peut aussi être utilisée, selon ces recommandations, dans le traitement de la constipation chronique de l'adulte en l'absence de pathologie neurologique, "malgré l'absence d'études de niveau de preuve suffisant".
Intérêt de la neuromodulation des racines sacrées ou de l'utilisation d'un courant interférentiel ?
En raison de résultats contradictoires et du coût, la SNFCP rappelle que la neuromodulation des racines sacrées (NMS : implantation d'un boîtier sous-cutané stimulant les racines nerveuses responsables du contrôle de la défécation) ne peut pas être recommandés à l'heure actuelle dans le traitement de la constipation chronique de l'adulte.
Néanmoins, dans certains cas particuliers et après avis auprès de centres experts, un test de NMS peut être éventuellement être proposé au cas par cas.
La stimulation électrique transcutanée par courant interférentiel n'est pas non plus recommandée "en l'absence de données suffisantes de la littérature".
Pas de preuve pour une utilisation des thérapies alternatives et complémentaires
La SNFCP juge que les thérapies non conventionnelles dites "alternatives" sont toutes basées sur des essais de niveau de preuve faible avec de nombreux biais méthodologiques.
Leur recours peut cependant être recommandé chez des patients en échec des traitements conventionnels (ou les refusant) en fonction du contexte ou de leur "sensibilité" et "confiance" en telle ou telle approche.
En ce qui concerne les probiotiques, leur bénéfice éventuel "n'est pas bien documenté", et leur utilisation ne peut donc pas être recommandée dans le traitement de la constipation chronique de l'adulte.
Place de la chirurgie dans le traitement de causes de constipation chronique
Sous réserve d'une imagerie radiologiquement significative et en rapport avec la symptomatologie du patient, la correction chirurgicale d'un trouble de la statique rectale, en particulier d'un prolapsus, peut être un facteur d'amélioration de la constipation terminale.
Les deux approches chirurgicales usuelles (abdominale et transanale) ont montré leur efficacité dans cette indication :
- niveau de preuve III pour la rectopexie (intervention qui fixe le rectum pour éviter qu'il ne descende) ;
- niveau de preuve I pour l'intervention de STARR (ablation d'une partie de la paroi de la partie basse du rectum).
En fonction des constatations anatomiques, l'une ou l'autre approche peuvent être proposées.
Les irrigations coliques antérogrades (technique de Malone : accès chirurgical ou endoscopique à l'iléum permettant des lavements réguliers du côlon) sont une alternative à proposer en cas de constipation de transit résistant aux traitements. L'information et le suivi doit se faire conjointement avec une équipe paramédicale habituée (stomathérapeutes). Il n'est pas possible de recommander une approche endoscopique plus que chirurgicale aux vues des résultats publiés.
Lorsqu'une approche opératoire se discute pour un patient présentant une constipation de transit résistante, la colectomie totale reste l'intervention de référence recommandée. En raison des résultats insuffisants dans la littérature, la SNFCP ne recommande pas la colectomie segmentaire comme traitement chirurgical de référence.
Compte tenu d'un bénéfice à long terme non prouvé et des séries rapportant des cas sélectionnés, il est recommandé que l'indication soit posée dans un centre expert, en dernier recours, après échec des autres alternatives médicales et mini-invasives.
Claire Lewandosky et Jean-Philippe Rivière
En savoir plus :
Recommandations 2016 pour la pratique clinique de la Société Nationale Français de Colo-Proctologie sur la prise en charge de la constipation. Coordonnateurs : Pr Véronique Vitton, AMU- APHM Marseille ; Dr Henri Damon, HCL, Lyon ; Pr Laurent Siproudhis, CHU Rennes.
Constipation chronique iatrogène, Benoît Coffin, FMC Gastro, 2015
Sur VIDAL.fr :
VIDAL Reco "Constipation"
Constipation chronique : bientôt une nouvelle option thérapeutique avec l'utilisation d'une capsule vibrante ? (juillet 2014)
Sources
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.