Le rapport de la concertation citoyenne sur les vaccins vient d'être publié
Défiance envers les vaccins (ou certains vaccins) d'une partie de la population... et des médecins
Depuis quelques années, de plus en plus de Français s'interrogent sur le rapport bénéfice/risque des vaccins (campagnes de vaccination mal comprises -hépatite B, grippe A/H1N1, doutes sur l'utilité de certains vaccins, de l'inocuité de certains adjuvants, etc.) et sur la vaccination en général (foisonnement de sites anti-vaccins par exemple).
De même, une partie des médecins généralistes hésite à prescrire tel ou tel vaccin, comme l'a notamment mis en évidence une enquête de l'Inserm publiée en 2015 (voir notre article).
Une défiance qui commence à se traduire sur la couverture vaccinale, incitant la ministre de la santé à réagir
Résultat, la couverture vaccinale des nourrissons est en baisse depuis 3 ans, faisant craindre la résurgence, notamment, de la rougeole. De même, la vaccination contre la grippe saisonnière des personnes à risques est en baisse depuis 2008, tandis que la vaccination anti-HPV des adolescentes, certes très coûteuse, est en chute libre.
Face à cette remise en question fortement relayée sur internet et les réseaux sociaux, Marisol Touraine a confié à Sandrine Hurel un rapport sur la politique vaccinale, finalisé en janvier 2016.
Ce rapport a préconisé plusieurs pistes d'amélioration de l'information, la formation, la sécurisation des stocks de vaccins et de la coordination de la politique vaccinale, tout en préconisant l'organisation d'une concertation citoyenne pour trancher sur la nécessité ou non, de supprimer ou modifier l'obigation vaccinale (pouer en savoir plus sur ce rapport, voir notre article).
Un comité d'orientation indépendant et pluridisciplinaire a donc conduit entre avril et novembre 2016 une concertation citoyenne sur la vaccination et vient de rendre son rapport.
Une concertation citoyenne et scientifique qui s'est déroulée en 4 étapes
En avril 2016, deux enquêtes d'opinion qualitatives ont été menées auprès du grand public et des professionnels de santé. De juin à novembre, le comité a audité 29 acteurs : citoyens, associations de patients et d'usagers, professionnels de santé, journalistes, sociétés savantes, industriels, institutions, etc.
De juillet à septembre, 2 jurys - un de citoyens, un de professionnels de santé non spécialistes de la vaccination – ont été mis en place pour auditionner les acteurs de leur choix (15 auditions), débattre et produire chacun un avis argumenté. Enfin, du 14 septembre au 14 octobre 2016, un espace participatif en ligne a recueilli 10 435 contributions d'internautes, qui ont été analysées par le comité (mais uniquement sur le plan statistique, faute de temps pour une analyse du fond, selon les auteurs du rapport).
Six axes d'action pour améliorer la perception des vaccins
Dans le rapport du comité d'orientation sur la vaccination, les experts proposent 6axes pour améliorer la perception des vaccins par le grand public et étendre la couverture vaccinale :
- améliorer la transparence des informations disponibles sur les vaccins ;
- communiquer plus largement et plus directement avec le grand public qui s'interroge ;
- simplifier le parcours vaccinal ;
- compléter la formation des professionnels de santé sur le sujet ;
- accompagner les questionnements du grand public par des efforts de recherche ;
- élargir à titre temporaire le caractère obligatoire des vaccinations pédiatriques.
Pour une information sur les vaccins plus accessible et plus transparente
Pour mettre en œuvre les deux premiers axes d'action identifiés, le rapport du comité d'orientation propose diverses pistes :
- maintien et enrichissement du site internet créé pour la consultation citoyenne, par exemple sous une forme "Vaccination Info Service", avec des informations validées sur les vaccins et leurs effets indésirables (pour le grand public et les professionnels de santé), des échanges entre internautes, la possibilité de déclarer un effet indésirable, etc. ;
- déclaration de la vaccination comme Grande cause nationale ;
- mise à profit de la journée de formation citoyenne dans les établissements scolaires pour informer sur la vaccination ;
- accès ouvert aux données brutes des essais cliniques qui portent sur les vaccins (avec les outils permettant au grand public de comprendre ces données) ;
- déclaration publique d'intérêts pour toute personne s'exprimant sur la vaccination ;
- interdiction faite aux laboratoires de communiquer sur les vaccinations (fin des exemptions actuelles).
Simplifier le parcours vaccinal et l'accès aux vaccins
Le comité d'orientation propose diverses mesures pour faciliter la vaccination et améliorer la couverture vaccinale.
L'accès aux vaccins pourrait être amélioré en autorisant les pharmaciens à vacciner, comme cela veint d'être voté par les députés pour le vaccin antigrippal.
De plus, les auteurs estiment que les vaccinations pédiatriques pourraient être assurées à l'école, comme par le passé, mais en faisant appel à des équipes extérieures, en raison du "manque criant de médecins et infirmières scolaires pour assurer cette tâche".
Enfin, comme pour les vaccins destinés aux personnes âgées, l'acte de vaccination pédiatrique pourrait être inclus dans les ROSP (rémunérations sur objectifs de santé publique, voir notre article).
La généralisation d'un carnet de vaccination électronique est également recommandée, possiblement en lien avec le futur DMP, qui doit bientôt être à nouveau relancé, cette fois-ci par l'assurance maladie. Le comité souligne les vertus épidémiologiques d'un tel outil pour évaluer la couverture vaccinale.
Prévenir les ruptures d'approvisionnement de vaccins
Le rapport du comité d'orientation aborde également le sujet des ruptures de stock de vaccins (en particulier monovalents) qui ont jeté le trouble dans l'esprit du grand public. Il propose des stratégies visant à éviter ces ruptures, proches de celles proposées par Sandrine Hurel :
- une politique d'achat incorporant un volume minimal de doses à fournir avec pénalité en cas d'approvisionnement insuffisant ;
- la constitution de stocks de sécurité pour certains vaccins ;
- la mise en place d'une politique nationale d'achats centralisés ;
- un renforcement de la communication en cas de difficulté d'approvisionnement via un site de référence ;
- une gestion de l'état des lieux des stocks de vaccins disponibles en s'appuyant notamment sur le système d'information mis en place par l'Ordre des pharmaciens et en lien avec les industriels concernés ;
- la rédaction de recommandations à appliquer en cas de pénurie.
Compléter la formation des professionnels de santé sur la vaccination
Le rapport du comité d'orientation sur la vaccination rappelle l'importance de la formation initiale des professionnels de santé (médecins généralistes, pharmaciens, infirmiers, sages-femmes), mais aussi de la FMC, et appelle à un effort collectif autour ces apprentissages.
Au cours de ces formations seraient étudiées les bases immunologiques et épidémiologiques de la vaccination, les programmes de vaccination, les bénéfices individuels et collectifs, les effets indésirables, mais aussi la communication avec les patients et leur entourage, indispensable pour prévenir la méfiance qui a commencé à s'installer.
Le comité précise également qu'"une attention particulière devrait être portée à la formation des médecins spécialistes concernant les règles de vaccination des personnes immunodéprimées".
Rendre obligatoire la vaccination des professionnels de santé contre la rougeole, la grippe, la coqueluche et la varicelle
Le rapport recommande également la vaccination systématique des professionnels de santé contre la rougeole, la grippe, la coqueluche et la varicelle, et souhaitent que soit mis en place au sein des établissements de santé un indicateur des taux des vaccinations des professionnels qui permettrait un suivi de l'efficacité des campagnes de sensibilisation.
Accompagner les questionnements du grand public par des actions de recherche
Dans son rapport, le comité d'orientation appelle de ses vœux davantage de recherche fondamentale et clinique sur les vaccins, en particulier pour répondre aux questions qui nourrissent la suspicion vis-à-vis des vaccins. Par exemple,
- le développement de nouveaux vaccins contre des maladies infectieuses sévères comme les infections nosocomiales par bactéries antibiorésistantes ou l'infection par le VIH/sida ;
- l'identification de nouvelles molécules adjuvantes ;
- l'optimisation de la vaccination des personnes atteintes de maladies chroniques et immunodéprimées ;
- les voies d'administration (intradermique ou par patch notamment) ;
- une meilleure compréhension des facteurs individuels (génétiques) qui influencent l'efficacité vaccinale ;
- le développement d'outils de pharmacovigilance nécessaires à la détection des possibles événements indésirables rares ;
- la recherche en sciences humaines et sociales (analyse des perceptions sociétales de la vaccination mais aussi examen des politiques publiques et des stratégies industrielles).
Notons que de telles recherches prendraient des années et constitueraient donc des réponses pour le moyen et le long terme.
Élargir la vaccination obligatoire des nourrissons à tous les vaccins, à titre temporaire
Parmi les propositions du comité d'orientation sur la vaccination, celle qui a le plus fait réagir est sans nul doute l'idée de mettre en œuvre "un élargissement temporaire de l'obligation vaccinale avec clause d'exemption, jusqu'à ce que les conditions soient réunies, à terme, pour une levée de l'obligation".
Les 11 valences du calendrier vaccinal pédiatrique deviendraient ainsi obligatoires pour les enfants de moins de 2 ans : les 3 déjà obligatoires (diphtérie, tétanos, poliomyélite) et les 8 recommandées (coqueluche, haemophilus influenzae de type b, hépatite B, pneumocoque, méningocoque de sérogroupe C et virus de la rougeole, des oreillons et de la rubéole).
Cette obligation perdurerait jusqu'à ce que les Français soient suffisamment persuadés des bienfaits de la vaccination pour qu'aucune obligation ne soit plus nécessaire, expliquent les auteurs.
[édit 9/12] Une proposition à contre-courant des constats ayant abouti à l'arrêt de l'obligation pour les nouveaux vaccins
Pour remettre cette proposition dans son contexte historique, le rapport rappelle que "la France a opté pour l'obligation vaccinale antivariolique en 1902, obligation qui a ensuite concerné les vaccins antidiphtérique (1938) et antitétanique (1940), le BCG (1950) et le vaccin contre la poliomyélite (1964), dernier vaccin obligatoire en date. Par la suite, les nouveaux vaccins ont fait l'objet de recommandations sans obligation malgré une efficacité et une importance comparable ou supérieure aux vaccins obligatoires. Dans ces cas, l'obligation est apparue comme inutile, considérant que la population était plus instruite que par le passé, il n'a pas été jugé utile d'imposer de nouvelles obligations vaccinales. C'est à la lueur de cette histoire qu'il faut comprendre le paradoxe actuel : la coexistence de vaccins obligatoires pour des maladies qui ne sont souvent plus perçues comme des menaces réelles et de vaccins aussi ou plus importants qui ne sont que recommandés".
Dans un esprit de cohérence historique, le comité d'orientation propose ainsi que les principes qui avaient amené à l'obligation il y a plus d'un siècle soient de nouveau appliqués. [/édit 9/12]
Dans un entretien accordé au Figaro, le Pr Alain Fischer, président du comité d'orientation, soutient d'ailleurs cette proposition en parlant de compromis : "nous considérons que c'est le meilleur compromis possible. Les solutions préconisées ne sont pas parfaites. Mais les autres l'auraient encore moins été".
Des exemptions possibles sous la responsabilité des parents, et une gratuité de tous les vaccins
Des exemptions seraient néanmoins possibles, mais à condition, pour les parents, d‘entendre les explications du médecin sur l'intérêt de la vaccination et de signer un document écrit, annexé au carnet de santé, dans lequel ils s'engageraient à assumer toutes les conséquences éventuelles de leur choix. Cependant, pour le comité, un trop grand nombre d'exemptions devrait entraîner une suspension de cette possibilité.
De plus, le rapport d'orientation précise que cette obligation étendue ne serait possible que si :
- l'ensemble des coûts étaient pris en charge par la collectivité, afin de traduire l'engagement de l'Etat sur cette question de santé publique ;
- un système d'indemnisation des effets indésirables était mis en place ;
- les vaccins étaient largement disponibles, sans ruptures d'approvisionnement.
Marisol Touraine demande une nouvelle analyse avant d'annoncer des mesures
Il sera intéressant de voir si les politiques s'emparent de ces propositions, en particulier de la dernière.
Marisol Touraine, qui a fait de la prévention un pilier de son action ministérielle, a en tout cas demandé à la Direction générale de la santé, à la Direction de la sécurité sociale et à Santé publique France d'étudier ces propositions, avant de présenter "sur cette base les mesures qu'elle entend prendre pour renforcer la confiance dans la vaccination".
Du pain béni pour les anti-vaccins, sites de "santé naturelle", etc. ?
Depuis plusieurs années, en particulier depuis le fiasco de la vaccination systématisée dans des centres contre la grippe A/H1N1 (2009 - 2010°, les acteurs de santé publique s'interrogent sur les moyens d'endiguer, voire d'inverser, la défiance envers les vaccins, exceptionnellement haute en France par rapport aux autres pays.
Le rapport de cette concertation citoyenne, dont émerge principalement cette proposition d'extension massive de l'obligation vaccinale, gratuite en contrepartie, parviendra-t-il à inverser la tendance ou, au contraire, à continuer d'accentuer la méfiance ?
En tout cas, les acteurs "anti-vaccins" se nourrissent malheureusement déjà des paradoxes de ce rapport (information et recherche d'adhésion du grand public et des professionnels d'un côté, obligation élargie de l'autre) et repartent de plus belle sur les réseaux sociaux et sites sur le sujet.
Vous pouvez par exemple constater l'agressivité et l'indignation en filigrane de cet article du site Santé Nature Innovation (et sur ses commentaires), site de "santé naturelle" très lu en France et auquel contribue régulièrement le Pr Henri Joyeux. Ce dernier a d'ailleurs été radié de l'Ordre des Médecins en juillet 2016 suite à la diffusion massive d'une pétition alléguant des dangers de certains vaccins.
Pour aller plus loin
Le rapport du comité d'orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, 30 novembre 2016
Le dossier de presse sur ce rapport, 30 novembre 2016
Le site de la concertation citoyenne sur la vaccination
L'entretien du Figaro avec le Pr Alain Fischer, 30 novembre 2016
Présentation des conclusions du Comité d'orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, communiqué de presse du ministère de la santé, 1er décembre 2016
Sur VIDAL.fr :
Calendrier vaccinal 2016 : plus de rappel décennal pour la fièvre jaune et nouvelle recommandation pour le zona (avril 2016)
Vaccins : les mesures annoncées pour lutter contre la défiance et les ruptures de stock (janvier 2016)
Indicateurs "médicaments" de la ROSP : l'Assurance Maladie annonce des résultats positifs sur 3 ans, sauf sur la vaccination (mai 2015)
Une enquête de l'Inserm confirme l'"hésitation vaccinale" d'une partie des médecins généralistes français (août 2015)
L'obligation de vaccination par le DTP est légitime, juge le Conseil Constitutionnel. Mais doit-elle être maintenue ? (mars 2015)
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