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AINS : léger surrisque d'insuffisance cardiaque variable selon les molécules

La prise récente de certains AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) est associée à une augmentation du risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, comme le confirment les résultats d’une large étude observationnelle analysant l’impact éventuel de la prise récente d’AINS sur une population de 8 millions de personnes provenant de 4 pays européens ayant déjà pris des AINS.
 
Précisons d’emblée que ce surrisque est faible (au maximum, doublement du risque absolu qui est de 37,5 événements pour 10 000 personnes sur une année, donc risque restant léger)
, que ce surrisque augmente à doses très élevées et que la causalité n’est pas démontrée à ce stade, même si des études antérieures retrouvent la même association. 
 
Cette étude, publiée le 29 septembre 2016 dans le BMJ, a également tenté d'évaluer le risque par molécule. Les résultats montrent que 9 AINS sont associés à un surrisque significatif 
d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, et que 5 d’entre eux sont par exemple associés à un risque doublé.

Selon les auteurs, ces résultats et ce surrisque d’insuffisance cardiaque en cas de prise récente de certains AINS, en particulier par les personnes âgées, pourraient avoir un "impact considérable en santé publique" en raison de l'utilisation courante de ces médicaments. Cela nécessite donc une information des prescripteurs, des patients et autorités sanitaires, ainsi que de nouvelles investigations, en particulier chez des sujets plus jeunes.
13 octobre 2016 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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Accentuation de la trame vasculaire (soulignée en rouge) pouvant être retrouvée en cas d'insuffisance cardiaque (illustration).

Accentuation de la trame vasculaire (soulignée en rouge) pouvant être retrouvée en cas d'insuffisance cardiaque (illustration).


Un surrisque cardiovasculaire évoqué au début du siècle pour le rofécoxib, mais également évoqué depuis, dans une moindre mesure,  pour d'autres AINS
Les AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) font partie des médicaments les plus utilisés en France, certains étant même en vente libre en pharmacie.
 
Pour mémoire, le 
rofécoxib (VIOXX), un AINS inhibiteur sélectif de la cyclo-oxygénase 2 (COX-2), a été retiré du marché en 2004 en raison d'un surrisque d'infarctus du myocarde.
 
Mais depuis, des méta-analyses d'études randomisées (The Lancet 2013) ou observationnelles (Eur J Heart Fail. 2008, Epidemiology 2003) ont soulevé un possible surrisque cardiaque associé à d'autres AINS.

Les auteurs de l'étude du Lancet 2013, qui ont compulsé plus de 600 essais randomisés, ont ainsi montré que les personnes sous inhibiteurs sélectifs de la COX-2 ou de fortes doses d'AINS "traditionnels" (diclofenac, ibuprofène et naproxène) présentaient un surrisque d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque (par rapport aux personnes sous placebo).
 
Cette étude vise donc à détecter avec quels AINS ce surrisque est retrouvé et à le quantifier en fonction des molécules et des posologies.
 
7,6 millions de personnes prenant ou ayant déjà pris des AINS
Les auteurs ont compilé les données de 2 bases italiennes (SISR et OSSIFF), une base hollandaise (PHARMO), une allemande (GePaRD) et une britannique (THIN). Ces bases représentent 37 millions de personnes entre 1999 et 2010.
 
Ils en ont extrait les données de 7,6 millions personnes majeures sans cancer ni insuffisance cardiaque préexistante et ayant pris des AINS oraux entre 2000 et 2010. Cela représente plus de 24 millions de personnes –années de suivi.
 
Parmi ces 7,6 millions de personnes, 92 000 ont été hospitalisées pour insuffisance cardiaque
Parmi ces 7,6 millions de personnes, 92 163 ont été hospitalisées pour insuffisance cardiaque (IC), soit 37,5 évènements pour 10 000 personnes-années (risque absolu)
 
Appariemment de ce groupe de 92 000 personnes hospitalisées avec 8 millions de personnes aux caractéristiques comparables (groupe contrôle)
Les données de ces 92 163 cas (groupe "hospitalisation pour IC", où IC = insuffisance cardiaque) ont été appariées avec celles de 8 243 403 personnes constituant le groupe contrôle, ayant le même âge et une durée de suivi comparable (environ 1 patient hospitalisé pour 100 patients contrôle).


45 % des personnes sélectionnées, AINS ou contrôle, étaient des hommes.
 
27 AINS utilisés, dont 23 AINS "traditionnels" et 4 inhibiteurs sélectifs de la COX 2
Pour chaque personne retenue dans le groupe "hospitalisation pour IC", la durée de traitement par l'un des 27 AINS utilisés a été calculée ainsi que la dose journalière.

L'ancienneté de la prise par rapport à l'"observation" des groupes
(hospitalisation pour IC ou contrôle) a également été prise en compte (actuelle, récente, ancienne).

Les caractéristiques, pathologies et  autres traitements pris par les personnes retenues ont également été relevés : les personnes du groupe "hospitalisation pour IC" étaient un peu plus âgées (77 ans d'âge moyen) que les personnes "contrôle" (76 ans), présentaient davantage de comorbidités (notamment cardiovasculaires, avec antécédents d'infarctus, de fibrillation auriculaire, d'endocardite, de maladie valvulaire) et prenaient en moyenne davantage de traitements (anticoagulants par exemple) que celles du groupe contrôle.
 
Les AINS les plus utilisés par cette cohorte
L'AINS le plus utilisé par le groupe contrôle, en usage récent ou non, était le diclofenac (2,9 %), devant le nimesulide (2,4 %) et l'ibuprofène (1,7 %). L'inhibiteur sélectif de la Cox 2 le plus utilisé par cette cohorte était le celecoxib (1,44 %).
 
Dans le groupe "hospitalisation pour IC" , les données étaient comparables avec celle observées dans le groupe "contrôle", mais avec des pourcentages légèrement supérieurs pour le diclofenac (3,5 %), le nimésulide (2,95 %) et l'ibuprofène (2,18 %), et légèrement plus faible pour le celecoxib (1,36 %). 

Un surrisque cardiaque de 16 à 83 % associé à la prise récente d'AINS
Parmi les 92 163 patients hospitalisés pour IC, 16 081 (17,4 %) avaient pris récemment des AINS.
 
Les auteurs ont constaté que la prise récente de n'importe quel AINS est associée à un surrisque d'hospitalisation pour IC de 19 % par rapport à ceux qui n'en n'ont pas pris récemment (OR = 1,19 ; IC95% = 1,17 – 1,22).
 
En affinant l'analyse AINS par AINS, les auteurs constatent que ce sont seulement 9 AINS dont la prise récente est associée à un surrisque significatif d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque, variant de + 16 % (OR = 1,16) ) à + 83 % (OR = 1,83) :
  1. Ketorolac (+ 83 % : OR = 1,83 ; IC95 % 1,66 – 2,02), utilisé uniquement sous forme locale et non systémique en France ;
  2. Etoricoxib (OR = 1,51 ; 1,41 – 1,62) ; 
  3. Indométacine (OR = 1,51 ; 1,33 – 1,71) ; 
  4. Rofecoxib (OR = 1,36 ; 1,28 – 1,44), retiré du marché en France en 2004 ;
  5. Piroxicam (OR = 1,27 ; 1,19 – 1,35) ;
  6. Diclofenac (OR = 1,19 ; 1,15 – 1,24) ;
  7. Ibuprofène (OR = 1,18 ; 1,14 – 1,23) ;
  8. Nimesulide (OR = 1,18 ; 1,12 – 1,23) ;
  9. Naproxène (OR = 1,16 ; 1,07 – 1,27).
 
Ces risques restent significatifs en fonction de la présence, ou non, d'antécédents d'insuffisance cardiaque. Idem en fonction du sexe, même si l'ampleur de l'intervalle de confiance est plus faible chez les femmes.

Rappelons que ces augmentations sont certes significatives, mais s'avèrent faibles lorsqu'elles sont rapportées au risque absolu (+ 20 % de 37,5 évènements pour 10 000 personnes sur une année équivaut à 41 évènements pour 10 000 personnes-années).  


Des risques plus élevés à très haute dose, en particulier avec 5 AINS
Les auteurs ont concentré leur analyse sur les 25 179 personnes du groupe "hospitalisation pour IC" pour lesquelles des données sur les doses ont été enregistrées, en les comparant aux 2 083 706 personnes du groupe contrôle dans le même cas.
 
Ils ont constaté que la prise récente de 5 AINS à très haute dose quotidienne (plus de 2 fois la dose recommandée, donc hors AMM) était associée à un doublement du risque, au moins, d'hospitalisation pour IC, par rapport aux personnes ayant pris, dans le passé, n'importe quel AINS :
  1. Indométacine : + 250 %, soit un OR égal à 2,5 (IC 95 % = 0,6 – 10,9 ; p < 0,001)
  2. Etoricoxib : OR = 2,3 (1,5 – 3,6 ; p < 0,001)
  3. Diclofenac : OR = 2,2 (1,7 – 3 ; p = 0,004)
  4. Piroxicam  : OR = 2,1 (0,6 – 6,9 ; p = 0,09, NS)
  5. Rofecoxib : OR = 2 (1 – 3,8 ; p < 0,001)
Rappelons à nouveau qu'un doublement du risque absolu équivaut à 75 événements pour 10 000 personnes-années au lieu de 37,5, ce qui reste faible.  

Pour l'ibuprofène à très haute dose, le surrisque est à 1,9 (+ 90 %), mais avec un large intervalle de confiance à 95 % (0,8 – 4,6) empêchant la significativité (p = 0,25).
 
Enfin, que ce soit à dose normale, élevée ou très élevée, la prise récente de celecoxib n'est pas associée à un surrisque d'hospitalisation pour IC par rapport à la prise ancienne de n'importe quel AINS (OR = 1 ; IC95 % = 1,5 – 3,6).
 
Des résultats cohérents avec les études précédentes
Comme les auteurs de la méta-analyse d'essais randomisés de 2013 (The Lancet 2013), les auteurs retrouvent une association entre prise récente de n'importe quel AINS et surrisque d'hospitalisation pour IC.
 
De même, comme lors de la méta-analyse de 2008 (Eur J Heart Fail. 2008), aucun surrisque n'est retrouvé avec la prise d'inhibiteurs sélectifs de la COX 2.
 
Des limites à prendre en compte
Comme le soulignent les auteurs, il est possible que toutes les prises d'AINS n'aient pas été comptabilisées, en raison de la vente en libre accès de certains d'entre eux, comme l'ibuprofène, dans ces pays européens.
 
Par ailleurs, le codage hospitalier a peut-être sous-estimé le nombre d'hospitalisation pour IC, étant donné que cette pathologie est souvent intriquée avec d'autres pathologies cardiovasculaires. Cependant, le taux retrouvé de 37,5 IC pour 10 000 personnes sur 1 an ne diffère pas significativement du taux moyen retrouvé dans d'autres études, ce qui est plutôt en faveur de la solidité du recueil de données.
 
Enfin, ces médicaments sont utilisés pour de multiples indications. Il est possible que les antécédents et indications aient biaisé l'analyse, mais là encore, les auteurs estiment que leurs ajustements (appariement des groupes) ont réduit ce risque de biais. Quant aux AINS qui n'augmentent pas, dans cette étude, le surrisque d'hospitalisation pour IC, il est possible que l'absence d'effet significatif mesuré soit lié à leur faible nombre d'utilisateurs (par rapport aux 9 autres).

Rajoutons qu'il aurait été intéressant de connaître les éventuels surrisques en cas de prise quotidienne prolongée versus prise courte récente ou ancienne. 
 
En conclusion : une stratification des surrisques en fonction des AINS et des doses qui peut s'avérer utile
Cette étude montre que des AINS fréquemment utilisés, y compris en automédication, sont associés, chez les personnes âgées, à un surrisque cardiaque, plus élevé en cas de prise d'une très forte dose (hors AMM, mais possible, en particulier en raison du libre accès).
 
Même si le lien de cause à effet (causalité) n'est pas formellement démontré, ces résultats rejoignent ceux d'autres études.
 
Etant donné que des millions de personnes prennent ces médicaments, les auteurs estiment qu'il faut prendre en considération ce surrisque en raison de son impact populationnel potentiel, tant du côté des médecins prescripteurs que des patients, en particulier âgés, et des autorités de santé.
 
En savoir plus :
L'étude objet de cet article
Non-steroidal anti-inflammatory drugs and risk of heart failure in four European countries: nested case-control study, A Arfè et al., BMJ, septembre 2016

Autres études citées
Vascular and upper gastrointestinal effects of non-steroidal anti-inflammatory drugs: meta-analyses of individual participant data from randomised trials, Coxib and traditional NSAID Trialists' (CNT) Collaboration, The Lancet, août 2013
Non-steroidal anti-inflammatory drugs and cardiac failure: meta-analyses of observational studies and randomised controlled trials, Scott PA, Kingsley GH, Scott DL., European Journal of Heart Failure, octobre 2008
Nonsteroidal anti-inflammatory drugs as a trigger of clinical heart failure, García Rodríguez LA, Hernández-Díaz S , Epidemiology, mars2003

Sur VIDAL.fr :

VIDAL Reco "Traitement par AINS"
Sources

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