La dépression saisonnière serait provoquée par la baisse de luminosité. Mais est-elle une réalité (illustration) ?
Le concept, populaire, de "dépression saisonnière" est né en 1984
L'idée que la dépression puisse être influencée par les saisons ou s'aggrave en hiver (en raison de la baisse de la luminosité) semble être une idée populaire bien ancrée, comme le démontre une simple requête sur Google de "dépression saisonnière" (220 000 résultats).
Les premières études portant sur la dépression saisonnière (ou Trouble Affectif Saisonnier, TAS) sont apparues en 1984, avec l'article de Norman Rosenthal et coll.1 décrivant 29 cas de personnes dépressives ou bipolaires "dont les symptômes semblaient varier en fonction du climat et de la latitude".
Cette même publication introduit la notion de traitement par accroissement de l'exposition à la lumière ("luminothérapie").
Une inclusion dans le DSM-III-R maintenue dans le DSM-IV en raison de l'efficacité de la luminothérapie
Dès 1987, la 3e édition révisée du DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux) a inclut la notion de variation saisonnière dans les diagnostics de dépression majeure et de trouble bipolaire.
Par la suite, la révision du DSM-IV a permis d'examiner les résultats d'autres études sur la dépression majeure avec variation saisonnière et l'élimination du critère de saisonnalité a commencé à être envisagée. Il a donc été maintenu comme critère spécifique d'une dépression, suite à l'obtention de résultats positifs en utilisant la luminothérapie chez les patients dépressifs, mais le diagnostic "dépression saisonnière" n'a pas été créé.
De nouvelles études ne retrouvent pas de causalité directe entre saisons et dépression
Entre la publication du DSM-IV et celle du DSM-V, de nouvelles études ont encore mis en doute l'influence causale d'un changement de saison ou de luminosité sur la constitution d'une dépression.
Ces études avaient deux caractéristiques communes : elles utilisaient des mesures de dépression plus proches de celles du DSM (cf. infra) et étaient des études croisées, transversales ou longitudinales, sur la base de population plus grandes ou d'échantillons représentatifs.
Premier exemple, une étude islandaise a recherché des symptômes dépressifs parmi 4 cohortes de 1 000 personnes, chaque cohorte consultant à une saison différente. Magnusson et ses collaborateurs n'ont pas constaté de différence significative entre les scores moyens de dépression en fonction des saisons, du moins chez les Islandais (The American Journal of Psychiatrie 20002).
Autre exemple, une étude rétrospective sur 1 500 dossiers de patients américains consultant en psychiatrie n'a trouvé aucune relation entre la saison et le diagnostic de dépression d'après les critères du DSM-IV. (Psychiatry Research 20023).
Un maintien de la notion de saisonnalité dans le DSM-V, mais sous forme de sous-groupe de la dépression ou du trouble bipolaire
Probablement suite à ces études (et d'autres, plus limitées), le diagnostic de "dépression saisonnière" (TAS) n'a pas non plus été inclus dans le DSM-V.
Par contre, la saisonnalité y est toujours mentionnée, comme "spécificateur pour décrire certaines sous-populations de patients atteints de troubles dépressifs majeurs récurrents ou d'un trouble bipolaire", résume le BMJ.
SPAQ, un questionnaire qui insiste sur la saisonnalité et relativement éloigné du DSM
Megan Traffanstedt et ses collaborateurs de l'université Auburn (Montgomery, Etats-Unis) ont constaté que la recherche démontrant une saisonnalité à la dépression s'étaient largement appuyées sur le questionnaire SPAQ (Seasonal Pattern Assessment Questionnaire). Or ce questionnaire suggère des variabilités symptomatiques saisonnières et s'éloigne des critères diagnostiques du DSM, comme vous pouvez le constater ci-dessous :
Les auteurs y voient une façon biaisée de confirmer cette théorie devenue rapidement populaire.
Un nouveau questionnaire et un échantillon de plus de 34 000 personnes
Face à ces études, méthodologies et évolutions du DSM, Megan Traffanstedt et ses collaborateurs ont estimé que la validité du concept de dépression saisonnière devait être démontrée par une étude portant sur un grand échantillon, avec une mesure de la dépression plus conforme aux critères du DSM.
Ils ont également souhaité que cette étude soit réalisée de telle sorte que les intervieweurs et les participants ne soient pas conscients du critère de variation saisonnière et que les autres variables de la dépression (comme par exemple, le sexe ou le statut professionnel) soient prises en compte.
Afin de répondre à ces critères de qualité, Megan Traffanstedt et coll. ont donc effectué en 2006 une enquête par téléphone auprès d'un échantillon représentatif recruté dans 21 états américains.
Le questionnaire PHQ-8 (Patient Health Questionnaire 8) a été utilisé pour mesurer la présence de symptômes dépressifs au moment de l'entretien. Ce questionnaire est une adaptation du PHQ-9 (accessible ici en français). Il a été choisi par les auteurs car les questions posées correspondent davantage au DSM que les questions du SPAQ :
Au total, les données issues de 34 294 entretiens téléphoniques (soit 98,3 % de la population ciblée) basés sur ce questionnaire ont été analysées. Les participants étaient âgés de 18 à 99 ans, avec un âge moyen de 52 ans.
Résultats : pas d'influence retrouvée des saisons, du lieu d'habitation ou de l'exposition à la lumière du soleil
D'après leurs réponses au questionnaire PHQ 8, 1 754 participants répondaient au diagnostic de dépression.
Ils ont ensuite été classés en fonction de leur latitude de résidence du nord au sud des Etats-Unis et de leur exposition à la lumière du soleil chaque jour de l'année (variations saisonnières).
Les résultats de cette analyse transversale montrent que les variations saisonnières, la latitude et l'exposition à la lumière du soleil ne sont pas significativement associées à la survenue de symptômes dépressifs, que ce soit dans l'échantillon total ou dans le groupe de patients déprimés diagnostiqués par le questionnaire PHQ 8. Par ailleurs, la prévalence des symptômes dépressifs diagnostiqués par ce questionnaire reste stable à travers les saisons.
Ces résultats n'excluent cependant pas la possibilité de variabilité saisonnière de la dépression chez un petit pourcentage de patients.
Points forts et points faibles de cette étude
Les points forts de cette étude sont l'évaluation de l'éventuelle dépression compatible avec les critères du DSM et l'absence de prise en compte du critère saisonnier par les participants et les intervieweurs.
Les points faibles sont liés à la nature même de l'étude, transversale et non randomisée, donc moins à même de déterminer un lien de cause à effet, ou son absence. De plus l'évaluation dépressive est basée uniquement sur les réponses recueillies par téléphone, ce qui biaise les résultats (manque de sincérité, ou dépression tellement intense que les patients ne répondent pas au téléphone, par exemple ; de plus, un interrogatoire par téléphone ne peut pas être comparé à un colloque singulier entre un médecin et un patient) et demande donc confirmation.
En synthèse : un concept "populaire" qui demande à être reprécisé
Malgré les réserves émises ci-dessus, ces résultats confirment les résultats antérieurs sur l'absence de lien direct, causal entre la variation saisonnière et la dépression avec un grand échantillon représentatif et en utilisant un questionnaire beaucoup plus proche des critères diagnostiques de dépression du DSM utilisés actuellement. "Le fait d'être déprimé en hiver ne signifie pas que l'on déprime à cause de l'hiver", résument les auteurs.
Au vu de ces résultats, les auteurs s'interrogent donc sur la légitimité de la présence de ce critère individualisé dans le DSM : identifier le manque d'exposition au soleil comme la cause présumée de l'évolution d'une dépression serait, selon les auteurs, réducteur et ferait fi de facteurs cooccurrents intervenant de façon significative dans l'évolution de cette dépression. Une telle omission ferait courir aux patients le risque d'être mal ou insuffisamment traités.
Ils estiment donc qu'il faut d'autres études pour démontrer, ou infirmer, la pertinence de ce critère diagnostic.
En savoir plus :
L'étude menée par Megan K. Traffanstedt et coll., objet de cet article
Major Depression With Seasonal Variation: Is It a Valid Construct?, Megan K. Traffanstedt, Sheila Mehta, and Steven G. LoBello, Clinical Psychological Science, janvier 2016
Autres études citées par les auteurs et mentionnées dans cet article :
- Seasonal affective disorder : A description of the syndrome and preliminary findings with light therapy, Rosenthal N E, Sack D A, Gillin J C, Lewy J C, Goodwin F K, Davenport Y, Wehr T A, Archives of General Psychiatry (JAMA Psychiatry), janvier 1984
- Lack of Seasonal Mood Change in the Icelandic Population: Results of a Cross-Sectional Study, Magnusson A et coll., The American Journal of Psychiatrie, février 2000
- Lack of association between seasonality and psychopathology in psychiatric outpatients, Posternack M A, Zimmerman M, Psychiatry Research, novembre 2002
Sources
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.